Entretien avec Brooks Wallin, Président d’Organic Stories

Président d’Organic Stories, holding qui réunit les sociétés Prosain et Favrichon & Vignon , Brooks Wallin nous fait découvrir son parcours hors du commun, de l’univers de la finance et des grandes entreprises, jusqu’à la PME et la passion de la Bio, ainsi que sa vision du marché.

Natexbio : Brooks Wallin, parlez-nous un peu de votre parcours atypique parmi les chefs d’entreprises de la Bio en France.

Brooks Wallin: « Comme vous l’avez surement remarqué, j’ai conservé un bon accent américain (sourire), bien qu’ayant passé la moitié de ma vie en France, après avoir épousé une française et vivant sur le territoire depuis 1988. Dans la première partie de ma vie professionnelle, aux Etats-Unis, j’ai été géologue et géophysicien, une expérience très enrichissante, qui m’est encore utile aujourd’hui. Puis, à mon arrivée en France, j’ai fait le choix de travailler dans les « affaires » en tant que banquier d’entreprises pendant 5 ans : un démarrage qui fut difficile pour moi, mais qui m’a permis d’être à l’aise avec les chiffres et la gestion des entreprises. Je suis ensuite passé durant 4 ans par le groupe Total, à un poste financier également. »

Natexbio : Alors, comment s’est fait ce virage vers le Bio ?

Brooks Wallin : « En 1999, j’ai eu l’opportunité d’occuper le poste de directeur financier au sein de l’entreprise « Le goût de la vie », fabricant et distributeur de produits Bio, une expérience qui m’a permis de découvrir et d’aimer cet univers du Bio.

Grâce à mon histoire familiale et plus particulièrement celle de mon père qui travaillait dans les céréales, j’ai acquis des connaissances et développé une passion pour l’agroalimentaire. Plus tard, j’ai eu l’opportunité de concilier mes envies professionnelles et ma vocation pour la Bio en rachetant la société Favrichon & Vignon en 2003, puis la société Prosain l’année suivante, et depuis 22 ans je n’ai cessé de développer ces deux entreprises, qui sont reliées aujourd’hui par la holding Organic Stories. »

Natexbio : Justement, parlez-nous d’Organic Stories.

Brooks Wallin : « Avant toute chose, je voudrais rappeler que dans la Bio, beaucoup d’entreprises et de personnes ont vécu des années de galère, et certaines sociétés n’ont pas survécu. Aujourd’hui, nous sommes particulièrement fiers de posséder deux belles marques qui ont su traverser les crises que la Bio a pu subir en France : 53 ans d’existence en bio pour Prosain, 131 ans dont 47 ans en bio pour Favrichon. Ce n’est pas rien, cela mérite d’être souligné car je ne pense pas qu’il y ait d’autres exemples sur le marché français. Au sein d’Organic Stories, en plus de nos activités de fabricant de céréales du petit déjeuner et de conserverie, nous avons aussi une exploitation maraîchère expérimentale : la SCEA « Terra d’Estrelles ».

Natexbio : Pouvez-vous nous en dire plus sur cette ferme expérimentale, Terra d’Estrelles ?

Brooks Wallin : « Nous avons démarré cette exploitation agricole il y a maintenant trois ans. Actuellement, sa surface est de 18 hectares, et elle continue de grandir. Nous y cultivons des légumes d’été, des plantes aromatiques, et possédons aussi 300 arbres fruitiers ainsi que des ruches. 

L’idée de départ était d’avoir une filière locale de fruits et légumes pour alimenter l’atelier de transformation de Prosain tout proche, mais cela s’est vite transformé en un laboratoire à ciel ouvert pour expérimenter de nouvelles pratiques agricoles, et d’un outil pour transmettre ce savoir-faire aux générations futures, en particulier la maîtrise des technologies liées à l’agro foresterie et la biodynamie.

Prendre un virage dans l’alimentation, être plus autonome, faire connaître et transmettre autour de nous en faisant la promotion de l’agriculture biologique, de la biodynamie, de l’apiculture, remettre en place ce que les « anciens » faisaient déjà…voilà notre objectif. »

Natexbio :  Et quelles sont les valeurs ajoutées de vos produits ? Comment font-ils la différence dans un univers assez concurrencé ?

Brooks Wallin : « J’ai envie de vous dire que nos produits sont sains et bons, et qu’ils sont issus de recettes originales, proches du « fait maison ». Mais une de nos principales valeurs ajoutées est que, quelle que soit la marque ou la gamme de produit, nous faisons le moins de compromis possible : nous préparons de bons produits bio, avec des ingrédients locaux lorsque c’est possible et sans colorant, ni arôme artificiel. »

Natexbio : Comment distribuez-vous vos marques et produits ? Uniquement dans le réseau spécialisé ?

Brooks Wallin : « Sur 46 Millions d’Euros de chiffre d’affaires global généré par nos sociétés, 35 millions sont réalisés avec le réseau des magasins spécialisés Bio, soit plus de 75% de notre chiffre d’affaires total.  Les MSB sont depuis toujours et restent notre cœur de métier.

Nos deux marques sont très différentes, mais avec une stratégie d’approche identique : tous nos produits sont positionnés « premium », avec une attention particulière portée sur les recettes. Nous utilisons de s filières locales autant que possible, la biodynamie, des recettes qui correspondent aux attentes des consommateurs comme par exemple le vegan, sans gluten ou le sans sel…Nous sommes « clean » depuis très longtemps, bien avant que le « clean » soit à la mode, et nos choix suivent les besoins et l’activité des magasins Bio avec qui nous sommes véritablement en « écosystème ».

Natexbio : Et qu’en est-il de la grande distribution ?

Brooks Wallin : « Nous travaillons un petit peu avec la grande distribution.
Nous avons une gamme de mueslis conçus pour ce canal de distribution, sous la marque « Charles Vignon ». Ces produits, vendus à un prix juste et équitable par rapport au réseau spécialisé, dont différents de leur équivalent en MSB : la recette, le packaging et la marque diffèrent.

Nos marques Prosain et Favrichon ne sont pas en grande distribution, elles sont commercialisées exclusivement en magasins spécialisés Bio. Notre présence est historique en magasins spécialisés Bio : nous restons fidèles à ce réseau. »

Natexbio : Et pour ce qui est du e-commerce ?

Brooks Wallin : « Nous sommes en train de réfléchir à comment s’y développer. Il est encore trop tôt pour en parler. »

Natexbio : Pouvez-vous nous donner un profil type de vos consommateurs ? Pourquoi apprécient-ils autant vos produits ?

Brooks Wallin : « Comme nous venons de l’évoquer, nos produits ont un positionnement premium, nos recettes sont uniques, nos ingrédients locaux, et notre collaboration est très forte avec les magasins bio. C’est avant toute chose ce que recherchent nos consommateurs. Il y a aussi l’image de la marque, installée depuis longtemps. Dans les années 70 déjà, la marque Prosain était très présente et intégrée en MSB, représentant parfois 80% des assortiments en magasin bio, c’est énorme ! Aujourd’hui encore, les consommateurs les plus âgés de ces magasins restent très fidèles à la marque, gage de bons produits, sains et de qualité.»

Natexbio : Quels sont les engagements d’Organic Stories en terme de RSE ? Quelles actions concrètes ?

Brooks Wallin : « Pour chacune de nos entreprises, nous jouons la carte de l’intégration locale.Terra d’Estrelles est un bon exemple puisque le site a vocation à aider nos partenaires agricoles locaux et à sensibiliser, les étudiants et scolaires de la région, à une agriculture durable. Par ailleurs, le sujet de la séquestration du carbone dans le sol est important pour nous.Chez Terra d’Estrelles, nous allons essayer, grâce à la technique de Biochar, de fixer plus de carbone dans les sols, afin de les enrichir en pouvoir nutritif, et aider ainsi nos producteurs à adopter des techniques plus vertueuses.

Prosain achète beaucoup de fruits et de légumes de la région, et contribue ainsi au rayonnement local.

En termes d’économies d’énergie, nous développons fortement l’énergie solaire chez Prosain, avec une nouvelle tranche de panneaux prévus en 2022.

Chez Favrichon, nous travaillons actuellement sur un projet local en faveur de l’environnement et à destination des plus jeunes, qui aboutira l’an prochain.

Pour ce qui est des emballages nouvelle génération, nous travaillons sur différentes pistes dont je ne peux vous parler dans l’immédiat.

Enfin, la création d’une fondation est en cours, en lien avec Terra d’Estrelles. Celle-ci aura pour mission l’expérimentation en matière d’agroécologie, de biodynamie, d’agroforesterie… Et la transmission des savoirs et savoir-faire liés à ces recherches. Nous en reparlerons d’ici peu. »

Natexbio :  Cela fait des années que vous êtes présent au salon Natexpo, serez-vous là en 2021 ? Que vous apporte cette présence en salon ?

Brooks Wallin : « Oui bien sûr, nous n’avons raté aucun salon depuis 17 ans, et nous y serons toujours présents. C’est le seul rendez-vous professionnel de l’année en France, il est incontournable à mes yeux. Avec l’importance croissante donnée à la dimension locale, il est devenu beaucoup plus important que d’autres salons européens et internationaux, en tout cas pour les marques françaises. J’ai passé 15 ans au conseil d’administration de Natexbio, et toujours milité pour que le salon Natexpo devienne annuel. C’est chose faite depuis 2018 avec l’édition lyonnaise une année sur deux, et c’est essentiel pour que les marques et les distributeurs puissent discuter ensemble de leur avenir. »

Natexbio : Votre vision du marché pour les années à venir ?

Brooks Wallin : « Il y a 20 ans, on ne savait pas si le marché Bio allait se développer. Aujourd’hui, on sait qu’on a eu raison d’y croire en constatant la bonne santé du marché d’une année sur l’autre. Je pense qu’en 2021 et 2022 la Bio va de gagner du terrain, notamment dans l’agriculture.  Les modèles alimentaires changent, ils deviennent plus locaux,et la Bio ne s’invite pas que dans les magasins, on la voit maintenant de plus en plus dans les cantines et les restaurants, même s’ils sont fermés actuellement.

Au final, Organic Stories est simplement l’outil qui fédère nos sociétés, qui leur met à disposition une plate-forme de compétences pour que chaque entreprise puisse exprimer ses talents pour se développer de manière autonome, à l’intérieur d’un système de valeurs qui nous réunit. 

Le véritable intérêt est de construire des acteurs locaux, avec des pouvoirs de décision sur place, au lieu de suivre la logique de groupes nationaux intégrés. »

Propos recueillis par Christophe Beaubaton pour Natexbio