La distribution des produits naturels et bio au Maghreb
Les trois pays du Maghreb – Algérie, Maroc et Tunisie – entretiennent des liens étroits avec la France, ne serait-ce que par leur appartenance au monde francophone. Mais leur environnement économique social et culturel est, comme on le sait, complètement différent de celui des pays européens. Ils n’échappent cependant pas à la tendance mondiale de l’émergence de la bio, dans un contexte qui est ainsi cependant tout autre.
Algérie : un marché plus qu’embryonnaire
Des trois pays du Maghreb, l’Algérie est le plus peuplé, avec un peu plus de 41 Mio d’habitants. C’est aussi le plus riche, avec un PIB par habitant de 15 000 $ environ en 2016 (France 42 300 $). Son économie est cependant très dépendante du pétrole, l’inflation annuelle y est actuellement de l’ordre de 6 %, le climat politique y est tendu et les lenteurs administratives y sont proverbiales.
La part de l’agriculture dans son PIB est de l’ordre de 13 % (France 1,5 %). En 2014, seulement 700 ha étaient cultivés en bio, représentant à peine 0,002 % de la SAU (surface agricole utile), soit la 130e place dans le monde.
La distribution bio est encore à un stade embryonnaire en Algérie. On n’y trouve pas en général de magasins bio au sens où nous l’entendons en Europe par exemple, ne serait-ce qu’en raison des différences socio-culturelles, liées à l’histoire, à la religion et aux habitudes alimentaires. Ce qui ne signifie pas que les Algériens ne sont pas à la recherche d’une alimentation saine. Car, même si ce n ‘est donc encore qu’un phénomène émergeant, la tendance du bio est inévitablement apparue, d’une part via les Algériens voyageant a l’étranger et d’autre part via l’influence des chaînes de télévision reçues par satellite.
On commence ainsi à voir, dans les grandes villes, Alger en premier lieu, des boutiques de produits diététiques, naturels et/ou « bio », alimentaires ou cosmétiques. Certaines proposent des produits de provenance et de fabrication locale (huiles alimentaires, dattes, figues, miel, tisanes, cosmétiques traditionnels), mais on voit aussi de l’importation directe de produits manufacturés, notamment de France ou d’Allemagne.
Prenant part au marché des produits naturels, il existe en Algérie – vieille tradition nord-africaine en général – près de 4 000 herboristeries, dont plus de 1 300 ont été ouvertes entre 2013 et 2016.
Elles offrent non seulement des herbes et des préparations à base de plantes, des huiles, mais aussi nombre d’autres produits naturels de bien-être et de beauté avec des allégations parfois tellement outrancières que le gouvernement en a fait fermer plusieurs centaines début 2017.
On trouve également une offre bio, très limitée, dans le commerce traditionnel, dans lequel sont actives à la fois des enseignes étrangères comme Carrefour, mais aussi bien sûr des chaînes locales de supérettes, supermarchés et hypermarchés, comme Ardis, Uno, Family Shop, Galaxy, un grand nombre étant des entreprises indépendantes. La tendance est également à l’ouverture de grands centres commerciaux régionaux. Mais le nombre total de grandes surfaces est bien inférieur à ce que l’on trouve en Tunisie : en Algérie, Carrefour par exemple n’a qu’un seul hypermarché alors qu’il y en a deux en Tunisie (et plus de 80 Carrefour Market et Carrefour Express).
Le problème est que, bien souvent, les prix pratiqués par ces grandes surfaces ne sont pas vraiment accessibles a la majorité des consommateurs, mais plutôt uniquement aux classes les plus aisées, d’autant plus que le pouvoir d’achat est à la baisse. Les Algériens continuent surtout à faire confiance aux petits détaillants : début 2016, il y avait dans le pays environ 110 000 épiceries contre une dizaine d’hypermarchés, 360 supermarchés et 2 510 supérettes.
La distribution est donc bien le maillon faible. Les produits « bio » – en fait surtout des produits non traités, car il n’existe pas de système national de certification – s’achètent avant tout sur les marchés locaux tenus par les petits producteurs, où les Algériens viennent trouver à la fois de la qualité et des bons prix.
De fait, beaucoup de consommateurs n’achètent pas de produits bio), trais en particulier, car ils les trouvent trop chers, sont déçus car ils sont parfois périmés en raison de la faible rotation, ou encore no comprennont pas la différence avec les produits traditionnels provenant des petits producteurs en général.
Les coûts élevés, du au fait que même pour les produits alimentaires conventionnels, l’Algérie n’est pas auto-suffisante (70 % de l’alimentation est importée) freinent le développement du marché et ne stimulent pas la petite croissance actuelle de la bio. Les défenseurs de l’agro-écologie locale s’insurgent devant cette situation, appelant à une valorisation des produits bio du terroir. Parmi eux figurent notamment le collectif Torba, né en 2013.
En l’absence de l’existence d’une fédération de producteurs-distributeurs de produits bio, il s’efforce d’aider les rares petits producteurs, isolés, à commercialiser leurs produits, qui sinon ne trouvent des débouchés que dans les supérettes ou pharmacies (pour les cosmétiques naturels) de leur environnement immédiat.
Torba partcipe à la création d’AMAP, mène des actions de sensibilisation à l’agro-écologie urbaine et à la permaculture, aide à la reconversion des exploitations, etc. Préférant parler plutôt « d’alimentation saine » en l’absence d’une vraie définition officielle algérienne du bio, le but du collectif est de rendre celle-ci accessible au plus grande nombre, et non d’en faire des produits de luxe qui seraient réservés à une élite.
Le Maroc: 30 % de croissance annuelle
Le Maroc, fort de près de 34 Mio d’habitants, est le pays du Maghreb qui a le PIB par habitant le plus faible (8 300 $), mais la situation politique y est stable et l’inflation limitée (1%). Comme pour l’Algérie, la part de l’agriculture dans son PIB est de l’ordre de 13 %. En 2014, 0,03% de la SAU étaient cultivés en bio (8 660 ha), soit la 152e place dans le monde.
La production biologique marocaine a commencé au milieu des années 1980 et, contrairement à l’Algérie, s’est structurée au fil des années, via la création de différentes associations, avec finalement la fondation en juin 2016 de la Fédération Interprofessionnelle du Bio (FIMABIO). Les produits bio ont surtout séduit la classe moyenne, principalement les jeunes et les femmes enceintes, la consommation débutant modestement, avec notamment l’apparition de paniers bio en provenance directe des producteurs. Un infléchissement certain a eu lieu à partir de 2011, avec, à l’initiative des mêmes personnes, d’une part la création de la société de distribution Distribio à Casablanca et d’autre part celle de La Vie Claire Maroc.
Distribio c’est aujourd’hui autour de 600 références bio, livrées à environ 800 points de vente dans tout le pays : pharmacies, parapharmacies, magasins spécialisés/diététiques, épiceries fines, supermarchés. Son catalogue offre surtout des marques importées réputées: même si les consommateurs préfèrent les produits du terroir, seules quelques dizaines de références sont d’origine locale, la difficulté étant de trouver des produits certifiés au Maroc.
La Vie Claire Maroc, première incursion à l’étranger de l’enseigne française, possède à ce jour 2 magasins à Casablanca et 1 à Rabat. Sur 300 m2, ils offrent environ 3 000 références de produits, dont un quart d’origine locale début 2016: légumes et fruits de saison, poulets, œufs, yaourts, fromages, huiles d’olive et d’argan, miel, etc. Tous deux acteurs centraux de la Bio au Maroc, la croissance de Distribio et La Vie Claire illustre la bonne santé du marché: +20 à 30% chaque année depuis 4 ans.
Hormis La Vie Claire, il n’y a pas de magasins 100% bio actuellement au Maroc, mais les clients de Distribio participent à la diffusion de la Bio dans le pays, jusque dans les petites villes. L’entreprise Les Domaines Agricoles, qui possède ses propres filières intégrées, est aussi un acteur important de la Bio et a 3 magasins (2 à Casablanca et 1 à Rabat)
Il y a bien sûr de nombreux magasins de produits diététiques et naturels indépendants proposant des produits bio (d’autres sont spécialisés dans le complément alimentaire, un marché qui croît également même s’il concerne de même les classes aisées). Il y a aussi beaucoup d’herboristeries, soit traditionnelles, soit sous la forme de superbes magasins modernes et lumineux, qui vendent également des produits naturels et de bien-être (souvent avec des allégations qui ne seraient pas autorisées en France), parfois bio, mais pas de frais.
De leur côté, les producteurs continuent d’organiser des ventes à la ferme, des marchés paysans et des livraisons de paniers dans des points relais ou même à domicile.
De façon générale, il y a peu de bio en GMS, au mieux quelques dizaines de références ponctuelles, mais on peut mentionner Marjane (une quarantaine d’hypermarchés) qui a récemment aménagé des rayons dédiés au bio. Mais, signe des temps, les supermarchés « premium » qui s’ouvrent en ce moment (Le Bô Marché, Carrefour Gourmet), intègrent aussi des rayons bio. Et de nombreux restaurants vegan apparaissent dans les villes, comme à Casablanca le Veggie, « premier fast-food veggie et bio » , ouvert il y a quelques mois, qui vise à devenir une chaîne.
Au Maroc, le bio est en général 15 à 30% plus cher que le conventionnel, les droits de douane n’étant pas sans influence. En octobre 2016, deux chercheurs de I’Ecole Nationale de Commerce et de Gestion de Casablanca ont publié les résultats d’une enquête faite auprès de 1 220 personnes. Il en ressort que 91,9% des personnes interrogées ne consommaient pas bio, 81 % de celles-ci parce qu’elles trouvaient le prix très voire « intensément cher ». 94 % de ces non-consommateurs pensaient que l’accès aux produits est très voire « absolument difficile » et 75 % d’entre eux ne « croient pas » aux produits bio.
Un des grands soucis est que le consommateur marocain ne fait pas la différence entre ce qui est bio et ce qui ne l’est pas, en l’absence d’un label de certification officiel (qui était attendu pour 2017, suite à une loi votée en… 2013). Il y a surtout une confusion avec les produits beldi, mot signifiant littéralement « du pays », c’est-à-dire traditionnel ». Le futur label attendu avec impatience parles opérateurs devrait clarifier les choses et surtout stopper les innombrables fraudes constatées en la matière.
La Tunisie, un frémissement certain
La Tunisie est le pays du Maghreb le moins peuplé, avec seulement 11 Mio d’habitants. Le PIB par habitant est supérieur à celui du Maroc : 11 600 $. L’inflation y est sensible, environ 4 % actuellement. L’agriculture représente autour de 10 % du PIB. En 2014, 139 087 ha étaient cultivés en bio, soit 1,4 %de la SAU, c’est-à-dire la 53e place dans le monde. La Tunisie est le seul pays africain et arabe à avoir une certification bio officielle, qui bénéficie d’une reconnaissance d’équivalence avec l’Union européenne (depuis 2009) et avec la Suisse (depuis 2011).
La Tunisie est elle aussi le paradis des herboristes et des « pharmacies traditionnelles », proposant des produits guérissant tous les maux. À l’instar des autres pays du Maghreb, la bio se développe lentement mais sûrement. Ici aussi, les produits bio, surtout le frais, se trouvent avant tout sur les marchés locaux, via des AMAP ou des coopératives de consommateurs qui se créent actuellement pour faire des achats groupés auprès des producteurs, Mais, le bio étant devenu une tendance forte depuis environ cinq ans, de plus en plus de magasins spécialisés apparaissent, pas vraiment en milieu rural, mais essentiellement dans les villes Tunis, Sousse, Hammamet…
Dans la plupart des cas, ces magasins ne proposent pas de frais : ils vendent surtout de la cosmétique naturelle (traditionnelle…) ainsi que des produits diététiques. Si on y trouve quelques marques locales (huiles, huiles essentielles…), l’assortiment est essentiellement composé de marques étrangères, françaises et allemandes en particulier. Sur les quelques points de vente que compte Tunis par exemple, seuls 3 ou 4 proposent du frais. Le problème, là encore, est lié à la difficulté d’avoir un assortiment varié et régulier.
En 2010, un grand marché bio de produits frais avait été créé dans l’agglomération de Tunis, a l’initiative du ministère de l’Agriculture, mais ces problèmes d’approvisionnement ont entraîné sa fermeture. Du côté des grandes surfaces, l’enseigne Carrefour (un des leaders avec Géant Casino et le discounter Aziza) avait également
tenté, de même avec le soutien du ministère de l’Agriculture, de se lancer sur le terrain du bio frais. Mais là aussi, le problème de la régularité des approvisionnements et de la diversité du choix a conduit à l’échec. On trouve quand même en GMS de l’épicerie bio et de la diététique, avec un rayon de plus en plus important. Pour des achats bio réguliers, il faut cependant se tourner vers les magasins spécialisés ou les marchés paysans.
Pour revenir aux magasins bio, nombre d’entre eux sont des émanations directes de producteurs ou de fabricants, qui veulent ainsi éviter l’écueil des difficultés liés à la distribution… et aux coûts induits par les intermédiaires. Ainsi, le magasin Elixir de Mutuelle-ville (un quartier de Tunis), qui est l’émanation d’un domaine agricole, s’est associé à d’autres petits producteurs. Plus au sud de la capitale, à Mornaguia, la ferme bio Essayem a récemment ouvert sa propre boutique de produits bio et faits maison Bio Sayem. Napolis Bio, de son côté, est un fabricant réputé (farines et flocons de céréales, couscous, bourghol, taboulé..,) qui a ouvert 3 magasins (2 à Tunis et 1 à Monastir), modernes et épurés, complétant également son assortiment avec d’autres marques.
Unique pour l’instant dans son concept en Tunisie le magasin bio Vi – pour la Nature (Photo VI ra› pour la Nature)
Parmi les beaux concepts récents de magasin bio tunisien, à ce jour unique en son genre, il faut citer Vi – pour la Nature. Ouverte il y a 6 ans, cette très jolie boutique de 60 m2 située à La Marsa, à 20 km au nord de Tunis, propose des produits frais, secs, préemballés, des boissons, des cosmétiques, des produits ménagers écologiques, de l’artisanat local, etc., en privilégiant idéalement les petits producteurs nationaux ce que le magasin importe n’existe pas sur le marché local. Et en plus d’être un espace de vente, des ateliers autour de l’écologie y sont organisés.
Merci à Nada Belhaj (Directrice Business Unit, Distribio, Ma-roc), Yosra Chaibi (créatrice de la boutique Vi – pour la Nature, Tunisie) Khaled Kalache (collectif Torba, Algérie).
Par Michel Knittel – Bio Linéaires n°74 Novembre / Décembre 2017
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