La cosmétique écologique: ou comment aller au-delà du bio
La cosmétique écologique n’est pas (encore) un terme entré dans les mœurs. C’est un concept qui mérite cependant d’être étudié, car les différents éléments qui pourraient la définir apparaissent déjà ça et là depuis quelques années. A l’heure où, via la nouvelle norme ISO 16128, l’appellation de cosmétique naturelle et bio est en passe de se faire cannibaliser par l’industrie conventionnelle, c’est cependant une notion qui mérite sans doute qu’on s’y intéresse.
Cosmétique naturelle et bio: la lente naissance d’un concept
Le terme de « cosmétiques naturels » – pour désigner clairement et spécifiquement des produits de beauté non basés sur la chimie -apparaît semble-t-il à la fois en Allemagne et en France, au moins dès les années 60. Mais dès avant cela, quelques marques pionnières parlaient en fait déjà de « cosmétique aux plantes » (et en Allemagne du terme équivalent « Kräuterkosmetik »). Une « cosmétique aux plantes » qui devint par ailleurs la signature de quelques marques, très connues, se vantant de faire des produits « naturels », tout en continuant pourtant à employer des silicones et autres dérivés de la chimie du pétrole.
Des livres sur la « cosmétique naturelle » paraissent dans les années 70, puis de nouvelles marques engagées pour une vraie naturalité naissent, surtout dans les années 1980, leur présence commerciale restant néanmoins anecdotique. Mais faisant alors partie des pionnières qui existent toujours aujourd’hui, elles sont celles qui vont accompagner la naissance des premiers magasins bio qui se multiplient lentement mais sûrement à l’époque.
C’est dès les années 50 que l’association allemande Neuform, regroupant les magasins diététiques (Reformhäuser), avait défini des critères d’acceptation pour tous les produits vendus par son canal (incluant donc la cosmétique), ce qui en fait en quelque sorte le premier cahier des charges professionnel privé. Du côté officiel, il fallut attendre 1992-1993 pour que le BMG (ministère fédéral de la Santé allemand) propose à la Commission Européenne une définition officielle pour la cosmétique naturelle, avec bien sûr l’idée d’en faire la base d’un texte européen. Malgré un renouvellement de la demande en 1994, celle-ci ne connut pas de suite.
C’est donc les industriels pionniers de la cosmétique naturelle et bio qui, regroupés en association, parfois en collaboration avec les consommateurs, vont définir les critères applicables à une cosmétique naturelle et/ou bio de bon aloi : Nature & Progrès (1998), BIDH (2001), Cosmébio (2002), Soi) Association (2002), Ecogarantie (2005)… puis les référentiels internationaux NaTrue (2007) et Cosmos (2011 : voir p. 133 dans ce numéro).
La norme ISO 16728 vient couronner un intense « green washing »
Parce que les industriels de la cosmétique conventionnelle ont constaté que la cosmétique certifiée – même si la part de marché de cette dernière reste encore limitée – affiche actuellement une croissance que ce conventionnel ne connaît plus (il stagne, au mieux, quand il ne recule pas), ils ont tout fait, comme on le sait, pour s’attirer les bonnes grâces des consommateurs de plus en plus à la recherche de produits bons pour la santé et pour l’environnement. On n’a donc jamais vu autant de produits « à base de plantes » ou « avec des ingrédients naturels », sans parler, bien sûr, surtout depuis 2005-2006, des formules sans parabens, sans conservateurs, sans phtalates, sans sulfates sans silicones, etc. Mais qui, au regard de l’ensemble de leurs compositions, restent absolument non certifiables.
Toujours à l’affût de nouvelles tendances à la mode, les marques conventionnelles ne manquent pas non plus de se greffer sur toutes les allégations relatives à un meilleur respect de la nature qui semblent aussi recueillir un intérêt croissant de la part des consommateurs. Nous pensons ici évidemment au vegan ou aux projets socio-équitables de sourcing de matières premières, mais aussi aux produits avec recharges ou aux campagnes de retour des emballages pour favoriser le recyclage. Mais sur le fond, la philosophie de ces entreprises conventionnelles ne change pas, à savoir le recours massif à la chimie du pétrole et autres ressources non renouvelables.
Toujours dans le but d’éviter une hémorragie d’une certaine partie de leur clientèle, et afin de pouvoir utiliser légalement sans souci le terme « naturel » ou « bio », les grands groupes de la cosmétique conventionnelle ont aussi mis sur les rails, il y a quelques années, la norme ISO 16128 établissant des « lignes directrices relatives aux définitions techniques et aux critères applicables aux ingrédients et produits cosmétiques naturels et biologiques ». Cette norme, maintenant applicable, présente un réel danger en raison du message biaisé qu’elle livre aux consommateurs. Nous en avons déjà parlé à plusieurs reprises dans les pages de Bio Linéaires et en reparlerons une nouvelle fois dans le prochain numéro.
Le besoin de niches différenciantes
Appellation « naturel » et « bio », allégations du type « sans… », projets socio-équitables, vegan… Innombrables sont les caractéristiques longtemps propres à la cosmétique bio que le conventionnel s’approprie au fur et à mesure. Sans oublier l’absence de tests sur animaux, autrefois l’apanage des marques bio, mais aujourd’hui devenue obligation au niveau européen. Certes, il reste en général aux marques certifiées une éthique réelle et forte, ce qui est bien souvent (très) loin d’être le cas des acteurs du conventionnel. Mais c’est quelque chose qu’il est difficile de faire apparaître concrètement et clairement sur un produit qui reste très souvent vendu en libre-service. Sans la puissance de frappe en matière de communication et de publicité que possèdent les grands groupes conventionnels, il est donc difficile de se « réfugier » dans les aspects éthiques pour faire la différence auprès des consommateurs qui ne restent pas quand même, il faut le dire, insensibles aux problèmes sociaux ou environnementaux.
De nombreuses études montrent d’ailleurs régulièrement que les consommateurs sont au moins autant intéressés, voire plus, par les aspects écologiques (environmentally friendly), éthiques ou de développement durable, que par la présence d’un label bio sur un cosmétique. C’est pour cette raison que les marques certifiées ne doivent pas laisser non plus leurs concurrents du conventionnel s’accaparer en plus les aspects écologiques, ceux-ci étant d’ailleurs plus « faciles » à alléguer qu’unie réelle certification bio. En plus d’être bio, la cosmétique certifiée doit donc – et devra à notre sens le faire de plus en plus – s’afficher « écologique », ce qui représente dans un sens uni double paradoxe.
Le premier est que, pour la France, il faut rappeler qu’à l’origine (2002) le label Cosmébio proposait un niveau «Eco» (pour « écologique »), disparu au bout de quelques années. Il imposait 50 % minimum d’ingrédients certifiés sur le total des ingrédients végétaux (et 5 % minimum sur le total de tous les ingrédients, y compris l’eau), contre respectivement 95 % et 10 % pour le niveau « Bio ». Donc, en un sens, « Eco » c’était « moins bien » que « Bio ». Le second paradoxe est que le consommateur devrait comprendre, que – par définition – un cosmétique bio est aussi écologique (et le référentiel Cosmos a encore amélioré cet aspect). Mais comme on l’a vu à l’instant, les aspects écologiques ne sont pas forcément visibles d’emblée, et certains, ceux notamment utilisés par les marques conventionnelles, sont très vendeurs, même s’il ne s’agit que de mesures ponctuelles, loin d’être générales en l’absence d’une vraie éthique durable de ces marques.
Comme les marques pionnières sont les plus légitimes pour revendiquer les aspects bio, elles doivent également retrouver, ou créer, une légitimité écologique, bien entendu idéalement visible et appréhendable sans difficulté par le consommateur.
Penser éco-conception de A à Z
L’éco-conception est, elle aussi, un argument déjà « récupéré » par les marques conventionnelles. Il s’agit de l’approche qui prend en compte les impacts environnementaux d’un produit, depuis sa conception et jusqu’à l’utilisation finale par le consommateur, tout au long de son cycle de vie (énergie, émissions dans l’air, l’eau et le sol, déchets, matières premières, fabrication, transport à toutes les étapes, distribution, usage, élimination/recyclage). Pour évaluer cette éco-conception, on met normalement en place des procédures dites ACV (analyse du cycle de vie), en anglais LCA (life cycle assessment). Pour les marques bio, de nombreuses améliorations sont incontournables car déjà appliquées par les marques conventionnelles, et beaucoup souvent déjà effectives, il est vrai. En vrac : programmes de réduction de la consommation d’énergie et d’eau, packagings et notices en carton/papier recyclé et recyclable, encres végétales, circuits courts pour les matières premières, limitation des déchets du produit fini (recharges pour soins visage ou douche par exemple, mais aussi maquillage), réduction de la taille et du poids du produit fini (ex. déos ou gels douche « concentrés »), shampooings « no poo » (sans tensio-actifs), etc. Non seulement les marques bio doivent s’engager dans les mêmes voies, mais elles ont la possibilité et la légitimité de le faire de façon plus cohérente que les conventionnelles. Car on voit en effet souvent, dans les éco-bilans que ces dernières affichent, des mesures par exemple pour faciliter la biodégradabilité des composants ou pour favoriser l’utilisation de matières renouvelables, alors que le cœur même de leur modèle reste quand même la chimie du pétrole… Comme dit plus haut également, le green washing sévit aussi ici. Pour les marques certifiées, sur ce point, il va de soi que c’est la biodégradabilité to-tale qui doit être visée, au moins pour le contenu, les contenants se devant d’être au minimum recyclables.
Si cette éco-conception est parfois visible (voir ci-après ce qui concerne les emballages), elle doit en tout état de cause être valorisée par tous les moyens de communication possibles : labels (ex. papier certifié FSC), mentions sur les packagings, dans les supports promotionnels, site web et réseaux sociaux, etc.
Après « l’empreinte carbone », « l’empreinte eau »
Parmi les mesures relatives à la limitation de l’impact environnemental figure la consommation en eau. A ce propos, il faut souligner qu’en Allemagne, la profession parle de plus en plus « d’empreinte eau », à l’instar de la bien connue empreinte carbone. Les consommateurs d’Outre-Rhin y seraient de plus en plus sensibles, et il ne serait pas étonnant que ce critère soit tôt ou tard également évoqué largement en France, à l’instar des PEG ou des microplastiques, thèmes sur lesquels les Allemands ont été sensibilisés bien avant nous (de même que sur celui des hydrocarbures dits MOHA et MOSH, sur lesquels nous reviendrons dans un prochain numéro), La tendance, de niche certes, des cosmétiques sans eau s’inscrit parfaitement dans cette notion d’économiser l’eau, Ces cosmétiques sans eau, dits aussi cosmétiques solides, réunissent pour eux des arguments multiples. Le principal est que si certains restent présentés dans des emballages – parce que sous forme de baumes gras (déodorants, parfums, voire soins visage, mais qui à notre sens ont leurs limites, une émulsion eau + huile restant souvent idéale, en particulier pour véhiculer des actifs hydrosolubles) ou de poudre (shampooings, masques et gommages à additionner d’un peu d’eau à l’utilisation) – ils sont aussi fréquemment sans emballages et donc « zéro déchet » shampooings également, produits douche, dentifrices (sur un bâtonnet biodégradable), etc. L’autre avantage est que l’absence d’eau permet de se passer de conservateurs, ce qui ne les empêche pas de se garder longtemps, pour peu que l’on fasse preuve d’un minimum d’attention.
A noter que ces cosmétiques solides s’inscrivent en même temps dans une tendance forte, chez certains consommateurs, au « less is more » : moins il y a d’ingrédients, mieux c’est pour eux. Une façon comme une autre, en limitant ces matières premières, d’être sûr qu’il n’y a que des « bons » ingrédients. Cette tendance trouve son point d’orgue dans le fait maison » (DIY = do it yourself). Récemment lors de l’AG 2017 de Cosmébio, une chercheuse en prospective s’est même avancée à prédire une explosion du DIY en affirmant, à propos des consommateurs : «Demain, tous fabricants». Elle se basait pour cela sur la tendance aux FabLab (ateliers collaboratifs) et sur le crowdsourcing. Mais c’est oublier que la loi encadre strictement la fabrication des cosmétiques, et qu’on n’installe pas un atelier de fabrication cosmétique comme on ouvrirait un atelier de couture.
Le packaging, une source énorme d’innovation écologique
Concernant le conditionnement, outre reco-recharge déjà mentionnée, évoquons le remplissage en magasin, avec un consommateur apportant son propre contenant réutilisable. Cela est techniquement possible mais nécessite des précautions très particulières au niveau technique (hygiène) et réglementaire (le point de vente devient unité de conditionnement cosmétique).
Les emballages représentent cependant une autre voie, prometteuse, d’évolution écologique. Verre, carton, papier, PET peuvent bien star’ être 100 % recyclés et recyclables (ex. le R’PET fabriqué à partir de bouteilles d’eau) et il y a aussi des bioplastiques de plus en plus performants. Mais les cartonniers et concepteurs d’emballages proposent aussi des designs optimisés réduisant le poids et la forme. On peut également supprimer les notices en papier dans les étuis et les imprimer sur la face intérieure de ceux-ci. Il existe aussi des étuis que l’on peut détourner après usage (décoration, rangement, emballage cadeau en les retournant), ce qui supprime grandement les déchets. Sur le plan du matériau proprement dit, sans parler des papiers et cartons non seulement biodégradables mais aussi compostables, il existe aujourd’hui des cartons avec 25 % de fibres d’herbe, ce qui limite la consommation de bois et réduit les distances que parcourt la matière première. Pour économiser les pots en verre ou en plastique, il en existe en carton (recyclé), spécialement traité (sans additif chimique), dans lesquels on peut conditionner des cosmétiques gras, sans eau (baumes et crèmes).
Plus étonnant, en trouve depuis plusieurs années des cartons ensemences. C’est-à-dire que leurs fibres contiennent des graines de fleurs ou de plantes condimentaires eu médicinales : non seulement ces emballages sont 100 biodégradables et compostables, mais en plus ils sont plantables ! Enfin, exemple d innovation décalée présentée il y a 2 ans par un studio franco-suédois de création de packagings une enveloppe en cire d’abeille que l’on épluche comme un fruit. Conçu pour des produits alimentaires solides, ce concept pourrait trouver des applications en cosmétique. L’écologie des cosmétiques bio de demain passe probablement par des solutions étonnantes qui seront bientôt sur le marché.
Par Michel Knittel de Manasa Conseil
Bio Linéaires n°75 Janvier/Février 2018
Crédits photo: Kris Atomic, Patrick Coddou et Ian Dooley
Classés dans : Distribution bio Tous Transformation bio