Entretien avec Gérald Cartaud de KAMUT

Gérald Cartaud est coordinateur européen pour la société KAMUT, située aux Etats-Unis dans le Montana, qui commercialise le blé khorasan, un blé ancien provenant du Proche-Orient et redécouvert en Egypte au milieu du XX^ème siècle par un pilote de l’US Air Force. Il nous présente l’histoire étonnante de ce blé rare cultivé uniquement en agriculture biologique.

Natexbio : Pouvez-vous nous raconter les origines du blé khorasan et le contexte de sa redécouverte en 1949 ?

Gérald Cartaud : Pour comprendre ses origines, il a fallu d’abord identifier l’espèce. Cela a pris du temps. Après plusieurs controverses, sa taxonomie a été confirmée  en 1993 par un spécialiste de l’Idaho. Il s’agit bien d’un Triticum turgidum spp. turanicum, une sous espèce du groupe des « blés durs » que l’on nomme blé khorasan. On sait donc qu’il vient du Moyen Orient, qu’il a été cultivé en Mésopotamie et en Egypte le long du Nil. Comme beaucoup d’espèces anciennes cultivées, c’est le développement de l’irrigation et des intrants couteux qui ont précipité l’abandon des blés anciens au profit de variétés sélectionnées pour un rendement toujours plus élevé.  En 1950, le khorasan était encore cultivé en Egypte. Un pilote américain s’est procuré un petit échantillon de ce blé au souk du Caire pour l’adresser à une famille d’agriculteurs du Montana. L’origine historique du khorasan remonterait à l’époque des pharaons. La légende dit qu’il aurait été découvert dans la tombe d’un pharaon parmi les offrandes qui lui étaient destinées. Version plus romanesque mais évidemment discutable.

Natexbio : Dans quelles conditions ce blé est-il cultivé selon les principes de  l’agriculture biologique pour la première fois aux Etats-Unis ?

Gérald Cartaud : Arrivé dans le Montana, dans les années 50, il a été cultivé par quelques agriculteurs  sensibles à sa légende et curieux d’expérimenter le blé géant d’Egypte. Il a fait l’objet d’articles dans la presse locale suite à sa présentation lors d’une foire agricole du conté de Chouteau. C’est en 1964 que Bob Quinn, le fondateur de la marque KAMUT, âgé de 16 ans à l’époque, a connaissance de son histoire pour la première fois. N’étant pas un blé très productif, son heure de gloire dans les prairies du Montana fut brève. Il faudra attendre 1978, alors que Bob Quinn, nouvellement diplômé de l’université de Davis en Californie, s’est souvenu de ce blé géant d’Egypte en dégustant sur les bancs de la fac un encas à base de « maïs géant ». C’est le fameux déclic qui a décidé Bob à retourner à la ferme familiale dans le Montana. Ayant pu acquérir un petit échantillon de grains retrouvé par chance dans un recoin d’une ferme voisine, c’est à partir de là qu’avec son père, ils ont commencé à semer et à multiplier chaque année leur échantillon de blé. La ferme familiale était déjà basée sur un système de culture extensif, typique des prairies sèches nord-américaines. Depuis, ils n’ont pas cessé d’expérimenter des méthodes de culture plus autonomes, durables et largement axées sur la biodiversité jusqu’à obtenir les conditions idéales pour révéler les qualités du blé khorasan. A tel point qu’en 1986, ils décident de convertir par étape les 1300 ha de terre à l’agriculture biologique. Aujourd’hui, Bob Quinn a mis en place une rotation de 9 ans, intégrant de nombreuses céréales, des légumineuses pour améliorer la fertilité du sol et des oléagineux comme le carthame. Cette huile bio extraite à la ferme est valorisée en huile de friture, puis recyclée pour couvrir la totalité des besoins en carburant de la ferme.

Depuis lors, le blé khorasan KAMUT® est cultivé uniquement en agriculture biologique sous contrat et selon un cahier des charges propre à la marque KAMUT. Nos 250 agriculteurs bio partenaires sont situés dans la  région des hautes prairies sèches situées à plus de 1000 m d’altitude qui s’étendent entre le Montana et les provinces du Canada au sud du Saskatchewan et de l’Alberta.

Natexbio : La société KAMUTest pionnière dans la production et l’exportation de ce blé rare, encore peu connu en France. Pouvez-vous nous présenter ses caractéristiques et valeurs nutritives, ses modes de consommation…

Gérald Cartaud : C’est vraiment à ses qualités exceptionnelles à la fois  gustatives et nutritionnelles que l’on doit son succès. Le blé khorasan KAMUT® est particulièrement riche en protéines solubles (acides aminés), en oligo-éléments comme le sélénium, le zinc. Depuis le début, nous recevons des témoignages de consommateurs « non cœliaque », ayant une sensibilité aux  blés modernes qui constatent une amélioration nette de leurs symptômes en consommant des produits au blé khorasan KAMUT®. C’est d’ailleurs ce qui a motivé notre programme de recherche pour comprendre ces effets sur la santé. Aujourd’hui, Kamut Enterprises of Europe coordonne et finance en partie, de nombreuses recherches scientifiques. Les publications révèlent qu’un régime à base de blé khorasan KAMUT®, en comparaison avec des blés modernes, améliore nos capacités à lutter contre le stress oxydatif et l’inflammation. Une étude publiée récemment dans le « British Journal of Nutrition » démontre qu’un effet positif a été constaté chez des personnes souffrant du syndrome du côlon irritable…En France, vous trouverez ce blé sous de multiples formes et nous veillons à ce qu’il soit aussi transformé selon le cahier des charges de l’agriculture biologique en farine, pain, pâtes italiennes, biscuits, boulgour, semoule, pizza, boisson végétale, bière, etc…

Natexbio : Pourquoi avoir labellisé ce blé avec l’appellation KAMUT® ? Etes-vous la seule société habilitée à cultiver et à commercialiser cette céréale aux Etats-Unis, en Europe et dans le reste du monde ?

Gérald Cartaud : La marque KAMUT qui signifie « blé » en Egyptien ancien, a été créée en 1988 par la famille Quinn. Bob Quinn percevait depuis des années déjà la qualité unique du khorasan ancien et a voulu la protéger. Kamut Enterprises of Europe est copropriétaire de la marque, mais ne possède pas le blé khorasan.  KAMUT® est une garantie d’origine et de qualité, un cahier des charges privé du champ à la table. Il garantit jusqu’au consommateur final (i) que le label bio soit respecté, (ii) que la variété ancienne de khorasan soit pure et préservée (pas de croisement), (iii) que les critères de qualité du grain soient atteints, et (iv) qu’un référentiel de transformation et d’étiquetage des produits assure aux consommateurs un aliment de haute qualité à base du blé khorasan KAMUT®. Le blé khorasan est quant à lui libre de droit puisqu’il s’agit d’une population ancienne et non d’une Obtention Variétale. Chaque cultivateur où qu’il se trouve, a le droit, fort heureusement, de semer ce qui appartient au patrimoine de l’humanité.

Natexbio : Quelles sont les grandes étapes chronologiques de la commercialisation et de la transformation de ce blé en produits diététiques et biologiques ?

Gérald Cartaud : Le blé est cultivé sous contrat avec des agriculteurs bio. Le grain est nettoyé, stocké, alloté puis conditionné dans des containers de 21 tonnes. Ceux-ci sont acheminés par train puis par bateau jusqu’au port d’Anvers. En aparté, l’évaluation récente de l’empreinte carbone de la filière révèle un bilan carbone assez comparable au blé européen bio et largement inférieur au blé conventionnel européen. C’est notre partenaire Ostara bvba qui, au fil des années, optimise la logistique et commercialise directement à une trentaine de moulins et de transformateurs bio répartis dans toute l’Europe.

Natexbio : De quelles manières ce blé est-il commercialisé en Europe et en France? Qui sont vos clients ?

Gérald Cartaud : La grande majorité du blé khorasan KAMUT® est valorisée et consommée en Europe, où il y un vrai savoir faire artisanal et une culture du blé d’antan. L’Italie est notre principal marché. En France, nos clients historiques de 20 ans, sont Celnat et Markal. Ils transforment le grain et fournissent en farine bien d’autres artisans et industriels. Nous sommes également en lien de partenariat avec leur clients au travers d’une convention KAMUT® gratuite qui permet d’assurer jusqu’au consommateur final la traçabilité et la pureté des produits à base du blé  khorasan KAMUT®.

Natexbio : Serez-vous présent au prochain salon Natexpo qui se tiendra les 18, 19 et 20 octobre 2015 ? Pour quelles raisons ?

Gérald Cartaud : Oui, c’est un rendez-vous à ne pas manquer que nous apprécions depuis des années pour y rencontrer nos clients transformateurs et pour communiquer vers les détaillants. Nous expliquons d’où vient le blé et les spécificités du khorasan KAMUT®. C’est bien sûr l’occasion d’exposer les  produits de nos clients et de les faire goûter. Ma collègue, Nele Callebert, sera là pour vous accueillir sur notre stand à Natexpo.

Natexbio : Les professionnels des produits biologiques sont aussi des ambassadeurs du bien-être. Quelle est la formule gagnante de votre hygiène de vie ? Avez-vous un conseil à donner à nos lecteurs ?

Gérald Cartaud : Je privilégie les produits bio, et les modes de transformation qui les respectent ; j’évite les processus trop industriels basés sur l’utilisation d’additifs. Un bon pain au levain issu d’une farine semi-complète de blé ancien résume parfaitement ce qui me nourrit et me régale. Etant fils et petit fils de paysans, je tiens tout particulièrement à la biodiversité et à l’authenticité des produits biologiques que j’aime aussi cultiver et cuisiner. Cela a toujours été un moteur chez moi pour aller à la rencontre des paysans du monde entier, découvrir des paysages différents et s’enrichir de nouvelles pratiques. De façon plus concrète, si je privilégie au quotidien les produits biologiques locaux (j’espère même bientôt pouvoir profiter de mon potager sur Bois.Rameal.Fragmenté.), j’apprécie bien sûr des produits et spécialités de qualité qui viennent d’ailleurs.

Propos recueillis par Natexbio