Côté distribution : bilan 2022 et perspectives 2023 par Philippe Delran, co-fondateur du magazine Bio Linéaires

19 décembre 2022

Pour ce marché 2022, nous allons certainement retomber sur des chiffres très comparables à 2019, soit un peu inférieurs à 3,750 milliards d’euros, pour le chiffre d’affaires global des magasins bio en France. 

Philippe Delran, co-fondateur du magazine Bio Linéraires
Crédit photo : Patrice Bouscarrut

On note la montée en puissance d’un marché encore modeste, celui des EAP (Épiceries Alternatives de Proximité) qui commercialisent une part croissante de produits bio, environ 80%, et que j’estime cette année autour de 250 millions d’euros (cumul bio et non bio), contre 196 millions en 2021. Ce qui signifie que les EAP ont eu une croissance de + 29% cette année, ce qui est pas mal du tout au regard des magasins bio qui eux, auront connu une baisse d’environ 10 à 11%.

Depuis fin août/début septembre, la fréquentation se stabilise, et recommence légèrement à progresser, mais nous avons un problème de panier moyen.

Dans le panier moyen des MSB (Magasin Bio Spécialisé), il manque entre 1 et 3 euros selon les enseignes, ce qui pourrait paraître une petite somme, mais à regagner par un magasin, c’est un travail énorme et très compliqué. Ça nous amène directement au sujet suivant : comment inciter les consommateurs à revenir en masse dans les magasins ?

Nous notons certains « points faibles » au cœur des magasins en ce qui concerne la connaissance des arguments de la bio. Je pense en particulier à la santé : la bio est bonne pour notre santé, de nombreuses études scientifiques le prouvent. Et aussi à la préservation de l’environnement : préserver les sols, les utiliser pour capter le CO2 peut contribuer à inverser la tendance climatique… la première étude sur la biodiversité date de 1978, et n’a jamais été remise en question ! Donc le sujet de la bio ne se pose pas, c’est une réalité !

On parle toujours des éléments ultra-transformés, et on oublie toujours de parler de la transformation, pour laquelle nous avons une réglementation qui autorise 55 additifs, contre plus de 330 en conventionnel. Ce que je veux dire, c’est que nous disposons de plein d’arguments en faveur de la bio, mais nous avons du mal à les transmettre aux consommateurs, et même aux personnels des magasins… et surtout, nous avons du mal à capter une nouvelle génération de consommateurs.

J’attire l’attention sur les récents propos et analyses de Sauveur Fernandez que nous publions dans chaque numéro de Bio Linéaires sur le sujet de la « désirabilité » : nous devons améliorer le coté désirable de la bio, nous sommes trop technocrates, nous avons tous les arguments pour donner envie aux consommateurs d’aller vers la bio. Il y a selon moi un gros travail de communication à faire par les marques et les agences créatives autour de ce sujet : les arguments produits sont techniques, cartésiens… chaque marque pourrait trouver son style, son territoire, son univers. N’oublions pas que la bio a la capacité de changer notre monde, de rendre nos campagnes plus belles et agréables à vivre.

L’importance de l’offre locale pour les magasins 

Il y a des points à améliorer en magasins au rayon fruits et légumes, qui pourrait être plus performant. Notons qu’il existe des enseignes spécialisées en frais, nous ne les citerons pas, qui font de belles performances. Ce rayon fruits et légumes doit gagner en qualité à tous les niveaux – producteurs, grossistes, centrales et bien sûr en magasins – car c’est un rayon-clé qui permettra, peut-être, aux magasins bio de sortir de cette situation actuelle. Il y a, également, une prise de conscience des distributeurs sur l’offre locale, il faut mieux l’identifier en magasin, mieux la mettre en valeur. Certaines comme Chlorophylle, à Nantes, misent beaucoup sur cette offre locale, environ 27% de leur assortiment. Et on constate que cette offre évolue mieux que l’ensemble du magasin, avec un écart de performance de l’ordre 1,5%.

 Je reste assez serein, il s’agit plus d’un réajustement que d’une crise pour les magasins.

Les chiffres nous le montrent, nous avons eu une progression impressionnante d’ouvertures de magasins ces dernières années, peut-être un peu trop… et souvent sur les mêmes zones de chalandise. Aujourd’hui on s’aperçoit que sur les grandes villes, les métropoles, les chiffres sont moins bons que sur les petites villes de province, voire sur les bourgs et les gros villages. Nous percevons ce phénomène jusqu’auprès des Épiceries Alternatives de Proximité (EAP), points de vente qui rajoutent des services gracieux au public. Je pense qu’il existe un territoire expérimental dans ces EAP, une belle approche du commerce, raison pour laquelle je m’engage de plus en plus auprès d’eux. Ils ne peuvent qu’être un plus à « l’humanisation » du commerce.

Dans le Bio Linéaires numéro 105 de janvier-février 2023, nous allons publier des analyses qui démontrent que nous avons une inflation en MSB sur les PGC (Produits de Grande Consommation) de 3,8%. En comparant avec les chiffres des PGC bio en GMS, eux sont à plus de 10% ! Comment l’expliquer ? Soit les magasins bio avaient plus de marge sur ces produits, marge qu’ils réajustent aujourd’hui ; soit la GMS resserre son assortiment, on voit que le chiffre d’affaires diminue moins vite que l’offre ; ce qui expliquerait un réel désengagement de certaines enseignes de la GMS sur le bio.

Je considère que la bio reste une vache à lait pour certaines GMS, quand on voit un tel écart d’inflation sur les produits, il n’y a pas de logique. Surtout que malheureusement, je découvre des produits en rayon de bien piètre qualité, indignes d’un signe officiel de qualité.

Ce qui doit nous inquiéter

Le premier semestre 2023 va être crucial par rapport au coût de l’énergie. Nous allons voir une concurrence « injuste » entre les magasins qui ont des contrats négociés pluri-annuels sur le prix de l’énergie, donc des coûts mieux maîtrisés, et ceux qui n’en ont pas, et qui vont voir leur facture énergétique exploser. Ces derniers seront dans l’obligation de modifier leur coefficient pour survivre ; ce qui veut dire que nous cumulerons l’inflation sur le prix des produits, entre + 5 et + 20%, plus une hausse des coefficients pour certains magasins. Comment va réagir le consommateur ? La seule solution à mon sens est d’avoir une expérience-client en magasin pour justifier ces prix plus élevés. Nous commençons à voir des exemples de magasins qui misent sur l’expérience consommateur en point de vente. L’équation sera compliquée mais pas impossible : il faudra peut-être miser sur le personnel des magasins, le côté management va prendre une place importante, ainsi que le conseil aux consommateurs, l’accueil et l’attractivité du magasin, le qualitatif… on va peut-être toucher moins de clients en ciblant par exemple la santé naturelle ou encore le pouvoir d’achat des clients les plus aisés. Cependant si vous souhaitez grandir plus cette clientèle, on ne fera revenir les consommateurs que si l’on leurs rappelle qu’il y a une raison de venir.

Défendre le 100% bio

Du point de vue réglementaire, il n’est pas interdit à un magasin bio d’intégrer dans ses rayons des produits non bio. Historiquement il y a toujours eu des produits non bio dans les magasins : l’eau, diététique, produits de santé,… Nous, Bio Linéaires, en tant que média, nous restons fermes sur le fait que les magasins bio spécialisés continuent à distribuer un maximum, voire exclusivement des produits bio. 
Nous restons convaincus à juste titre que l’agriculture biologique s’approche au plus près de la vérité et qu’il faut tout faire pour la défendre. 

Par Philippe Delran, co-fondateur de Bio Linéaires

Classés dans :


Articles récents dans la même catégorie

+

Inscrivez vous à notre newsletter

Vous acceptez de recevoir nos derniers articles par email
Vous affirmez avoir pris connaissance de notre Politique de confidentialité.