Entretien avec Eric Gall, Directeur adjoint d’IFOAM Organics Europe
« Mieux expliquer les bénéfices de l’agriculture biologique »
Directeur adjoint d’IFOAM Organics Europe, Eric Gall est plus que jamais mobilisé pour défendre les intérêts de l’agriculture biologique dans une conjoncture tendue par l’inflation, la baisse de la consommation et la menace du label HVE. Son mot d’ordre : demeurer exigeant dans la tempête pour sortir de cette crise par le haut. Entretien.
Natexbio : La part du bio dans l’alimentation est tombée à 6 % en France en 2022. La faute uniquement à l’inflation ?
Eric Gall : Non : l’inflation est l’une des principales causes, mais ce n’est pas le seul facteur qui explique le recul de la part du bio dans l’alimentation. D’autres entrent en compte, comme le manque de visibilité et d’information sur les bénéfices des produits bio de la part des professionnels du secteur et des pouvoirs publics. Le manque de transparence sur les prix et les marges des produits bio est aussi un problème. Les grandes surfaces continuent d’appliquer un surcoût de 30 % vis-à-vis des produits issus de l’agriculture conventionnelle, même lorsque ça ne se justifie pas. Les consommateurs ont besoin de comprendre où va leur argent et quelle est la valeur ajoutée d’un produit bio. Enfin, il y a la question des labels et du greenwashing, qui engendrent de la confusion dans l’esprit des consommateurs.
Natexbio : Selon vous quelles solutions faut-il apporter pour relancer la consommation bio ?
Eric Gall : Il faut un plan d’actions pour l’agriculture biologique. D’une part il est nécessaire de mieux rémunérer les producteurs afin d’agir sur l’offre, d’autre part il faut faire en sorte d’augmenter la demande. Cela nécessite une meilleure communication sur les bénéfices de l’agriculture biologique en faveur de la santé et plus largement de la société. En parallèle, cela passe par les appels d’offres avec notamment une part plus importante de produits bio dans les cantines. Nous sommes encore loin de l’objectif des 20 % fixé par la loi Egalim au 1er janvier 2022. En 2021, nous n’en étions qu’à 6,3 % dans la restauration collective d’après l’Agence Bio… Or, augmenter la part du bio dans les cantines permet de toucher un nouveau public de consommateurs.
Natexbio : Comment le Danemark (13%), l’Autriche ou le Luxembourg (11%) font-ils pour démocratiser davantage de bio auprès de leurs consommateurs ?
Eric Gall : Le Danemark a été l’un des premiers pays en Europe à déployer un plan d’actions autour du bio dès les années 1990. Ils ont mis l’accent sur le soutien financier aux producteurs et aux organisations de l’agriculture bio, afin de peser davantage dans les négociations avec la grande distribution. C’est ce qu’ils appellent la « capacity building ». Ils ont aussi très vite été très ambitieux dans les cantines publiques. À Copenhague, la part du bio dépasse 90 % dans les écoles, sans augmentation du prix pour les collectivités grâce notamment à la formation du personnel dans les cuisines. Cela passe par exemple par la diminution de la part des restes et des déchets alimentaires. Enfin, la grande distribution réserve une part bien plus importante aux produits bio dans ses rayons. Tout cela est donc avant tout une question de volonté politique, et de mise en cohérence des différents outils.
« L’alimentation bio n’est plus considérée comme une niche pour consommateurs à fort pouvoir d’achat »
Natexbio : La Commission européenne a fixé un objectif de 25 % de la surface agricole utile dédiée au bio à l’horizon 2030. La conjoncture actuelle met-elle en péril cet objectif ?
Eric Gall : Effectivement, car les budgets nécessaires n’ont pas été mobilisés pour l’atteindre. Mais l’aspect le plus important, c’est qu’il y a un objectif, car c’est une première pour l’agriculture biologique dans l’Union européenne. C’est une reconnaissance pour les bénéfices du bio pour les producteurs et plus largement pour la société. L’objectif fixé donne une direction claire, il indique que le bio occupe une place centrale dans la transition du système alimentaire vers la durabilité. C’est un discours différent, l’alimentation bio n’est plus considérée comme une niche pour consommateurs à fort pouvoir d’achat. Alors même si l’objectif n’est pas atteint dans les délais, on tend vers une augmentation de la surface agricole utile dédiée au bio. Cela crée une dynamique.
Natexbio : Le label européen Eurofeuille était connu de six consommateurs européens sur dix en 2022. Est-il complémentaire du label AB ou leur coexistence n’est-elle pas au contraire source de confusion ?
Eric Gall : Ils sont complémentaires, ils coexistent très bien. Le double label, ça marche, c’est gage de confiance. Je ne pense pas que ça entraine de la confusion, au contraire du label Haute Valeur Environnementale…
Natexbio : Le label HVE est la cible de vives critiques et même d’attaques en justice. Pourquoi ?
Eric Gall : C’est une menace pour le développement de l’agriculture biologique, car il représente une forme de greenwashing. C’est un label moins disant, qui donne l’impression aux producteurs de faire le nécessaire pour la préservation de l’environnement alors qu’il ne va pas très loin en termes d’ambition. Il grignote des parts de marché et de la surface dans les rayons des magasins dans toute l’Europe – on l’observe notamment en Italie tout en autorisant l’emploi de pesticides ou l’utilisation d’OGM par exemple. C’est une concurrence déloyale pour les producteurs engagés dans une vraie démarche. On pourrait croire que le label HVE est une porte d’entrée pour des producteurs du conventionnel, mais cela ne se traduit pas dans les faits. Les labels Eurofeuille et AB ont une approche systémique, leurs bénéfices adressent plusieurs aspects comme la biodiversité, la qualité de l’eau et des sols ou la rémunération des producteurs. On ne peut pas les mettre en compétition avec des labels dont les bénéfices se limitent à une seule dimension comme la neutralité carbone, alors qu’ils peuvent en parallèle reposer sur une méthode de production néfaste pour le bien-être animal. La labellisation bio doit prendre en compte toutes les externalités positives et négatives.
« On ne peut pas déplorer l’interdiction des néonicotinoïdes lorsqu’on est ministre de l’Agriculture »
Natexbio : Le ministère de l’Agriculture avait annoncé une enveloppe de crise de 60 millions d’euros pour l’agriculture biologique en mai dernier. Le soutien au secteur passe-t-il uniquement par des aides publiques ?
Eric Gall : Les aides publiques sont fondamentales, car elles représentent une forme de rémunération pour les services environnementaux fournis par les producteurs bio. L’agriculture biologique apporte en effet des bénéfices très concrets pour l’environnement et la société. Un exemple : le coût en eau pour l’irrigation d’une culture de pommes de terre, qui revient à 1200 euros par hectare en conventionnel contre 0,60€/ha en bio d’après une étude effectuée en Allemagne !
Mais il n’y a pas que les aides qui sont importantes de la part des pouvoirs publics. Les instruments de régulation des marchés ont été démantelés au niveau européen, or nous en avons besoin pour soutenir le secteur et renforcer l’équilibre entre offre et demande. Pour donner une place centrale au bio dans l’agriculture biologique, les mesures prises doivent être cohérentes avec le discours. On ne peut pas déplorer l’interdiction des néonicotinoïdes lorsqu’on est ministre de l’Agriculture, cela revient à regretter l’utilisation de pesticides de synthèse avec des risques importants pour la biodiversité.
Natexbio : Quel rôle joue un rendez-vous tel que Natexpo pour les acteurs de l’agriculture biologique ?
Eric Gall : C’est un rendez-vous incontournable pour tout le mouvement en France. Il mobilise à la fois les producteurs, les transformateurs et les distributeurs. Cette nouvelle édition est une occasion de se remobiliser collectivement pour continuer à se développer et prendre toute notre place dans la transition vers un système alimentaire durable. Je suis convaincu qu’il existe une marge de progression pour les produits bio si toute la chaîne joue le jeu, avec un soutien cohérent des pouvoirs publics comme cela se voit au Danemark. Nos fondamentaux sont solides, on voit que la part du bio résiste chez certains de nos voisins. Nous nous sommes laissé porter par la croissance durant des années, à nous d’être meilleurs dans cette mauvaise passe et d’expliquer les bénéfices du bio pour continuer de verdir l’agriculture européenne.
Propos recueillis par Fabien Zaghini pour Natexbio
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