Entretien avec Antoine Lemaire de Biolinéaires
Issu de la famille pionnière du même nom, Antoine LEMAIRE exerce dans la bio depuis plus de 25 ans. Il a été co-fondateur en 1989 de la revue Bio « Du Sol à la Table » et en 2005 avec Philippe Delran du magazine professionnel Bio Linéaires. En parallèle, Il est intervenu dans différents secteurs du bio : négociant en céréales, grossiste en F&L et distributeur d’écoproduits. Il participe depuis 12 ans en tant que formateur au programme de formation du CQP Bio et de la formation continue de l’OFAB.
Natexbio : Vous n’êtes pas tombé dans la bio par hasard. Pouvez-vous nous raconter votre « éducation bio » ?
Antoine Lemaire: Je suis effectivement tombé « dans la marmite » dès mon plus jeune âge car je suis issu de la famille Lemaire qui, dès les années 1920, avec mon grand-père Raoul, puis dans les années 1960 avec mon père Jean-François et mes oncles Pierre et Claude ont mis en place les grands fondements de l’agriculture biologique en France. A ce titre, j’ai pu goûter les premiers produits bio mais aussi ceux qui étaient utilisés pour renforcer les défenses immunitaires : huile de foie morue, Chlorure de Magnésium, Lithothamne… Les premières méthodes bio les utilisaient déjà pour les animaux…
Natexbio : La bio a beaucoup évolué depuis l’époque des pionniers de l’agriculture biologique auxquels appartient votre grand-père Raoul Lemaire. Quels sont les faits marquants de l’évolution de la bio en France ?
Antoine Lemaire: La bio a fêté ses 50 ans en 2013. Jusqu’à sa reconnaissance officielle en 1981, on peut considérer que la bio s’est faite en 4 étapes : le temps des pionniers, des années 1920 à 1950, une période de rassemblement des différents militants de 1950 à 1980 avec la création de différentes associations comme l’AFRAN (Association Française pour la Recherche d’une Alimentation Normale), le GABO (Groupement des Agriculteurs Biologiques de l’Ouest) et l’AFAB (Association Française de l’Agriculture Biologique). Viendra ensuite la période de reconnaissance officielle en 1980 par un décret et la mise en place du premier logo AB français en 1985. Enfin, à mon avis, l’année 1991 avec la mise en place du règlement européen sera l’un des tournants pour la bio. C’est certainement à partir de ce moment que tout a commencé.
Natexbio : Vous êtes co-fondateur de Bio Linéaires, le magazine professionnel des points de vente Bio et Diététiques ? Comment est née l’idée de ce magazine ? Pouvez-vous nous présenter son contenu et son lectorat ?
Antoine Lemaire: Bio Linéaires est la suite logique de différents organes d’information bio créées il y a maintenant 50 ans dans la famille. Agriculture & Vie en 1964 et Du Sol à la Table en 1989. C’est aussi la rencontre avec Philippe Delran, conseil en communication opérationnel et en arts graphiques, qui est devenu très rapidement un expert reconnu dans le marché de la bio. Bio Linéaires est un média professionnel qui apporte aux distributeurs spécialisés bio et diététiques, tous les conseils et les informations pour optimiser leur point de vente. C’est-à-dire améliorer l’argumentaire des vendeurs par une meilleure connaissance des produits grâce à des fiches conseils produits, apporter des idées pour améliorer la présentation du magasin (agencement, gestion), faire découvrir les dernières nouveautés produits et informer les magasins sur leur environnement économique, social et juridique. Bio Linéaires s’adresse ainsi aux professionnels de la distribution spécialisée bio (+ de 2300 points de vente), aux fabricants, aux prestataires de service et ce en France, en Belgique, au Luxembourg et en Suisse.
Natexbio : Il y a quelques mois l’Agence Bio annonçait un gain de part de marché pour la distribution spécialisée bio face aux grandes surfaces alimentaires. Comment expliquez-vous cette bonne résistance des magasins bio ? Quels sont les atouts des spécialistes bio ?
Antoine Lemaire: On devrait avoir prochainement les chiffres 2013 de l’Agence Bio sur les parts de marché bio selon chaque canal de distribution. En attendant, si on se base sur ceux de 2012, on constate effectivement que la grande distribution a perdu 2% par rapport à 2011 en passant de 49% à 47%. Elle est revenue à son niveau de 2010. En revanche, on peut féliciter la distribution spécialisée bio qui a encore une fois de plus très bien résisté et a même gagné un point en passant de 35% à 36%. Les raisons sont multiples. Tout d’abord sur le prix qui est toujours le premier frein à la consommation des produits bio, les spécialistes bio ont su, à ce sujet, entamer une phase de professionnalisation depuis quelques années suite à la crise de 2009. Dans un premier temps en améliorant leur gestion (négociation avec les fournisseurs, gestion des stocks, référencements plus adaptés, baisse des marges, travail sur la démarque, informatisation…). Le phénomène de concentration, suite au rachat de magasins par certaines enseignes et la mise en place de nouveaux groupements de magasins a certainement eu aussi un impact sur la rentabilité. Sur l’image même de la bio (valeur, éthique, conseil, social…), le fait que les magasins bio soient plus à même de vendre du bio que la grande distribution semblent légitime et crédible pour les consommateurs !
Natexbio : Le conseil est régulièrement présenté comme un facteur clé de succès pour les magasins spécialisés bio. Quel est votre point de vue à ce sujet ? La formation professionnelle peut-elle participer à l’amélioration du conseil en point de vente ?
Antoine Lemaire: Le conseil est bien-sûr un des atouts pour distinguer le magasin bio des autres circuits de distribution. Les clients viennent avant tout pour les produits bio mais en veulent davantage. Ils sont de plus en plus exigeants et souhaitent avoir le maximum d’informations sur les produits. La formation professionnelle est donc indispensable. Les différents programmes de formation mis en place il y a maintenant 12 ans en partenariat avec le syndicat SYNADIS, la FNDE, l’AFFLEC, l’IFOPCA, l’OFAB à travers les CQP Bio « vendeurs conseil en produits biologiques » et la formation continue pilotée par l’OFAB apportent des solutions. Rappelons que près d’une centaine de magasins ouvrent par an et que de nombreux nouveaux vendeurs arrivent en magasins bio sans qualification « bio »…
Natexbio : En tant que consultant et spécialiste du marché bio, quelle est votre vision du marché français dans les 10 prochaines années ?
Antoine Lemaire: Le marché de la bio va obligatoirement continuer de progresser. Tout en restant modeste, je pense que nous sommes dans le vrai et avons du bon sens. En effet, en analysant toutes les informations que nous collectons sur le plan environnemental, social, éthique et sur la santé l’avenir ne semble pas très encourageant pour les générations futures : augmentation des pollutions, effet de serre, baisse de la fertilité des sols, accroissements des cancers, etc. La bio permet peu à peu de faire prendre conscience aux gens qu’il y a des solutions. Prenons simplement l’exemple du chômage. Il faut savoir qu’il y a 59% d’emplois en plus dans une exploitation bio que dans le conventionnel. Les exploitations bio génèrent plus d’emplois que les exploitations conventionnelles : 2,4 Unités de Travail Annuel (UTA) en bio contre 1,5 en moyenne.
Il suffit aussi d’observer autour de nous. Tous les marchés bio augmentent depuis des décennies, alors pourquoi pas nous ! Par exemple, le marché bio allemand a progressé de 7,2 % en 2013 par rapport à 2012. D’après le rapport de TeschSci Research1, le marché alimentaire bio des Etats-Unis devrait progresser de 14 % en moyenne par an durant la période 2013-2018. En France, je rappellerai que la valeur des produits bio consommés par les ménages à leur domicile s’est élevée à plus de 4 milliards d’euros TTC en 2012. Elle a doublé par rapport à 2007. 2013, selon nos informations, risque d’atteindre les 4,5 milliards. Enfin, le marché de l’alimentation bio représente 2,4% du marché alimentaire total en 2012, contre 1,3% en 2007. Il y a encore des marges de progression !
Natexbio : Vous étiez exposant au salon Natexpo 2013. Quel bilan tirez-vous de ce salon ?
Antoine Lemaire: Je suis un fidèle de ce salon car j’y participe depuis 1991. Selon moi, c’est le salon incontournable de la filière. Dans un secteur qui évolue très vite, les acteurs économiques ont besoin de rendez-vous pour se retrouver. Il faut donc continuer dans ce sens. J’encourage donc tous les opérateurs de la bio, de la diététique, des compléments alimentaires et des écoproduits à y être présent.
Propos recueillis par Natexbio
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