Allemagne : sortie de la crise, mais pas de l’auberge ?

28 novembre 2023

Article Bio Linéaires n°110 novembre/décembre 2023

La hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires continue d’influencer le pouvoir d’achat des consommateurs allemands et les poussent à se tourner de plus en plus vers les marques de distributeurs. Les entrées de gamme sont également de plus en plus demandées. Cette tendance au « down trading » concerne également les produits bio. Ces dernières sont achetées principalement dans les magasins de discount et dans les supermarchés conventionnels. 

Le vent tourne à nouveau sur le marché bio

Bonne nouvelle : depuis mai 2023, les dépenses des consommateurs en aliments bio augmentent à nouveau : +5 % en mai et +9 % en juillet (par rapport à l’année précédente, tous points de vente confondus). Ce retournement de tendance s’accompagne d’un changement de comportement des consommateurs. 

« Les taux de croissance se situent en juillet 2023 au même niveau qu’avant la pandémie de Covid. »

Ainsi, les ménages font généralement leurs achats en étant plus attentifs aux prix, ce qui a permis aux discounters allemands d’enregistrer une belle croissance de +8,3 % de leur chiffre d’affaires bio au cours des sept premiers mois de 2023. Les ventes d’aliments bio augmentent également dans les supermarchés conventionnels. Ainsi, les taux de croissance se situent en juillet 2023 au même niveau qu’avant la pandémie de Covid. Cette croissance est avant tout impulsée par l’augmentation des prix et non pas par l’accroissement de volumes vendus. 

Dans la distribution spécialisée bio, en revanche, les taux de croissance n’ont pas encore atteint le niveau d’avant Covid quand ils oscillaient autour des +10 %.

En juillet et août, ils se situent entre +3 et +4 % par rapport à l’année précédente. Il est également surprenant de constater qu’il existe des différences régionales de cette légère hausse : les Länder du nord du pays enregistrent une croissance relativement faible par rapport au Bade-Wurtemberg et à l’est de l’Allemagne. 

Dans les mois à venir, la croissance du chiffre d’affaires bio devrait ralentir dans tous les types de point de vente, car les aliments bio, comme le lait et le beurre, deviennent de moins en moins chers. Cela a certes un effet favorable sur les volumes d’achat en valeur absolue, mais réduit en même temps le chiffre d’affaires. 

Comme le renversement de tendance n’a eu lieu qu’en milieu d’année, de nombreux acteurs du marché estiment que l’année 2023 se soldera par un bilan positif et que le marché bio aura retrouvé la croissance. On peut néanmoins toujours s’attendre à ce que la hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires continue d’influencer le pouvoir d’achat des consommateurs, ce qui incite les clients à se tourner de plus en plus vers les marques de distributeurs et fait persister la tendance au « down trading ». 

La réaction des grandes enseignes 

Les grandes enseignes allemandes de la distribution bio réagissent à ce comportement d’achat et s’y adaptent aussi bien dans leur publicité (voir Denn’s) que dans la conception de leur assortiment (voir Alnatura ou tegut…). 

Les magasins bio du réseau « Denn’s » misent sur l’argument du « prix » dans leur publicité (août 2023). Il s’agit d’un jeu de mots « Preis Wert » veut dire « pas cher » et en même temps « qui vaut son prix ». Sur l’étiquette on peut lire « dauerhaft günstig » soit « pas cher, tout le temps » mais aussi plusieurs arguments pour étayer la valeur du produit sont énumérés : économie circulaire, bien-être animal, protection des sols et de l’eau…

Alnatura : à la première place en termes de satisfaction client 

L’entreprise Alnatura, fondée en 1984, obtient la première place dans le « Kundenmonitor »1 et dépasse également ses concurrents « conventionnels » dans le classement général. Il est frappant de constater que les acheteurs d’Alnatura apprécient particulièrement le rapport qualité-prix de sa marque de distributeur. Depuis environ deux ans, la clientèle des magasins Alnatura bénéficie ainsi de prix stables et permanents, d’une large gamme de produits bio de base dans une catégorie de prix abordable ainsi que des remises pour les élèves et les étudiants. Du côté de l’entreprise, cela s’explique surtout par des chaînes d’approvisionnement régionales, des partenariats de longue date et le renoncement à une publicité coûteuse ce qui permet de maintenir les prix à un niveau relativement avantageux. 

tegut… : « Le bio à petit prix » 

Après que « Basic », un autre pionnier du bio en Allemagne, ait déposé le bilan et que tegut… s’est intéressé à un rachat (voir Bio Linéaires N° 109), les 19 magasins Basic seront transférés à ce dernier à partir de janvier 2024. La « chaîne de supermarchés conventionnels à fort pourcentage bio » du centre Allemagne (Land de Hesse) veut en outre se concentrer sur les « emplacements en ville ». Pour cette expansion dans le sud de l’Allemagne, tegut… investit environ 10 millions d’euros dans les magasins Basic et développe un nouveau concept avec un focus sur les comptoirs de boulangerie où elle proposera exclusivement des produits bio. De plus, tegut… fait désormais de la publicité avec l’ancien slogan de Basic « Bio pour tous ». L’enseigne mise davantage sur sa propre marque bio et sur les produits bio d’Alnatura (également référencés chez tegut). Par ailleurs, une entrée de gamme sera développée sous la devise « Bio à petit prix » avec la marque de distributeur et qui devrait être environ 20 % moins chère que les produits Alnatura.

« De nombreux acteurs du marché estiment que l’année 2023 se soldera par un bilan positif et que le marché bio aura retrouvé la croissance. »

Conclusion 

Une des réponses des grandes chaînes bio allemandes sur l’évolution des comportements d’achat consiste à proposer des marques de distributeurs bio encore moins chères. Les grossistes aussi – et à travers eux une multitude de magasins indépendants – jouent la carte de l’entrée de gamme via les marques de distributeurs. La polarisation de l’offre à l’intérieur des magasins spécialisés va ainsi se renforcer. Deux questions restent en suspens : Est-ce que la distribution spécialisée peut, de cette façon, contrer son image de « lieu de vente trop cher » ? Et quels arguments et stratégies avanceront les magasins bio pour promouvoir les moyennes et hautes gammes (qui sont les contrepoids nécessaires aux marques de distributeurs) ? Car il s’agit de maintenir la création de valeur ajoutée dans son ensemble, pour préserver une juste et durable rémunération entre acteurs de la filière, notamment les paysans bio. 

1) Le « Kundenmonitor » est une étude représentative des consommateurs menée dans toute l’Allemagne par ServiceBarometer AG. Chaque année, environ 9000 clients sont interrogés en plusieurs vagues d’enquête sur leur opinion concernant les marchés alimentaires allemands.

Ecozept

schaer@ecozept.com

Avec l’aimable autorisation de Bio Linéaires

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