Entretien avec Gaëlle Frémont, fondatrice d’Ingrébio
Pour ce numéro spécial « Alimentation et Restauration Bio », nous sommes partis à la rencontre de Gaëlle Frémont, fondatrice d’Ingrébio, cabinet conseil pour le sourcing d’ingrédients bio issus du monde entier. Gaëlle revient sur l’actualité des ingrédients alimentaires, suite aux observations qu’elle a pu faire lors du dernier salon Biofach mi-février 2024.
Natexbio : Gaëlle, pouvez-vous en quelques mots vous présenter et nous expliquer les différentes missions d’Ingrébio ?
Gaëlle Frémont : Je suis fondatrice d’Ingrébio, ayant créé cette structure il y a déjà 11 ans. Ingrébio propose du conseil spécialisé dans les ingrédients bio, véritable interface entre les fournisseurs et les transformateurs. En amont nous apportons de la visibilité sur l’offre d’ingrédients biologiques des fournisseurs, nous les aidons à développer leur offre, à trouver des marchés. Et par ailleurs, nous accompagnons en aval les transformateurs dans leur développement de produits bio, de la formulation, recherche d’ingrédients alternatifs au sourcing, c’est à dire la recherche de fournisseurs, selon leur cahier des charges.
Natexbio : Et comment allez-vous trouver ces fournisseurs ?
Gaëlle Frémont : Avant de créer Ingrébio, j’ai travaillé une dizaine d’années dans le secteur des ingrédients alimentaires, je disposais déjà du réseau et de l’expérience dans ce domaine. Au fil des ans, nous avons enrichi ce réseau, notamment en étant très présents sur les salons pour rencontrer les fournisseurs. Nous disposons également d’outils pour mieux les identifier, ce qui nous permet aujourd’hui de proposer une base de données fournisseurs très complète, mise à disposition des transformateurs via notre annuaire sur le site ingrebio.fr.
« Notre mission principale, c’est le soutien à la filière biologique »
Natexbio : Pourriez-nous nous expliquer quels sont, selon vous, les prochains enjeux sur l’approvisionnement ? Et quelles sont les filières qui montent ?
Gaëlle Frémont : Depuis 11 années d’activité en ce domaine, nous constatons que l’équilibre s’est complètement inversé : nous sommes passés en France d’un contexte où la demande était supérieure à l’offre à une situation inverse.. Nous nous retrouvons aujourd’hui dans une situation où les producteurs agricoles et fournisseurs d’ingrédients sont à la recherche de débouchés pour leurs produits bio. Nous avons vu par exemple des fournisseurs jusqu’alors essentiellement tournés vers le marché du frais s’intéresser à de nouveaux marchés industriels. Précisons aussi que ces mêmes fournisseurs se retrouvent par conséquent en concurrence sur les prix avec les importateurs. La plupart des filières sont aujourd’hui touchées par ce phénomène, certaines plus durement que d’autres, comme certaines filières animales ou les filières légumineuses.
Natexbio : Quels autres enjeux entrent alors en compte ?
Gaëlle Frémont : Je crains que le développement de produits bio soit également entravé dans les années à venir par les évolutions plus strictes de la réglementation européenne, notamment au niveau des importations. Les nouvelles règles qui vont entrer en vigueur en 2025, vont obliger les producteurs des pays tiers et les importateurs à se conformer aux règles de l’UE. C’est plutôt une bonne chose pour renforcer la confiance des consommateurs, mais les opérateurs seront-ils prêts ? L’impact sur les petits producteurs en termes administratif et financier va être fort, avec comme possibles conséquences des abandons de la certification bio ou un report vers le marché américain. Nous risquons donc de rencontrer des pénuries sur certaines matières les plus importées dans les années à venir, comme les fruits exotiques, la vanille, le cacao, le thé ou le café.
La loi anti-déforestation qui entre en vigueur en 2025 va elle aussi influencer le marché des matières premières, comme le cacao ou le café. Mais notons que les filières bio sont plus en avance sur ces problématiques de traçabilité ; on peut donc être plus optimistes à ce sujet.
Enfin, il y a un dernier enjeu dont on parle plus rarement, celui de la contamination, non volontaire des produits biologiques, du fait de la pollution croissante de la Terre et de l’utilisation des pesticides dans l’agriculture conventionnelle partout dans le monde. La réglementation bio européenne prévoit également un durcissement des mesures en cas de contamination. Depuis quelques années déjà, les organisations bio, comme le Synabio, alertent sur ce sujet en se basant sur des études scientifiques qui démontrent une perte éventuelle de 20% du marché bio dans les années à venir en raison de ces contaminations fortuites. La prise de conscience doit se faire sur cet enjeu pour la bio car nous recevons de plus en plus d’alertes sur des matières premières refusées pour cause de contamination, même en provenance des zones les plus reculées du monde…
Natexbio : Vous rentrez juste du salon Biofach. Qu’y avez-vous remarqué cette année ? Quelles tendances en matière d’ingrédients alimentaires ?
Gaëlle Frémont : Depuis une dizaine d’années de fréquentation de ce salon international, nous y découvrons toujours des pépites très intéressantes et nous avons hâte de partager comme chaque année notre compte-rendu du salon ! Malgré les crises et la morosité du marché, nous constatons sur les salons, et sur Biofach encore cette année, un dynamisme certain autour de leviers qui fonctionnent bien, comme le goût et la santé.
Les fournisseurs redoublent d’ingéniosité en proposant des saveurs aromatiques originales, ou des associations innovantes autour du goût. Je pense particulièrement aux produits de cuisine asiatique, aux sauces soja revisitées ou à leurs alternatives ; mais également aux variétés anciennes de céréales et de légumes, ou aux innovations autour des champignons…
En ce qui concerne la santé, on constate une envolée de l’offre en protéines végétales, avec de nombreuses innovations en termes d’origines ou de textures. Côté nutriments : les alternatives au sucre, notamment autour de la datte, étaient particulièrement mises en avant cette année. Et on voit aussi des choses intéressantes avec les farines alternatives à base de céréales anciennes, de graines et de légumineuses, ou à base d’oléagineux, de souchet…
Enfin, l’upcycling nous propose toujours des nouveautés, et les années à venir vont être intéressantes, sur le plan nutritionnel et environnemental, à l’exemple de la réutilisation de pulpe de cacao, ou des biscuits issus de nouveaux ingrédients revalorisés. Nous faisons une veille active sur tous ces ingrédients et identifions les fournisseurs pour les sourcer au mieux.
« Le goût et la santé sont des leviers qui fonctionnent très bien pour les ingrédients »
Natexbio : Quelles sont vos actions pour vous faire connaître ?
Gaëlle Frémont : Nous coordonnons en interne tous nos outils d’information, que ce soit le webmagazine, l’Annuaire des fournisseurs ou la newsletter. Notre site offre aux abonnés des informations utiles à tous les métiers de l’entreprise : achats et approvisionnements, R&D, formulation nutrition,… mais aussi le marketing, avec les analyses de tendances, la qualité, le suivi réglementaire. Nous proposons aussi une rubrique plus généraliste autour du commerce équitable, de la biodiversité et de la RSE… J’insiste sur le sujet des abonnements, car il donne accès pour nos partenaires et clients à une foule d’informations et de données très pointues, mises à jour régulièrement, et indispensables à leur développement de produits bio. Nous nous appuyons aussi sur différents événements pour nous faire connaître, par des partenariats comme celui mis en place avec Natexpo en 2017, année où le pôle Ingrédients & matières premières a vu le jour. Nous assurons la promotion de cet espace en y apportant toute notre expertise, en l’animant via un forum de conférences, des circuits de découverte des fournisseurs. Nous sommes aussi partenaires du salon CFIA (Carrefour des Fournisseurs de l’Agroalimentaire) qui a lieu les 12,13 et 14 mars prochains à Rennes pour la création d’un Espace bio sur le pôle ingrédients.
Natexbio : En conclusion, que souhaiteriez-vous aborder ?
Gaëlle Frémont : Sur le CFIA, nous allons mettre en avant de nombreux fournisseurs qui apportent de la transparence sur leurs filières. C’est aussi une tendance forte pour le secteur agro-alimentaire et où les acteurs bio ont vraiment une carte à jouer. Les démarches d’engagement envers les producteurs, les partenariats de long terme, le commerce équitable, la connaissance de l’origine de leurs matières premières sont de réels atouts pour les acheteurs… et les services marketing, qui ont de belles histoires à partager avec leurs consommateurs.
Pour plus d’informations, consultez le site Ingrébio, le Web-magazine & Expertise Ingrédients bio
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