Entretien avec Guy Deberdt, Directeur Général de KAOKA
« On attend de nous que la bio reste exigeante »
KAOKA fête ses 30 ans en 2023. Guy Deberdt – son Directeur Général – est le fils du fondateur, André Deberdt, et aussi le président du label BIOPARTENAIRE.
Dans un marché en crise, il demeure convaincu que les fondamentaux bio-équitables dans lesquels s’est engagée cette entreprise familiale spécialisée dans le chocolat sont la meilleure boussole.
Natexbio : En 2017 vous nous présentiez l’histoire de KAOKA. Pouvez-vous nous brosser le portrait de la situation actuelle de l’entreprise ?
Guy Deberdt : Jusqu’à la crise sanitaire, nous étions dans une logique de croissance de la production. Puis nous avons fait partis en effet des secteurs à bénéficier de cette période car la demande en chocolat était en hausse à ce moment-là ! Avec le confinement notamment, les personnes étaient à leur domicile et ont augmenté leur consommation, elles se sont même parfois mises à pâtisser pour préparer des gâteaux au chocolat ; l’impact a été très positif sur les ventes. Mais actuellement – et comme tout le monde –, nous subissons la crise de la bio après des années de croissance à deux chiffres, crise d’autant plus amplifiée sur le chocolat qui figure parmi les catégories de produits alimentaires qui subissent les arbitrages des consommateurs avec la perte du pouvoir d’achat. Et cela n’est pas sans conséquence sur notre façon de travailler, car notre modèle dépend exclusivement des filières que nous avons développées à l’international et au sein desquelles nous sommes très engagés. La crise vient donc complexifier ces engagements qui sont très forts sur nos filières.
Natexbio : KAOKA a développé quatre filières de cacao intégrées en Équateur, au Pérou, en République Dominicaine et à São Tomé. Quels sont justement vos engagements avec les producteurs locaux dans ces pays ?
Guy Deberdt : Nous ne faisons pas de sourcing de cacao comme la plupart des autres acteurs ; nous avons constitué des coopératives dans un modèle de co-développement en Amérique du Sud, dans les Caraïbes et en Afrique. Nous sommes souvent partis de zéro. Il faut généralement une à trois années pour développer une nouvelle filière, c’est un long processus avec des étapes de certification notamment sur le segment du chocolat bio-équitable.
Nos filières de cacao sont totalement intégrées : nous travaillons ensemble de manière exclusive. Les producteurs ne travaillent qu’avec Kaoka et nous ne travaillons qu’avec eux. Nous sommes donc liés par des engagements extrêmement forts, notamment sur les débouchés. De manière historique, Kaoka s’engage à acheter la totalité de la récolte de ses partenaires producteurs. Or, dans ce contexte de baisse de marché, maintenir nos engagements est un véritable défi !
Dans un schéma classique, une autre entreprise réduirait ses approvisionnements et n’achèterait que le strict nécessaire au niveau des matières premières.
Dans le cas de Kaoka, nous continuons d’assurer l’achat de la totalité des récoltes de nos partenaires producteurs et par conséquent, nous devons gérer une augmentation de nos stocks.
Natexbio : Quelles sont les conséquences de cette accumulation de matières premières pour votre entreprise ?
Guy Deberdt : L’avantage, c’est que le cacao, lorsqu’il est bien conservé, peut se garder plusieurs années, ce n’est pas un produit fragile. Nos entrepôts à Amsterdam – le point d’entrée du cacao en Europe – offrent des conditions de stockage réfrigéré optimales. On ne pourrait pas procéder de la même manière dans les pays producteurs, où le climat chaud ne s’y prête pas. La problématique de ces stocks qui s’accumulent est avant tout financier, bien que KAOKA soit de taille suffisante pour le supporter. Nous pouvons nous permettre de faire cela un certain temps, mais si le marché ne repart pas, nous ne pourrons pas poursuivre dans cette voie indéfiniment avec des quantités au-delà de nos besoins. Néanmoins, nous avons la chance d’être très diversifiés dans nos marchés, ce qui nous assure un certain niveau d’activité.
Natexbio : KAOKA distribue des tablettes de chocolat et du chocolat en vrac dans les magasins bio spécialisés, mais l’entreprise s’adresse également aux professionnels ?
Guy Deberdt : Nous sommes en effet également présents sur le marché des transformateurs, en fournissant aussi bien des industriels que des artisans pâtissiers, boulangers et chocolatiers. Ce marché représente environ 55 % de notre activité contre 45 % à destination des particuliers. Il a l’avantage d’être plus stable et d’afficher même une croissance sur ces derniers mois. Malgré une concurrence qui s’intensifie, nous sommes un acteur historique du cacao bio qui offre aux industriels de nombreuses garanties solides, notamment en termes de traçabilité et d’engagements sociaux et environnementaux, comme la lutte contre la déforestation.
Natexbio : Parmi les nouveaux débouchés, on peut imaginer de nouveaux produits comme une pâte à tartiner bio KAOKA ?
Guy Deberdt : Cela fait des années que nous nous posons la question ! KAOKA aurait en effet toute la légitimité de se positionner sur le segment de la pâte à tartiner, la marque étant leader du chocolat en France dans les réseaux spécialisés bio. Mais nous n’y sommes encore jamais allés en raison de l’offre déjà très large.
La période étant compliquée, les distributeurs sont plutôt dans une démarche de rationalisation de l’offre, évitant ainsi les doublons. Notre réflexion se porte plutôt sur des produits plus différenciants.
Natexbio : KAOKA exporte aussi à l’étranger, notamment au Japon ?
Guy Deberdt : Près de 20 % de notre chiffre d’affaires provient de l’export, dans le monde entier. Nous avons acquis une belle notoriété et une très bonne image sur le marché japonais, il représente plus de la moitié de nos exportations. Notre success-story au Japon est d’autant plus étonnante que paradoxalement, les consommateurs japonais sont historiquement très peu portés sur les produits bio. Ils revendiquent en effet l’espérance de vie la plus élevée au monde, alors ce qu’ils recherchent c’est avant tout la qualité. Mais nous observons toutefois une évolution des mentalités dans le contexte de changement climatique, partout les consommateurs deviennent plus attentifs à l’origine des produits et à leur mode de production. Chez KAOKA, la qualité des produits est justement la conséquence de notre politique via nos filières intégrées et de notre philosophie en matière de production bio.
Natexbio : En tant que président du label BIOPARTENAIRE, vous vous distinguez des autres acteurs du chocolat bio par votre exigence sur la dimension éthique de votre rapport aux producteurs locaux ?
Guy Deberdt : Dans le commerce équitable, vous pouvez être labellisé ou certifié sans forcément vous soucier de vos partenaires locaux sur le long terme. Cette notion est essentielle avec le label BIOPARTENAIRE, qui exige une contractualisation sur une durée minimale de trois ans afin de donner de la visibilité aux producteurs.
Quand nous nous sommes engagés au Pérou en 2015, l’histoire est partie d’une rencontre avec un petit comité d’une trentaine de producteurs qui avaient bénéficié d’un programme d’aide des États-Unis pour substituer la culture de la coca par le cacao. Nous les avons organisé en coopérative et appuyé pour développer toutes les infrastructures nécessaires à la filière et pour garantir la qualité. C’est à la fois cette aide au démarrage et le partenariat à long terme qui a permis à la coopérative de devenir le 8e exportateur de cacao du Pérou et à notre coopérative de réunir plus de 500 producteurs autour d’engagements tels qu’une rémunération plus juste, l’amélioration des conditions de vie ou encore la protection de la biodiversité.
Par ailleurs, en nous limitant à quatre filières intégrées, notre stratégie est de développer la production – elle est actuellement d’environ 4500 tonnes en tout pour KAOKA – et donc de réaliser des projets de développement plus ambitieux pour la population locale.
Natexbio : Qu’est-ce qui menace cette bio exigeante que vous incarnez chez KAOKA?
Guy Deberdt : Nous observons ces dernières années l’apparition de nouvelles origines de cacao bio à bas coût, et parallèlement des filières qui soulèvent de nombreuses interrogations. Par exemple, en Sierra Leone : il y a 5 ans, le pays ne produisait quasiment pas de cacao bio. Aujourd’hui, la quasi-totalité de la production de cacao de Sierra Leone est certifié bio et représente actuellement 25% des importations de cacao bio en Europe ! Alors que nous savons que la déforestation ne cesse de progresser dans cette région du monde et que la traçabilité est difficilement contrôlable… Nous sommes clairement sur des filières non comparables en termes d’exigences mais qui se retrouvent en concurrence sur nos marchés.
Natexbio : Le modèle bio équitable que vous défendez est-il impacté de la même façon que l’industrie agroalimentaire par l’inflation du prix des matières premières et des énergies ?
Guy Deberdt : L’impact sur le transport et les énergies est le même. Nous subissons également les variabilités du taux de change euros/dollars, nos filières étant principalement en zone dollars. Nous avons eu un peu moins d’impact que le conventionnel notamment à cause du sucre. Comme son coût a bondi en non bio, le prix du chocolat conventionnel a davantage augmenté que celui du chocolat bio !
Natexbio : Vous êtes exposant depuis plusieurs années à Natexpo. Serez-vous bien présent pour l’édition 2023 ? Et pourquoi ?
Guy Deberdt : KAOKA sera présent à Natexpo 2023 comme chaque année, car c’est un rendez-vous incontournable pour tous les acteurs de la bio donc nous nous devons d’être présents en tant qu’entreprise historique du secteur. C’est aussi une manière de marquer notre soutien aux organisateurs dans un contexte difficile. Notre présence à Natexpo, c’est un enjeu de communication autour de notre marque, mais aussi une opportunité d’échanger avec les autres acteurs présents sur le salon, ce sont toujours des moments intéressants.
Natexbio : Comment voyez-vous l’avenir de la bio ?
Guy Deberdt : Dans le contexte que nous traversons, la solution de facilité serait de renier la qualité et de négliger les filières pour tirer les prix vers le bas. De mon point de vue, il faut au contraire rester fort sur nos principes ; on attend de nous que la bio reste exigeante. C’est comme ça que nous sortirons la tête haute de la crise, en sanctuarisant notre différenciation. Notamment dans les réseaux spécialisés, car nous ne pourrons jamais remporter la compétition des prix avec la grande distribution. Nous devons donc continuer de nous différencier à travers une offre de qualité et une offre engagée. C’est tout le sens de notre combat actuel chez KAOKA.
Enfin de manière générale, pour moi la bio ne peut pas s’effondrer alors que c’est une des réponses, majeure, face au défi du changement climatique, donc je suis confiant pour l’avenir !
Propos recueillis par Fabien Zaghini pour Natexbio
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