La distribution des produits naturels et bio en Autriche
À 3 heures à peine de la frontière française, l’Autriche présente des caractéristiques laissant présager une situation originale pour le marché bio : pays riche (4e PIB par habitant de l’Union Européenne), 8 fois plus petit que la France en taille et population, territoire classé à plus de 70 % en zone de montagne et fortes traditions. De fait, et comme cela était le cas pour les pays précédemment étudiés dans ce panorama de la distribution bio à l’étranger, l’Autriche présente aussi une situation tout à fait particulière.
«Championne du monde de la bio »
L’Autriche, championne du monde incontestée de la bio » lit-on souvent dans la presse autrichienne. De fait, avec 19,4 %, l’Autriche a la plus grande proportion de surface agricole bio en Europe (à part le petit Lichtenstein : 30,9 %). Dans certaines régions, ce chiffre est même plus élevé : 49 % dans celle de Salzbourg ou 26% dans celle de Vienne et le Burgenland. 17,1 % (2014) des exploitations pratiquent l’agriculture biologique, soit 20.750 fermes. Le pays est aussi dans le peloton de tête de la consommation bio par habitant sur le continent en 2014 : Suisse 221 €, Luxembourg 164 €, Danemark 162 €, Suède 145 € et ensuite Autriche 127 € (en 2011). En Allemagne ce n’est que 97 € et en France 73 €. En part de bio dans la consommation alimentaire, cela donne en tête le Danemark (7,6%), puis la Suisse (7,1 %) et l’Autriche (7,1 °/0). Allemagne et France sont loin derrière, avec respectivement 4,4% et 2,5%. Le chiffre total actuel du marché bio local est paradoxalement inconnu : aucune statistique précise n’a été publiée officiellement depuis 2011. À l’époque, l’Autriche était, avec 1,065 Mrd d’€, le 6e marché bio européen, après la Suisse (1,411 Mrd) et avant l’Espagne (965 Mio), mais par habitant le 5e pays d’Europe et le 3e de la zone Euro.
Une consommation aux accents parfois particuliers
Le pays présente quelques particularités à connaître, dont plusieurs influent sur le marché. À l’instar des Allemands, les Autrichiens sont ainsi des Schnäppchenräger, des « chasseurs de bonnes affaires », d’où les parts de marchés importantes des discounters dans la consommation alimentaire du pays. Et comme en Allemagne aussi, la part des végétariens dans la population augmente : de 3 % en 2006, elle est passée à 11 % en 2013, soit près d’un million de personnes, sans parler des 80 000 « vegans » environ.
Autre particularité, due sans doute à la fois au caractère montagnard de la population et aux distances inter-régionales réduites : la tendance très forte à la consommation de produits locaux, qui bénéficient d’un indice de confiance élevé. Ceci se traduit entre autres par l’existence d’un logo bio local (délivré par l’AMA) aux couleurs rouge-blanc-rouge du drapeau national, qui garantit (sauf rares exceptions tolérées) que les ingrédients bio sont d’origine autrichienne. Un autre logo, celui de Bio Austria, est apposé quant à lui sur les produits provenant des 12.000 fermes bio et plus de 300 transformateurs adhérents à cette association.
La grande distribution alimentaire, leader de la bio
En 1995 déjà, 66 % des produits bio étaient commercialisés par la distribution conventionnelle, 22 % par les magasins spécialisés, les 12 % restant en vente directe. Comme dit plus haut, les derniers chiffres détaillés disponibles sont ceux de 2011, que nous reproduisons, ainsi que ceux de 2008 pour comparaison, via les graphiques ci-dessous. Les données 2015 sont en cours d’analyse et devraient être publiées « dans un certain temps ».
La grande distribution conventionnelle
Comme dans la plupart des pays, c’est bien la grande distribution conventionnelle qui domine le marché alimentaire bio en Autriche : environ 5 500 points de vente, de la supérette de proximité à l’hypermarché, avec un leadership qui varie selon les régions. Les deux plus gros acteurs sont d’une part Rewe Austria (filiale de la société allemande du même nom, 1.985 points de vente autrichiens en 2014, dont les hypermarchés Merkur, les supermarchés Billa, les magasins ADEG et les discounters Penny-Market) et d’autre part Spar (1 540 hypermarchés et supermarchés à l’enseigne Spar, Eurospar et lnterspar). S’y ajoutent les sociétés Pfeiffer (dont 128 magasins à l’enseigne Unimarkt) et MPreis (240 magasins environ), les magasins Kastner du groupe familial du même nom, les indépendants à l’enseigne commune Nah&Frisch, etc. Côté discounters, on trouve l’allemand Lidl (200 magasins) et les 450 magasins Hofer de la filiale autrichienne de l’allemand Aldi. Mentionnons également la chaîne Zielpunkt qui avait 254 magasins mais qui a fait faillite fin 2015. Rewe, Spar, Hofer, Lidl et la chaîne bio denn’s ont repris une petite partie des magasins.
La plupart des enseignes de la GMS ont développé leur marque bio propre : « Ja!Natürlich » pour Rewe, « Zurück zum Ursprung » chez Hofer, « Natur pur » chez Spar, « natürlich fur uns » chez Pfeiffer (dans leurs magasins Unimarkt mais aussi chez les indépendants Nah&Frisch). Chez Rewe « Ja!Natürlich » lancée dès 1994, 1 000 références, est la marque bio n°1 en Autriche. Le groupe propose aussi depuis mai 2015 sa marque propre vegan « Vegavita » (80 références). « Natur pur » de Spar offre 670 références, le groupe proposant aussi en outre plus de 70 produits vegans à la marque « Spar Veggie ».
Chez Billa et Merkur (Rewe), ainsi que chez MPreis, on trouve également depuis l’été 2015 les produits bio (alimentaires et cosmétiques) du groupe allemand Alnatura (à la fois grossiste, fabricant et propriétaires de magasins à son nom en Allemagne) avec qui ces chaînes ont signé des contrats de partenariat. Le bio a représenté l’an passé 24,7 % (chiffre stable) du CA de la distribution conventionnelle, en forte croissance chez MPreis et Penny, mais en chute chez Hofer.
La distribution spécialisée
En l’absence de données officielles, le nombre précis de magasins bio (Bioläden ou Naturkostlädden) reste inconnu. Le grossiste Biogast l’estime à environ 350, supermarchés bio inclus. Le leader de ces supermarchés est l’allemand denn’s (groupe dennree). En 2010, la chaîne avait racheté les 10 magasins du pionnier autrichien des supermarchés bio, Bio Maran (premier point de vente en 1998). Aujourd’hui, denn’s a 21 filiales, dont 12 à Vienne, 6 autres étant prévus courant 2016. Basic, autre acteur majeur en Allemagne, avait prévu d’ouvrir 10 magasins à son arrivée en Autriche en 2006, mais il s’est arrêté à 2 points de vente seulement (Vienne et Salzbourg). Le seul acteur important national est Biofeld (6 magasins : 2 à Vienne ainsi qu’à Graz, et 1 à Linz et à Klagenfurt), issu de la chaîne Biomarket qui avait fait faillite en 2012, certains magasins étant repris par denn’s. Parmi les pionniers figuraient aussi la chaîne Livit née en 2005, qui avait prévu d’ouvrir 14 magasins au plus tard en 2009 mais a fait faillite fin 2008, peu de temps après l’ouverture de son 5e magasin. La croissance du marché bio voit bien sûr l’ouverture de magasins indépendants très attractifs, comme (voir illustration) Bio am Platz, à Tulln en Basse Autriche, ouvert fin 2014 : avec 6 000 références sur 450 m2, dont une grande partie de produits locaux comme partout, il a été présenté par la presse comme « un des plus beaux magasins bio d’Autriche ».
Supermarché denn’s Biomarket
Mais le paysage commercial autrichien ne serait pas complet sans les magasins de « produits de réforme » (Reformhäuser), comme en Allemagne, même si les produits bio (frais surtout) ne sont pas au cœur de leur activité, qui reste la diététique, l’alimentation complète, les compléments, la santé et la cosmétique naturelle, etc. Étant historiquement rattachés à leurs homologues allemands, et donc membres de l’association neuform, celle-ci recense actuellement sur son site Internet 107 magasins affiliés en Autriche. Là où la situation se complique néanmoins, c’est que parmi eux on trouve 2 pharmacies et 44 drogueries, dont plusieurs appartiennent à des chaînes ou groupements (Gewusst wie, Prokopp, Pfeiffer, etc,). Le cas n’est pas rare en Allemagne, mais il est ici extrême. Sachant par ailleurs que toutes les drogueries Gewusst wie par exemple ne sont pas affiliées neuform (il y a environ 1 500 drogueries en Autriche). La frontière est aussi parfois floue entre Naturkost-/Bioladen et Reformhaus dans cette liste figurent 3 Reformhäuser qui ont le mot Naturkost ou Bio dans leur nom. Et parmi les 4 magasins de la chaîne Vitalia, celui d’Innsbruck est présente comme « Blomarkt mit [avec] Reformhaus ». À ces Reformhäuser affiliés neuform s’en ajoutent aussi d’autres qui ne le sont pas, comme la chaîne Reformstark Martin, créée en 1996 (38 magasins dont 8 à Vienne), dont l’assortiment ne manque pas non plus de produits bio et/ou vegan, bien au contraire !
Marque propre de l’enseigne dm bio
Vient enfin le cas de dm, la chaîne de drogueries d’origine allemande, La filiale autrichienne possède 388 magasins (1 744 en Allemagne), Outre les produits de santé et de beauté classiques, elle propose « bien sûr » des produits alimentaires bio. Pendant plus de 30 ans, elle a notamment vendu en exclusivité les produits de la marque Alnatura. Coup de théâtre en avril 2015: dm a mis sur le marché sa propre marque alimentaire « dm bio » avec au final 200 produits début 2016 (dont une bonne partie bien entendu d’origine autrichienne), et autant de produits Alnatura déréférencés chez dm sur une gamme initiale de 650 références. C’est la fin de cette exclusivité qui a amené Alnatura à établir d’autres partenariats en GMS, comme évoqué plus haut.
La vente directe et les grossistes
Avec 7 % de part de marché en 2011, la vente directe (à la ferme ou sur les marchés) représente une part non négligeable de la bio, en croissance en valeur absolue, les Autrichiens étant très sensibles, comme déjà évoqué, aux produits d’origine locale, et la petite taille du pays en favorisant la consommation. Il est très difficile d’estimer le nombre exact de fermes bio vendant aux consommateurs, mais rien que pour l’association Bio Austria (12 000 fermes sur les 22 000 du pays), une requête sur son site Internet propose près de 900 adresses pour l’achat direct de produits frais ou transformés. Et nouvelle ambiguïté avec ces fermes bio : beaucoup se présentent comme grossistes, car livrant dans tout le pays produits laitiers, traits et légumes, produits carnés, etc. Mais outre ces petits grossistes régionaux ou nationaux, il existe bien sûr aussi des grossistes plus importants.
Créée en 1999, le leader local incontesté est la société viennoise Biogast, avec 12 000 références (dont 30 % d’origine autrichienne) et 1 250 clients (magasins et RHF) livrés en Autriche, Bavière, Tyrol du Sud (Italie), Tchéquie, Slovaquie et Slovénie.
Son plus gros concurrent est dennree, également grossiste comme en Allemagne ainsi que Biofeld (alias Sambucco) qui outre son métier de détaillant fait également du gros. Sans oublier la société allemande Claus, qui fait chaque semaine plusieurs tournées de livraison en Autriche.
La cosmétique naturelle et bio
Un petit mot sur la cosmétique naturelle et bio s’impose en conclusion, Avec 80 Mio d’€ en 2015, le marché ne semble pas impressionnant mais ramené à la taille du pays, il montre que l’Autriche talonne l’Allemagne, leader en Europe environ 9,20 € d’achat annuel par habitant (10% de la cosmétique sont achetés en certifié) pour 12,30€ en Allemagne et seulement 7 € en France. Si l’Autriche connaît bien sûr les certifications privées BDIH ou NaTrue, il faut noter qu’elle est le seul pays à avoir inscrit dans sa législation une définition officielle de la cosmétique bio (certification obligatoire par Austria Bio Garantie, environ 40 marques locales), différenciée même de la cosmétique naturelle (certification facultative par Agrovet).
La marque cosmétique Angana, certifiée NaTrue et Austria Bio Garantie, est symptomatique de cet engouement global pour une vie plus bio » en Autriche C’est la marque propre de la chaîne de magasins Grüne Erde créée en 1983, qui vend dans d’attractives boutiques (7 en Autriche et autant en Allemagne) à la fois de la literie et des meubles naturels, de la mode écologique (certification GOTS) et des cosmétiques de leur fabrication, Un concept très moderne en phase avec l’ambition du pays de rester le , champion de la bio.
Par Michel Knittel et avec l’aimable autorisation de Bio Linéaires (n° 65 Mai/Juin 2016)
Tous nos remerciements à Ziad Chahrouri (Claus GmbH), Elisabeth Klingbacher (FiBL Österreich ), Peter Kohls (denn’s), Markus Leithner (Bio Austria), Bernhard Lichtenberger (Grüne Erde), Horst Moser (Biogast), Katharina Schmiedjell (dm), Anton Wegger (Bio am Platz), Johanna Zollitsch (Austria Bio Garantie).
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