Entretien avec Anne-Laure Pérès, Directrice Générale de Le Kœur
Ce mois-ci, nous sommes partis en Bretagne, à la rencontre d’Anne-Laure Pérès qui nous présente ce magasin-coopérative en plein « kœur » de Quimper.
Natexbio : Anne-Laure, expliquez-nous comment vous en êtes arrivée à diriger aujourd’hui ce grand magasin bio qu’est la coopérative Le Kœur ?
Anne-Laure Pérès : Je suis issue d’une famille de commerçants et d’agriculteurs originaire de Bretagne, d’où mon goût pour la nature, l’humain, la mer…, et qui explique mon affection pour cette région ! Je travaille depuis l’âge de 14 ans, le milieu scolaire n’était pas trop fait pour moi :), j’ai très tôt voulu me plonger dans la « vraie vie », et le travail, c’était « mon monde ». À 18 ans, sur les conseils d’un ancien professeur qui me connaissait, j’ai intégré, grâce à lui, l’académie du Groupe Accor, une école pour futurs Directeurs dans la restauration. À cette issue, je suis devenue adjointe d’un complexe de trois points de vente de restauration et sur les dernières années également des missions de formatrice en management et en vente à temps partagés pour le siège social à Lyon. Puis j’ai souhaité revenir en Bretagne, après un accident de voiture qui a beaucoup changé ma vie, ma vision des choses. J’ai alors souhaité reprendre mes études, et obtenu l’équivalent d’un bac + 3 en gestion de commerce, l’idée étant de me rapprocher de la nature tout en conservant un pied dans le commerce. J’ai ensuite progressé au sein de l’enseigne Truffaut, démarrant par un poste en alternance, puis dans la communication, puis adjointe de 3 magasins, des remplacements en Direction, pour finir en tant que Directrice. En 2018 j’ai souhaité à nouveau me réorienter à la suite d’un nouveau changement dans ma vie, une maladie, qui m’a fait prendre conscience de nouvelles choses, et on m’a proposé cette Direction de magasin chez Le Kœur (ex Brin d’Avoine), que je connaissais juste de nom.
Aujourd’hui, je vais bien, je suis en pleine forme, proche des éléments de la mer, de la nature, en famille et je m’épanouis pleinement dans cette mission riche en projet et en sens.
Natexbio : Comment se portait l’enseigne à l’époque ? Et qu’avez-vous fait en arrivant ?
ALP : On connaissait déjà une forme de « crise » ; avec une clientèle vieillissante, une perte de fréquentation, de chiffre d’affaires ; le magasin n’était plus au goût du jour, le moral des équipes en berne… mais je connaissais bien la ville de Quimper, et je savais que le potentiel était là. Il manquait juste un projet nouveau. Avec l’équipe, je me suis immergée plusieurs mois dans le magasin, occupé tous les postes : boulangerie, traiteur, rayon bien-être, caisse, réserve… j’ai tout fait pour m’en imprégner jusqu’au bout des ongles ! Puis, nous avons échangé en interne sur les besoins de chacun, les changements attendus, que ce soit au niveau professionnel ou personnel. Nous avons aussi consulté nos clients, quelles étaient leurs attentes… et tout naturellement ce nouveau projet a émergé.
Natexbio : Le nom Le Kœur était déjà d’actualité à ce moment-là ?
ALP : Non, le magasin s’appelait « Brin d’Avoine », et le nom « Le Kœur » est venu en toute fin de projet, et n’était pas du tout prévu ! Nous n’avions pas l’intention de changer de nom, mais en fait, en donnant du sens à ce projet, toute l’équipe s’est rendu compte qu’on ne pouvait plus garder le nom « Brin d’Avoine » qui ne correspondait plus du tout à notre nouveau concept. Pour nous, « Le Kœur » traduit plus d’identité, d’ancrage local, d’ouverture à venir nous rencontrer, de vivre ensemble… notre mission, c’est le partage, dans le développement durable au sens large. Pour aller plus loin nous avons cassé les codes, changé les couleurs de l’enseigne, pour affirmer à notre clientèle locale que nous avions vraiment changé. Cette symbolique nouvelle, naturelle et ensoleillée, faite d’ocre et de brun, traduit la chaleur, l’harmonie, l’écologie, la terre, l’authenticité, la convivialité, la santé et la nature… en fait ce choix, c’était nous, tout simplement !
Ce changement d’identité, cette modernité, s’adresse aussi aux plus jeunes de nos clients, qui représentent désormais une grande part de nos consommateurs. Nous avons rassuré et conservé notre clientèle âgée « historique », et notre clientèle a désormais un profil qui rajeunit de moitié, autour de 40-45 ans. Les travaux ont été très rapides, un an en mode dégradés et seulement 15 jours de fermeture, en plein COVID, ce qui a surpris nos clients, et les a rassurés à l’ouverture quand ils ont vu tout ce confort, cette clarté, ces nouvelles démarches et services proposés.
Natexbio : Justement, parlez-nous de votre nouveau concept.
ALP : C’est d’abord un magasin alimentaire, mais aussi une coopérative, qui n’appartient à personne, chaque adhérent compte pour une voix, nous sommes tous à part égale.
Le magasin propose aussi des services :
– un cabinet bien-être : naturopathie, diététique, soins du visage bio, réflexologie, shiatsu…
– et par exemple, un nouveau service gratuit en test pour nos clientes femmes enceintes, pour un accompagnement de la grossesse jusqu’à l’accouchement. C’est basé sur des rendez-vous mensuels, avec des conseils en naturopathie gratuits, des remises de coffrets d’échantillons, des soins offerts… ce service a rapidement rencontré un très bon accueil par le bouche à oreille.
Cette initiative est venue d’un constat simple : plus on est jeune, plus on est connecté. Auparavant, trois générations vivaient sous le même toit ; aujourd’hui, ces mêmes générations vivent dans trois régions différentes ; la transmission devient donc compliquée ! Les gens s’informent par internet, mais c’est moins concret, surtout pour une jeune femme enceinte de son premier enfant. Nous nous sommes donné cette mission de pédagogie, de transmission, de partage et d’engagement. Ce service est gratuit, en accord avec nos partenaires pour lesquels nous mettons en avant leur marque. On crée ainsi de l’attachement, et on en voit le bénéfice immédiatement. C’est beaucoup plus fort qu’une simple remise d’échantillon en caisse.
Natexbio : Et c’est ainsi pour tous les services que vous proposez à vos clients ?
ALP : Non, il faut distinguer les services payants et gratuits. Le service pour la femme enceinte est gratuit, d’autres sont payants. Certains membres de notre équipe ont de multiples compétences, et peuvent assurer un service de naturopathe, d’esthéticienne ou de conseil diététique, pour lesquels nous proposons des tarifs vraiment très attractifs. Pour la réflexologie et le shiatsu, nous faisons appel à des prestataires extérieurs à qui nous prêtons notre cabinet bien-être. Le but de ces projets transversaux n’est pas de gagner de l’argent, mais d’impliquer nos clients, les parties prenantes, dans un projet commun propice au développement : l’effectuation c’est notre mode de fonctionnement.
Natexbio : Comment est organisé le magasin ?
ALP : La surface de vente est aujourd’hui de 1 000 m2, pour 21 000 références 100% bio… contre 18 000 avant les travaux. Nous avons fait le choix de la cohérence pour notre magasin, en déréférençant certains produits secs, pour développer plus l’offre en produits locaux. Nous proposons + de 250 produits en vrac, et tous les rayons classiques sont présents : frais, primeurs, épicerie sucrée, salée… mais aussi de nouveaux rayons comme l’univers de la cuisine, qui nous a paru intéressant pour compléter l’esprit «marché » du magasin. En effet, nos clients aiment aussi cuisiner, et ce serait dommage pour eux d’aller dans un hypermarché juste pour acheter un rouleau à pâtisserie ; cette offre est là pour leur faciliter la vie. Nous proposons aussi de petites gammes pour la déco, issues de l’upcycling, pour élargir progressivement notre offre, notamment au moment des fêtes. Nous avons aussi développé le rayon cosmétique, les vins, la pet food, les cuisines du monde, conserves, céréales… ainsi que d’importants services arrière, notamment une belle boulangerie à l’entrée du magasin, pour apporter un accueil humain chaleureux dès l’arrivée de nos clients. Nous avons aussi développé de beaux rayons pour la boucherie, les fromages, le traiteur avec des plats faits maison, des produits frais…
Natexbio : Votre emplacement reste stratégique dans la ville de Quimper ? Et que dire du marché actuel ?
ALP : Nous sommes en zone urbaine et avons beaucoup de concurrents autour de nous, certains ont fermé, mais nous restons encore nombreux. Notre parking de 85 places est souvent saturé ! En tant que coopérative, nous tenons à rester transparents sur nos chiffres : pour 2022 notre chiffre d’affaires va atteindre 6,4 millions d’euros, soit une perte d’environ 300 000 euros à fin décembre. Nous finissons l’année à – 4,8%, après 3 années en positifs, 2021 +6,82%, 2020 5,75% et 2019 2,06%, mais tout le monde me rassure en me disant que c’est bien au vu du contexte (rires). Cette baisse nous l’expliquons par une chute du panier moyen, aux alentours de 39 euros contre 42 auparavant, et malgré une fréquentation toujours positive à +1,99%, ce qui est certainement dû à nos actions d’animation et d’innovation.
Natexbio : Que souhaiteriez-vous rajouter ?
ALP : En janvier, c’est les résolutions ! Alors nous invitons tous nos partenaires et nos clients à partager un barbecue au pain perdu, une manière conviviale et originale pour partager idées et futurs projets en ce début d’année.
Pour février, nous nous attacherons aux enfants et surtout aux adolescents qui vivent des situations particulières depuis quelques années. Des ateliers pour les parents mais aussi pour les jeunes, cela sera un format différent.
En mai 2023, comme l’an dernier, nous allons lancer une grosse opération autour de la protection des océans, avec des ateliers, des conférences, des expositions, des temps forts comme un barbecue à libre participation, où les gens donnent ce qu’ils veulent : tous les bénéfices étant reversés à une association, nouvelle chaque année. La mer est omniprésente en Bretagne, et ce genre d’initiative plait beaucoup à nos clients, elle porte un message positif pour sensibiliser le grand public.
En septembre, nous lancerons comme l’an dernier, une opération autour de la santé et du bien-être : durant une semaine, des tests d’audition, de diabète, de pression artérielle seront proposés, ainsi que des conseils naturo-diététiques… avec la participation de la Croix Rouge, un opticien, une Doula pour les futurs mères… avec un maximum de gratuité et de nouveauté…
Vers la fin d’année, nous prévoyons des moments humains et durables dont les maîtres mots seront solidarité et réduction des déchets. Voilà pour les grands temps forts.
En 2023, nous allons également soutenir le projet WINCOOP, à notre niveau, en devenant sociétaire. C’est la première compagnie maritime bas-carbonne organisée en coopérative, un voilier conteneurs de 85m de long pouvant transporter 104 conteneurs propulsé grâce à l’énergie du vent. C’est une belle innovation low-tech comme on les aime : utile, accessible et durable !
Le Kœur est un concept à part, et nous avons encore des projets que nous allons développer progressivement, avec l’aide de nos partenaires, fournisseurs et clients qui nous suivent. Nous souhaitons aussi en interne former nos équipes, continuer à les accompagner comme nous l’avons fait, par exemple, sur la gestion des émotions. Et pour la dernière opération autour de la protection des océans, partager des moments conviviaux et utiles, aller ramasser des déchets sur la plage pour qu’ils soient analysés.
Le Kœur, c’est une communauté, et on vient chez nous parce qu’on y trouve de la convivialité, de la transversalité. Le mot de la fin sera pour l’équipe que je félicite, elle a su faire preuve de confiance et d’une grande capacité au changement.
Pour en savoir plus :
Site : www.lekoeur.bzh
Instagram : @lekoeur_cooperative
Propos recueillis par Christophe Beaubaton pour Natexbio
Classés dans : Tous