Entretien avec Damien Sineau, Président de Cosmébio

« Nous allons avoir des prises de parole beaucoup plus militantes »

Nommé président de Cosmébio en juillet dernier, le gérant d’Alphanova Santé place son mandat sous le signe du combat pour la défense des valeurs de la cosmétique bio. Contre les marques dont l’allégation d’origine naturelle ne repose pas sur une démarche de certification, mais aussi en faveur d’une expansion internationale du label Cosmébio.

Natexbio : Damien Sineau, à quand remonte votre histoire personnelle avec la cosmétique bio ?

Damien Sineau : Après la revente de la société ADDAX en 2002 au groupe OMEGA PHARMA, j’ai dirigé les laboratoires Cosmédiet qui produisent des compléments alimentaires et des cosmétiques BIO. J’ai découvert la distribution bio par ce biais-là. J’ai ensuite créé Alphanova Santé en 2008 pour proposer une gamme de soins bio pour bébé. Je suis adhérent de Cosmébio depuis cette date.

Ce qui m’a toujours guidé dans mon parcours, c’est d’abord cette volonté de garantir la santé des consommateurs. J’ai ensuite été gagné par l’enjeu de respecter l’environnement et de préserver nos ressources.

Natexbio : Vous avez succédé à Romain Ruth à la tête de Cosmébio : quelles actions comptez-vous engager et quelle direction souhaitez- vous donner durant votre mandat ?

DS : Je voudrais d’abord saluer le très bon travail réalisé par Romain Ruth, je le remercie pour cela, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il demeure vice-président de Cosmébio.

Lors de mon mandat, je souhaite poursuivre deux directions majeures :

• La défense des intérêts de la cosmétique bio, avec une accélération de la communication pour clamer nos valeurs. Nous allons avoir des prises de parole beaucoup plus militantes sur la bio, mais aussi des sujets tels que le glyphosate ou les ingrédients controversés. Nous devons défendre la véritable cosmétique naturelle, vis-à-vis de celle qui se dit naturelle sans en apporter la certification.
• Étendre le développement de l’association et du label à l’échelle internationale. Nous devons aider nos adhérents à travailler à l’export, nouer des partenariats internationaux pour aspirer à une reconnaissance de Cosmébio au-delà de nos frontières, plutôt que de rester dans une approche franco-française. Le manque de notoriété à l’étranger est évidemment un frein au développement de la bio.

En parallèle à ces deux enjeux, je veux m’investir pour accroître la convergence de nos visions entre acteurs de la bio et mettre en avant ses valeurs positives. La croissance de la bio en général, alimentaire et non-alimentaire, est forcément bénéfique pour la cosmétique bio.

« On ne doit pas se contenter d’expliquer que nous sommes les meilleurs, nous devons être plus attirants »

Natexbio : Comment la cosmétique bio résiste au contexte inflationniste ? 

DS : La cosmétique bio est très touchée. Dans les magasins bio, les rayons Cosmétique et Hygiène ont subi un recul des ventes de 40 % entre 2019 et 2023. Si l’on rembobine en effet, la hausse des ventes en 2020 est artificielle car elle tient à la progression du commerce de proximité dans le contexte Covid. On a ensuite observé un freinage en 2021, puis une chute en 2022-2023 dans la distribution spécialisée. Elle s’explique en partie par la concurrence des grandes surfaces et des pharmacies, mais il y a surtout deux raisons qui sont liées l’une à l’autre : le budget cosmétique des consommateurs a diminué, et ces derniers jugent désormais nos produits trop chers compte tenu de leurs arbitrages dans ce contexte inflationniste.

Nous avons un travail de communication à réaliser chez Cosmébio pour démontrer que la cosmétique bio n’est pas plus chère que la cosmétique traditionnelle à positionnement équivalent. Nos prix sont en effet très compétitifs lorsqu’on compare le milieu de gamme ou même le luxe. Cela s’explique par le fait que nos marges sont généralement inférieures, de même que nos budgets marketing. Le ressenti des consommateurs est souvent provoqué par une comparaison faussée entre du milieu de gamme bio et de l’entrée de gamme conventionnelle par exemple.

Natexbio : Cosmébio a commandé une étude à Senseva pour mieux comprendre les comportements des consommateurs en matière de cosmétique bio. Que révèle-t-elle ?

DS : Elle indique un recul des habitudes de consommation certes, mais elle confirme aussi que le consommateur reste intéressé par nos produits. C’est une crise conjoncturelle qui aura une fin. Ce que l’on retire de cette étude, c’est que l’on doit essayer d’améliorer et notre offre et notre discours marketing afin d’aller chercher le marché là où il se trouve. On ne doit pas se contenter d’expliquer que nous sommes les meilleurs, nous devons être plus attirants.

Natexbio : Le grand défi de la cosmétique bio, c’est le combat contre le greenwashing ?

DS : Lorsqu’on présente un produit cosmétique comme naturel sans aucune certification, avec au mieux un cahier des charges interne que l’on peut faire varier selon ses desiderata, la garantie qu’il soit réellement naturel est forcément bien moindre pour le consommateur. Le combat est dès lors très déséquilibré. L’allégation de l’origine naturelle des ingrédients qui s’appuie sur la norme ISO 16128 ne dit rien d’éventuels process chimiques polluants voire dangereux pour la santé. L’enjeu pour Cosmébio est de montrer la vraie cosmétique naturelle, celle qui ne repose pas seulement sur le marketing mais sur un référentiel exigeant.

« Avec la nouvelle directive Green Claims, il ne sera plus possible d’avancer des allégations environnementales trompeuses dans un unique but marketing »

Natexbio : De quels leviers dispose Cosmébio pour lutter contre ce brouillage de pistes ?

DS :  C’est notre label qui avec 80% de notoriété en assisté est aujourd’hui le meilleur levier pour permettre au consommateur de reconnaître les vrais cosmétiques bio. D’autant plus que le consommateur comprend les engagements qu’il y a derrière le label. Notre label s’impose ainsi comme l’équivalent du label AB. On doit aussi donner plus d’informations sur les référentiels et notamment les contrôles externes. C’est eux qui attestent que les produits sont conformes au cahier des charges. En ce ce sens, la directive européenne Green Claims va nous aider. Elle doit encadrer l’utilisation des allégations environnementales pour lutter plus efficacement contre le greenwashing à l’échelle européenne. Avec Green Claims, il ne sera plus possible d’avancer des allégations environnementales trompeuses dans un unique but marketing, car il faudra qu’elles soient justifiées et étayées. Elles devront reposer sur une certification.

L’autre travail qui nous attend, c’est de rendre la cosmétique bio plus sexy. On ne doit pas oublier que la cosmétique c’est du plaisir et de l’efficacité. Le label ne doit pas être l’argument principal mais l’argument final. La cosmétique bio doit apporter de l’efficacité et des garanties sur la santé. La naturalité est un plus, et la certification doit apparaître comme la cerise sur le gâteau. On doit donc revenir à ces basiques de plaisir et d’efficacité.

Natexbio : La campagne de communication réalisée par l’agence Josiane pour Cosmébio va dans ce sens : aider les consommateurs à faire la différence entre la vraie cosmétique bio et les « fakers » ? 

DS : Cette campagne est un premier succès pour Cosmébio avec plus de 1,3 millions de personnes touchées. Elle a pour vocation de nous positionner comme des lanceurs d’alerte.  C’est la dimension militante que je souhaite impulser, en l’occurrence sur le sujet des ingrédients problématiques. Certaines marques mettent en avant l’origine naturelle en respectant le seuil de 95 % de la norme ISO 16128, mais elles peuvent inclure des produits nocifs dans les 5 % restants. Comme des ingrédients polémiques ou synthétiques tel que le BHT. Je pense aussi à l’octocrylène présent dans les produits solaires, qui a des effets nocifs pour l’environnement.

Propos recueillis par Fabien Zaghini pour Natexbio