La distribution des produits naturels et bio en Israël

12 janvier 2018

À l’instar du Japon ou des pays du Maghreb, récemment évoqués dans nos découvertes de la distribution bio à l’international, essayer de comprendre l’impact de la bio (entre autres) en Israël oblige à oublier nos propres références de pensée. Car ce pays est directement influencé, comme on s’en doute, par les traditions juives.

Un pays à l’économie avancée

Avec 8,8 Mio d’habitants, Israël est aussi peuplé que l’Autriche et un peu plus que la Suisse. Mais la taille du pays étant bien plus petite, la densité y est beaucoup plus élevée, d’autant plus que le désert du Néguev occupe la moitié de sa surface. Sa particularité est qu’il est bien sûr le seul pays au monde avec une population majoritairement juive (75%), 20% étant arabes, les 5% restant étant « sans religion déclarée ».

Son PIB par habitant est égal à la moyenne du PIB par habitant de l’Union Européenne (légèrement supérieur à l’Espagne, un peu inférieur au Royaume-Uni). C’est un pays qui possède une économie avancée industriellement et technologiquement, en particulier dans les domaines des médicaments génériques, des télécommunications et des biotechnologies. C’est le pays qui investit le plus en Recherche & Développement au monde, devant la Corée du Sud et le Japon.

Important exportateur de produits frais et leader des technologies agricoles, Israël est auto-suffisant à 95 % pour ses propres besoins alimentaires. La part de la surface agricole utile bio – d’ailleurs en diminution, de même que le nombre d exploitations – n’est cependant que de 1,1 % (2015) valeur très faible pour un pays développé. Un système de certification bio, avec une équivalence avec l’Union Européenne et les USA, a été mis en place par une loi de 2005. 60 % de la production bio sont exportés et de nombreuses productions bio se basent sur des technologies évoluées, comme I hydroponie (agriculture hors-sol).

Un lien culturel fort avec le sol et la nature

L’agriculture bio est née, certes modestement au départ, dès les années 1960 dans les kibboutz, ces structures agricoles à l’origine collectives qui ont grandement participé à la construction de l’État d’Israël. Cette construction, via la conquête de terres souvent ingrates, dans des conditions climatiques difficiles, avec une gestion optimale de l’eau en général rare, l’obligation de subvenir aux besoins alimentaires de base des nouveaux arrivants en produisant au plus près, sans dépendre d’apports extérieurs, sont autant d’éléments qui ont fait naître chez les Israéliens une conscience plutôt élevée de la fragilité de l’environnement. À cela s’ajoutent des valeurs issues de la tradition juive, qui prône le respect des hommes, des animaux et de la nature, c’est-à-dire de la « volonté du Créateur ».

Le commentaire récent (avril 2017) de Richard Schwartz, président de l’association Jewish Veg, sur le site d’information israel21c.org, suite à un article sur le développement de la consommation vegan en Israël, est en ce sens symptomatique:  » J’espère que la tendance récente vers les régimes vegan va continuer, car elle est en cohérence absolue avec les principes judaïques de préserver notre santé, de traiter les animaux avec compassion, de protéger l’environnement, de conserver les ressources naturelles et d’aider les personnes qui ont faim ». La kashrout, ce code alimentaire spécifique au judaïsme (avec des produits kasher, c’est-à-dire « aptes à la consommation ou non, alors dits taref), est sans nul doute un élément qui facilite la compréhension par les juifs israéliens du système « d’interdits qualitatifs » qui existe, dans un sens, pour la Bio ou le vegan.

Ces dernières années, la disparition progressive des campagnes (la population est à 92 % urbaine, surtout concentrée sur les régions du littoral, autour des villes de Tel-Aviv, Haïfa et Jérusalem), la pollution croissante (automobile notamment le réseau de chemins de fer est très peu développé), la médiatisation de plusieurs scandales alimentaires et des effets néfastes sur la santé de certains produits, et aussi une certaine nostalgie du temps ancien des kibboutz, ont accru le « désir de nature n des Israéliens en matière d’alimentation, avec notamment un rejet des produits industriels. Réalisée en mars 2016 par Nielsen, une étude a montré que le goût est le principal facteur d’achat (34 % des réponses), suivi de la santé (28 %) et du prix (27 %). Et 50 % des personnes interrogées ont indiqué préférer acheter des aliments produits localement (87% le faisant pour soutenir l’industrie locale).

Un lien fort existe entre les Israéliens et la terre, symbolisé par les kibboutz. Ici celui de Neot-Semadar (Photo site web officiel, DR)

Le marché de la Bio

Israël est le principal marché bio du Moyen-Orient. Pour VOTA (Organic Trade Association) basée aux USA, il se situerait autour de 90 Mio US$ en 2015, dont 71 Mio pour les aliments transformés (57,2 Mio en 2012), l’estimation pour 2017 étant de 79,2 Mio. La croissance de la consommation de ces produits transformés est estimée à 4,4 % par an pour les années 2015-2020. Ce sont surtout des fabricants locaux qui dominent le marché, sa taille limitée le rendant encore peu attractif pour les multinationales : par habitant, cela correspond (2015) à 8,6 US$ par an et par habitant (France 41,2 US$ en 2015 aussi) et à 0,2 % du marché total. Néanmoins, dans toute la zone du Moyen Orient et de l’Afrique, seule la Turquie dépasse Israël en matière de consommation de produits bio transformés.

Il faut cependant noter que les limites sont parfois floues entre kasher, bio, vegan et produits locaux cultivés traditionnellement et artisanalement, mais pas forcément certifiés bio. Ce qui est certain, c’est que le pays vit depuis peu une véritable révolution sur le plan gastronomique et culinaire, la demande étant surtout importante dans les grandes villes, avant tout dans l’agglomération de Tel Aviv, la plus dynamique et progressiste.

La grande distribution

Malgré ces chiffres globalement modestes au regard des autres pays développes, la forte tendance aux produits bio et naturels, mais aussi vegan, sans gluten (très à la mode), etc. se traduit par le fait que rares sont les supermarchés qui ne comportent pas de rayon bio, avec même parfois des produits bio et kasher en même temps. Mais les prix de l’alimentation, déjà relativement élevés, augmentent beaucoup en bio (et encore plus en bio kasher), ce qui constitue un frein à leur développement. Il faut noter ici que tous les magasins alimentaires ne sont pas kasher, certains vendant même des produits à base de porc.

Magasin Shufersal, première chaîne israélienne de distribution alimentaire.

La distribution conventionnelle en Israël est caractérisée par l’absence d’acteurs étrangers. La taille des magasins varie selon l’implantation et l’importance des villes, et ce qui est en général appelé supermarket est plutôt, à nos yeux, du niveau des supérettes. 71 % des ventes alimentaires du pays se font dans les magasins de libre-service (environ 2 000 points de vente) contre 29 % en circuit u traditionnel » (10 000 points de vente : magasins indépendants, spécialisés, marchés et foires).

Le principal acteur est Shufersal (fondé en 1958), qui possédait 263 points de vente en 2016, allant du discount au magasin premium « gourmet » en centre ville aisé. Shufersal détient 40 % du marché. Dans son rayon bio, on trouve entre autres sa marque propre, baptisée Green. Le deuxième acteur est Yenot Bitan, né en 1995 (185 magasins), qui a racheté en 2016 les magasins Mega Ba’ir (« Mega en ville »), suite à la dissolution du groupe Mega, qui fut un temps le 2e acteur de la grande distribution. Yenot Bitan a plus récemment ouvert une chaîne de magasins Shuk Medrahin pour juifs ultra-orthodoxes, comme il en existe par ailleurs (ex. Osher Ad). Parmi les intervenants importants figurent également les supérettes de proximité Tiv Ta’am – plus d’une trentaine de magasins — qui sont la plus grande chaîne vendant du porc et d’autres produits taref.

Mais il faut aussi mentionner les 46 magasins Victory (qui a aussi racheté certains points de vente Mega), AM:PM (supérettes de proximité), Rami Levi, Yohananov, etc. chez qui on trouve donc également des rayons bio. Il faut aussi noter le grand nombre de centres commerciaux en Israël, avec 350 m2 de surface commerciale par habitant contre 220 m2 en moyenne en Europe.

La distribution spécialisée

Il est difficile de donner un nombre précis de magasins spécialisés vendant des produits bio et/ou naturels. Selon nos estimations et certaines sources vues, il y en aurait entre 150 et 200 dans le pays (contre 120 en 2008), soit environ 2 fois moins qu’en France, à population égale. La majorité est située dans les agglomérations de Tel Aviv et de Jérusalem. Signifiant « nature », le mot Teva apparaît souvent dans leur nom. Leur assortiment est « classique » en la matière, proposant du frais, du sec, des compléments, de la diététique sportive, de la cosmétique, des détergents écologiques, etc.

Il existe plusieurs chaînes comme Nizat Ha’duvdevan (« La fleur de cerisier « ), fondée dès 1986, avec aujourd’hui un réseau de 30 magasins bien répartis dans tout le pays. Anise Teva a de son côté été créée en 1994. Le design et l’atmosphère de ses magasins sont particulièrement soignés. Il y en a une vingtaine, dont 7 dans la région de Jérusalem et 5 dans celle de Tel Aviv. Il y a également Eden Teva Market, dont le premier magasin (700 m2) a ouvert en 2003. Rachetée par Tiv Ta’am en 2015, cette enseigne propose environ 16 000 références. Sur ses 9 magasins, 4 sont des « shops in shop », à l’intérieur de magasins Tiv Ta’am. Il y a aussi Organic Market, appartenant à Shufersal, qui possède 7 magasins « bio » et d autres positionnés semble-t-il sur le « naturel ».

La chaîne de magasins de produits bio et naturels Nizat Ha’duvdevan est /a plus ancienne d’Israël (Photo page Facebook officielle, DR).

L’enseigne Teva Castel, née en 1999, possède quant à elle 5 magasins (dont 3 à Tel Aviv). Dédiés originellement aux compléments, à la diététique sportive et à la cosmétique, ils vendent aussi maintenant des aliments bio dont du frais (10 000 références au total). D’autres chaînes sont locales, donc avec moins de magasins, comme Zmora Organi (3 points de vente à Jérusalem).

La vente directe

La ville étant toujours très proche de la campagne en Israël, les très nombreux kibboutz produisant en bio (ou tout au moins en agriculture raisonnée), souvent avec une certification kasher, proposent en général — en plus de leurs produits vendus en supermarché – des livraisons à domicile ou au moins dans des points de collecte. Les innombrables shuk (marchés de plein air) sont une autre possibilité de se procurer des fruits et légumes bio de saison, des épices, des produits carnés, mais aussi d’innombrables produits transformés localement. Ils sont une véritable institution de consommation, très médiatisée dans le pays, promue par de nombreuses stars des médias. Les Israéliens – surtout la bourgeoisie « branchée  » – apprécient la fraîcheur et la qualité des produits qu’on y trouve. Parmi les plus réputés et les plus courus figurent le marché fermier du port de Tel Aviv, et depuis 2015, avec beaucoup de produits bio, le Paleo Market.

Le Paleo Market draîne chaque mois des milliers de visiteurs (Photo page Facebook officielle, DR)

Ce marché mensuel, qui se tient alternativement dans différentes villes, tient à la fois du marché, du festival gastronomique et de la fête locale. Fortement inspiré par le fameux « régime paléo » né aux USA, avec beaucoup de viandes, des fruits et légumes, des graines, etc., on y trouve néanmoins quand même quelques produits transformés, avec des techniques ou des ingrédients qui n’existaient pas à l’époque paléolithique, mais de fabrication artisanale et présumés « sains »

Israël, « nation vegan »

Comme avec le Bio, les Israéliens se sont pris de passion, depuis environ 6 ans, pour le vegan : les restaurants sont très nombreux (environ 400) et les produits vegan font partie de l’assortiment des rayons bio et naturels des magasins. Inspiré de la chaîne allemande Veganz, le premier supermarché vegan du pays — en fait une supérette de 100 m2 avec 4 000 articles – baptisé Gal Hayarok / Green Wave, a ouvert en juillet 2017 à Tel Aviv, ville au cœur du mouvement, où la proportion de consommateurs vegan est la plus élevée.

Selon une étude réalisée en 2015, 5 % des Israéliens seraient vegan, 8 % végétariens et 13 % proches de devenir l’un ou l’autre (en 2010, 2,6% de personnes se disaient vegan ou végétariennes). Une autre étude officielle, peut-être plus fiable, affiche quant à elle 1,7 % de vegan et 4,7 % de végétariens. Quoi qu’il en soit (et même si les Israéliens restent parmi les plus gros consommateurs de viande au monde), le ministère du Tourisme a déclaré Israël « nation vegan » Même l’armée israélienne bénéficie de menus et de chaussures vegan. Certes, beaucoup de spécialités locales (houmous, falafels…) sont naturellement vegan, mais sans doute en raison des liens proches entre véganisme et judaïsme évoqués plus haut, l’activisme pro-animal, y est réellement impressionnant et le logo « Vegan Friendly » apparaît sur plus en plus de produits. Les créateurs de Gal Hayarok prévoient d’ouvrir 5 autres magasins d’ici fin 2018.

Merci à Catherine Chavrier et Vincent Bochot.
Michel Knittel – Bio Linéaires n°75 – janvier/février 2018


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