Entretien avec Fabien Foulon, Consultant pour Retail&Detail
« Lorsqu’il est raisonnable, l’écart de prix des produits bio se justifie »
Consultant expert en connaissance client et analyse de données pour Retail&Detail, Fabien Foulon a comparé les prix entre produits alimentaires bio et non-bio en réalisant une étude pour la Fédération Natexbio et La Maison de la Bio. Ses conclusions : les magasins bio sont parfois moins chers que la GMS, et certains produits bio sont compétitifs face au conventionnel. Il met également en évidence les pratiques des distributeurs qui desservent le bio. Entretien.
Natexbio : Fabien Foulon, pouvez-vous nous rappeler votre parcours dans la connaissance-client ?
Fabien Foulon : J’ai d’abord travaillé du côté des instituts d’études avant de passer dans la grande distribution afin de mener des études marketing chez Monoprix puis Biocoop.
Depuis 2018, je suis consultant en marketing avec une forte expertise dans l’analyse des données.
Avec le cabinet Retail&Detail, j’accompagne régulièrement des enseignes spécialisées dans le bio sur différents sujets et notamment celui de la connaissance-client.
Natexbio : Pourquoi avoir mené une étude pour comparer les prix des produits alimentaires bio et non-bio ?
FF : On a observé depuis l’après Covid les grandes difficultés que rencontre le secteur de la bio avec des ventes en fortes baisses. Et on sait que si ce n’est pas la seule, la raison principale ce sont les prix jugés trop élevés par les consommateurs.
Dans un contexte d’hyper inflation, les Français opèrent des arbitrages forts dans leur consommation alimentaire : ils baissent en volume et descendent en gamme pour limiter l’impact de la hausse des prix sur leur budget. Ils peuvent ainsi passer des marques nationales vers les marques distributeurs (MDD), réduire leur consommation de produits bio et même revenir aux produits conventionnels.
Natexbio : Quelle a été la méthodologie de Retail&Detail pour cette étude effectuée pour la Fédération Natexbio et La Maison de la Bio entre avril et mai 2023 ?
FF : Nous avons sélectionné plusieurs sources de données dans la grande et moyenne distribution (GMS) et les magasins bio. L’étude porte sur vingt et un produits de grande consommation et sept fruits et légumes, à la fois bio et non-bio, issus de marques nationales et de marques distributeurs. Certaines données sont publiques – celles de la revue nationale des marchés de FranceAgriMer, d’autres ont été relevées sur les principaux sites marchands des enseignes GMS et magasins bio.
« Une boisson d’avoine bio sera 4 % moins cher qu’un même produit conventionnel »
Natexbio : Quel est le premier enseignement que vous retirez de cette étude comparative des prix alimentaires bio et non-bio ?
FF : Ce qui interpelle, c’est l’écart de prix très variable d’une catégorie de produits à une autre ! En matière de jambon par exemple, un produit bio de marque distributeur en GMS peut être 2,5 fois plus cher que son équivalent non-bio. Alors qu’à l’inverse, une boisson d’avoine bio sera 4 % moins cher qu’un même produit conventionnel. De manière générale, l’écart de prix est en moyenne de 40 à 50 % entre le bio et non-bio en GMS, circuit qui a tendance à sur-marger le bio.
Natexbio : Comment expliquez-vous cet écart de prix ?
FF : Plusieurs facteurs entrent en compte. D’abord, l’écart de prix entre le bio et le non-bio tient au cahier des charges plus exigeant des produits en matière de mode de production. C’est particulièrement le cas lorsqu’il est question de bien-être animal comme dans notre exemple du jambon. D’autant que le jambon bio y ajoutera une origine France, là où le jambon conventionnel des grandes marques est souvent produit à base de porcs élevés à l’étranger. Le nombre d’additifs est par ailleurs beaucoup plus important dans la charcuterie industrielle, tandis que le jambon bio se passe souvent de nitrite et autres conservateurs.
À ce titre, l’écart de prix se justifie : les producteurs en bio peuvent l’expliquer au consommateur en mettant en avant le bien-être animal, la protection de l’environnement et le respect de la santé du consommateur. Néanmoins, cet argument peut justifier un écart moyen de 20 à 30 % ; le surplus n’est pas dû aux producteurs mais plutôt aux distributeurs voire aux marques.
Natexbio : Leur marge est plus forte sur les produits bio ?
FF : Malheureusement il n’existe pas d’observatoire des marges sur les produits bio, mais on sait que la GMS ajoute 5 à 10 points sur cette typologie de produits par rapport au conventionnel dans ses rayons. Elle se dit que les consommateurs du bio ont un pouvoir d’achat supérieur et sont donc moins sensibles au prix. Elle a également tendance à concentrer ses efforts de marge sur les produits de grande consommation tel que le soda ou la pâte à tartiner, au détriment des produits bio qui servent à les financer. On le voit aussi avec une célèbre marque de yaourt qui peut doubler le prix lorsqu’il s’agit d’un produit bio.
Puis, il est évident que le rapport de force entre les gros industriels de l’agroalimentaire et les petites PME de la bio n’est pas le même pour peser dans les négociations face aux distributeurs. Dans ce contexte d’hyper inflation, la GMS mène son combat sur les produits les moins chers pour ne pas perdre les clients les plus sensibles au prix qui seraient tentés de privilégier les hard discounteurs. Cette politique se fait au détriment des consommateurs de produits bio, au risque de les perdre au bénéfice des magasins bio qui eux sont moins chers. Les fédérations de professionnels de la bio peuvent d’ailleurs mettre en avant cela pour amener les distributeurs à revoir leurs pratiques, en démontrant le risque pour eux de perdre de bons clients.
« Cela revient moins cher d’acheter un produit bio de MDD qu’un produit non-bio de grande marque »
Natexbio : Avez-vous un exemple concret de produits bio moins chers en magasin spécialisé ?
FF : Les fruits et légumes bio : ils sont en moyenne 12 % moins chers en magasin bio qu’en grande surface. Si on compare les fruits et légumes bio dans les réseaux spécialisés, ils sont seulement 7 à 15 % plus chers que les fruits et légumes conventionnels dans la GMS. Avec cet écart de prix acceptable, privilégier le bio est vraiment intéressant à la fois pour la santé et pour l’environnement ! Et c’est un atout à mettre en avant pour les magasins bio, afin d’attirer cette clientèle prête à faire l’effort.
Natexbio : Votre étude démontre qu’une famille de 4 personnes peut intégrer 20 % de produits bio à son panier alimentaire pour le prix d’un café ou d’une cigarette par jour. Comment ?
FF : En adoptant un mode de consommation bio « tactique » afin de cibler des produits dont le surcoût reste raisonnable. Notre étude démontre par exemple que sur certains produits de grande consommation, cela revient moins cher d’acheter un produit bio de marque distributeur qu’un produit non-bio de grande marque ! L’exemple le plus frappant, c’est le sachet de riz basmati affiché à 1,68 euro en MDD bio, contre 3,13 euros en marque nationale non-bio. Presque du simple au double ! Il est possible de trouver des produits bio avec un écart de prix inférieur ou égal à 20 % par rapport au conventionnel dans une grande variété de catégories : le café, l’huile d’olive, la farine, les pâtes, le jus d’orange… On peut aussi inclure des produits bio d’origine animale comme le steak haché frais, le beurre, le lait, les yaourts, l’emmental râpé ou les œufs de plein air.
Les Français ne consommeront jamais 100% de produits bio. Mais si l’on parvient à en convaincre la moitié de convertir au bio 20 % de leur consommation alimentaire, on portera la part du bio à 10 % contre 6 % actuellement.
Propos recueillis par Fabien Zaghini pour Natexbio
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