Entretien avec Emmanuelle Mado, Directrice de Château Morillon, propriété viticole familiale

Nous sommes partis à la rencontre d’Emmanuelle Mado, Directrice de la propriété viticole familiale, Château Morillon, en appellation Bordeaux, Bordeaux Supérieur et Blaye Côtes de Bordeaux, qui produit des vins bio depuis 2007, et actuellement en transition vers la biodynamie.

Natexbio : Emmanuelle, pouvez-vous nous relater l’histoire de la propriété ? Depuis quand est-elle dans votre famille ?

Emmanuelle Mado : À l’origine il y avait un château féodal appartenant à la famille de Brun de Gadeau, puissants seigneurs de la région, et le roi Saint-Louis y séjourna en 1242. Le château fut détruit aux alentours de la révolution, pour devenir une chartreuse, rachetée par la famille Monnereau en 1794, et depuis le 1er empire, le Château Morillon resta propriété de cette même famille, qui le fit prospérer durant deux siècles. Puis, ma famille l’acquit en 2004. À cette époque, la propriété était plus ou moins à l’abandon, et le vin vendu en coopérative ; c’était un vieux rêve de mon père – fervent défenseur de l’agriculture sans pesticides et durable – d’avoir une propriété viticole et d’y faire du vin bio !

Natexbio : Le château était déjà exploité en bio ou avez-vous effectué la conversion ?

EM : Non, la production se faisait en conventionnel, et, par l’histoire de notre famille (qui possédait plusieurs magasins bio en région Parisienne), nous avons entamé la conversion en bio dès notre arrivée, et avons obtenu la certification bio en 2007. Après avoir fait une formation viticole, mon père a ainsi converti en bio nos 20 hectares de vignes et nos 20 hectares de prairies également. Nous avons pour cela été bien accompagnés par les Vignerons Bio de la Nouvelle Aquitaine. Le cabinet d’œnologie qui nous suit a bien joué le jeu également, et notre maître de chai s’est lui aussi converti avec enthousiasme au bio, et à la biodynamie, qui sera notre futur projet.

Natexbio : Parlez-nous un peu de votre gamme de vins bio.

EM : Toutes nos vignes sont en raisin rouge, et dès le début nous avons créé une gamme assez complète en Bordeaux et Blaye ; notre historique de magasins bio faisant que nous connaissions bien la demande de ce réseau en vins rouges bio. Cette année, nous avons voulu particulièrement répondre aux nouvelles attentes de consommateurs à la recherche de vins différents : nous avons pour cela sorti deux vins en mono-cépage et micro-cuvées, c’est à dire environ 3000 bouteilles de chaque (sur une production totale de 120 000 bouteilles pour la propriété) : le Malbec, un vin assez floral et fruité, ainsi que le Merlot Intégral, plus boisé. Ces vins de partage et de convivialité sont destinés au marché des cavistes et des magasins qui souhaitent mettre en avant des vins festifs et d’un abord facile. Nous ciblons aussi les CHR au niveau local et régional pour en faire la promotion.

Natexbio : Et vous avez travaillé tout de suite avec votre père à la propriété ?

EM : Je suis arrivée il y a quatre ans, mon père souhaitant prendre un peu de recul, et moi-même voulant évoluer personnellement et professionnellement vers cette nouvelle activité. À la base, je dispose d’une formation et d’une expérience en gestion et commerce ; mais avec le savoir transmis par mon père, et le travail au quotidien au contact de Xavier Grassies, notre maître de chai, je me suis vite familiarisée au métier. Aujourd’hui, je gère toute la partie commerciale et marketing de la propriété, ainsi que l’élaboration des nouvelles cuvées, toujours dans un échange très constructif avec Xavier, qui reste très à l’écoute de ce que j’ai envie de produire comme vin, à destination de nouveaux marchés.

Natexbio : Comment se porte le marché des vins bio actuellement ? Et comment vous situez-vous dans ce marché ? Au niveau national, international ?

EM : Sur le marché français, c’est à dire 50% de nos ventes, nous ne subissons pas vraiment de crise car notre implantation dans le réseau bio est solide ; nous sommes impactés parfois par les bouleversements dus aux reprises et divers rachats de certaines enseignes, mais restons assez réactifs pour rebondir sur d’autres enseignes lorsque nous ne sommes plus référencés chez l’une. Mais il faut rester toujours vigilants et dynamiques pour anticiper ce qui va arriver sur ce marché. Actuellement nous sommes distribués par Sobio, et beaucoup de magasins indépendants via des grossistes tels que Naturgie, Millésime 86, Accent bio ou encore Green Gourmet Wine.  Et nous travaillons aussi avec nos propres contacts, notamment sur la Région Parisienne. 

Pour l’export, nous collaborons avec la Place de Bordeaux et les courtiers et négociants : à l’international, nous sommes très actifs sur les marchés de l’Union Européenne, surtout les pays du nord comme la Suède, la Finlande, ou plus près avec la Belgique et l’Allemagne. Nous exportons aussi sur le Canada. Actuellement, notre principale problématique, au-delà des ventes, reste l’approvisionnement en matières sèches, surtout pour les bouteilles, et nous subissons comme tout le monde augmentation générale des tarifs.

Natexbio : Pour la première fois cette année vous avez participé au salon Natexpo à Lyon en septembre dernier ; quel retour d’expérience pouvez-vous nous faire ?

EM : L’objectif était de trouver de nouveaux circuits de distribution, et j’ai eu des contacts intéressants en local, notamment une épicerie fine bio sur Lyon qui nous a commandé toute une palette de notre nouvelle gamme ; mais aussi au niveau national avec les grossistes et les distributeurs que je connaissais déjà mais n’avais jamais rencontré physiquement. Également avec de nouveaux magasins prospects sur la Région Sud-Est, et autres réseaux de magasins intéressés par nos produits. Donc je peux dire que le salon Natexpo a été très positif pour nous, d’autant qu’il y avait très peu de producteurs exposants comme moi, trois ou quatre tout au plus !

Natexbio : Vous avez terminé les vendanges depuis quelques semaines, comment se sont-elles passées ? Et comment se présente ce cru 2022 ?

EM : Nos vendanges se sont passées dans d’excellentes conditions, et nous sommes très contents sur le plan de la qualité. Le millésime 2022 va être très solaire, et les rendements ont été très bons malgré la faible pluviométrie.

Natexbio : Après cet été caniculaire quelles incidences avez-vous constaté ? Et comment voyez-vous les années à venir ? Faudra-t-il s’adapter avec des cépages plus résistants ?

EM : Nos vignes ont bien résisté à la chaleur ; du fait de la nature de nos sols argilo-calcaires et nos modes de culture en bio qui préservent l’humidité et une certaine fraîcheur, grâce à l’enherbement entre les rangs de vigne, la préservation de la biodiversité, le développement de l’agroforesterie (nous plantons des arbres autour des vignes). Cette année nous avons introduit un nouveau cépage, le Marselan, que nous testons sur une parcelle et avons vendangé pour la première fois. C’est un cépage noir, originaire du Sud Est de la France, qui présente toutes les caractéristiques pour résister au réchauffement climatique. Le résultat de cette première vendange est très prometteur, et va donner un vin assez foncé, aux arômes de cacao, de fruits noirs et rouges, d’épices et fruits mûrs. Produit en mono-cépage, il sera commercialisé en appellation « vin de France ».

Natexbio : Quels sont vos projets pour l’année 2023 en termes d’innovation dans la production, ou de nouveaux produits ?

EM : Après la certification de nos vignes en biodynamie obtenue cette année, nous avançons sur la certification des cuvées et des bouteilles ; et allons continuer à sortir des cuvées un peu spéciales, qui sortent un peu du Bordeaux « classique », avec des formes de bouteilles originales et des codes graphiques plus dynamiques, qui nous permettent d’aller toucher plus facilement les réseaux des cavistes et des CHR et de diversifier nos réseaux. L’offre des vins bio s’est étoffée ces dernières années, la qualité de nos vins n’est plus à prouver et nous devons les vendre à un prix juste ; il faut donc se démarquer sur ces cuvées spéciales.  Notre philosophie va au-delà d’une viticulture bio et responsable, nous aimons le partage et la convivialité autour de nos vins, qui doivent rester accessibles à tous.

Pour en savoir plus : 

Site : www.chateau-morillon.com

Instagram : @chateau.morillon

Facebook : Château Morillon

Propos recueillis par Christophe Beaubaton pour Natexbio