Entretien avec Marie-Dominique Tatard-Suffern
Consultante indépendante, Marie-Dominique Tatard Suffern intervient pour le compte de Vivrao, agence conseil spécialisée dans l’approvisionnement de la restauration collective en produits bio. Elle a notamment travaillé sur le projet de la légumerie bio de Fins-les Mureaux.
Une enquête menée en mai par l’Association Santé Environnement France (ASEF) dresse un constat alarmant sur l’alimentation des enfants qui ont du mal à faire la différence entre une courgette, un artichaut, une betterave ou encore un poireau ! Qu’est ce que cela vous inspire ?
C’est aussi le constat que je fais lorsque je me rends dans les écoles et les cantines. C’est pourquoi précisément, j’ai mis en place avec nos clients, restauration concédée ou autogérée, des animations dans les cantines et les classes. Chaque fois que les carottes et/ou les betteraves de Xavier Dupuis sont proposées au menu, j’interviens pendant le temps du repas pour expliquer aux enfants en quoi ce produit est particulier (bio et local), comment il pousse, le travail de l’agriculteur et les spécificités de l’agriculture biologique. J’interviens aussi, mais sur un temps plus long, dans les classes des enseignants qui en font la demande. Le regard et les questions des enfants sont passionnants. Et si, au départ, bon nombre d’entre eux ne savent pas comment un légume pousse (notamment au-dessus et en dessous de la terre), ni faire la différence entre bon nombre de légumes, les questions qui fusent rapidement sont à la hauteur de la curiosité des enfants.
Vous organisez des visites pour les enfants au sein de la légumerie bio pour laquelle Vivrao a porté la création. Est-ce une manière de réconcilier les enfants (enclins à consommer des bonbons, sodas, biscuits et sauces industrielles) avec les aliments naturels?
C’est d’abord pour que le travail que nous menons soit totalement cohérent pour les enfants : on produit un légume en agriculture biologique et à proximité de chez eux, on leur apporte dans leur assiette en « circuit de proximité ». Nous souhaitons qu’ils saisissent toute la notion de circuit-court : proximité et rencontre avec celui qui produit pour eux, Xavier Dupuis, contact direct avec la terre et les légumes produits en plein champ, promenade sur les chemins et près des champs, compréhension de la nature et de notre interaction avec elle…Quelle meilleure leçon que celle de découvrir sur le terrain et par soi-même : voir les graines et les toucher, découvrir qu’elles peuvent se ressemer seules et voir des fleurs de carottes sauvages, tenter de découvrir les animaux qui peuplent les champs de Xavier (lapins, perdreaux, coccinelles, abeilles…), voir les légumes pousser et éventuellement si l’on vient au bon moment en arracher soi-même ?
L’introduction des produits biologiques en restauration collective est-elle une réponse efficace ? Avez-vous observé des changements positifs au sein des établissements scolaires qui proposent des légumes bio dans leur cantine ?
Bien entendu, le regard de la restauration collective a évolué ces dernières années, la demande de produits locaux est en augmentation ; plus de 100 tonnes de légumes en 4 ème gamme ont été livrées sur la Région Parisienne en provenance de la légumerie de Xavier Dupuis. L’évolution la plus importante concerne la contractualisation par la restauration collective avec les producteurs avant la mise en culture ; une double assurance – un partenariat gagnant/gagnant – qui rassure les producteurs et la restauration collective. Vincent Perrot et Gaëtan Guillemot gèrent, pour Vivrao, ces partenariats. Pour ma part, j’apporte la bonne parole aux convives qui ont soif de connaître et de comprendre.
Les objectifs définis par le Grenelle de l’environnement concernant le pourcentage de produits biologiques dans les commandes de la restauration collective publique d’Etat, vous semblent-ils suffisants ?
Ce fut un acte fort, bien suivi par les autres restaurations collectives (voir anticipé). Atteignons déjà l’objectif fixé … qui permettra l’installation ou la conversion de nouveaux producteurs en mode de production biologique. Nous en manquons encore, tout comme de diversité de production, en Région Parisienne.
L’Etat doit-il allouer d’autres moyens pour ‘éduquer’ le palais de nos enfants et varier leur assiette ?
Effectivement, mais pas que l’Etat, tous les acteurs du champ à l’assiette sont concernés. Nous attendons de l’état toujours plus de reconnaissance pour le mode de production biologique, qu’il lève les freins à la conversion. Le palais de nos enfants et la diversité dans leur assiette suivront naturellement cette évolution ; il existe de grands professionnels derrière « les fourneaux » pour exploiter au mieux les atouts des produits Bio et locaux.
La réponse doit-elle venir uniquement de l’Etat ?
Non, comme répondu précédemment, tous les acteurs sont concernés. Une loi ne servirait à rien, c’est l’engagement de tous qui fera la différence.
Quelle part de légumes consommés et/ou transformés en RC pourrait à terme provenir de légumerie ?
Il est difficile d’en fixer un pourcentage, mais un élément nous permet d’être très positif quant à l’augmentation future de ces légumes en RC : à ce jour les produits transformés en légumerie sont à 80 % servis en entrée (crudités), le légume d’accompagnement ne demande qu’à prendre une place plus importante.
L’aspect coût est souvent objecté aux approvisionnements bios. Quels conseil souhaitez-vous livrer aux cuisiniers et acteurs de la restauration collective pour compenser ce surcoût du bio ?
C’est un aspect non négligeable, pour autant nous devons être en mesure d’expliquer ces écarts : la taille des exploitations, la particularité du mode de production, la structure « artisanale » des unités de transformation, le déséquilibre des aides européennes, l’absence de charges induites dans le prix de la production conventionnelle comme le traitement des pollutions environnementales, …. En tenant compte de tous ces éléments et en actionnant ces différents leviers, le « surcoût » de la bio n’existe plus.
On peut encore diminuer ce surcoût par une optimisation des livraisons et des commandes. Le coût du transport, notamment en région parisienne, est l’un des facteurs les plus importants du surcoût.
Avec une meilleure construction des menus, en tenant compte des autres coûts entrant dans l’assiette de l’enfant (pas uniquement le coût « matière »), cet écart se réduit fortement et devient très acceptable. De nombreux exemples le prouvent, en France, même avec un pourcentage supérieur à 80 % de produits bio. La restauration scolaire de Mouans Sartoux dans las Alpes Maritimes est une organisation exemplaire : 100% de produits Bio avec une parfaite maîtrise du coût du repas.
Les professionnels des produits bio sont aussi des ambassadeurs du bien-être. Quelle est la formule gagnante de votre hygiène de vie ? Avez-vous un conseil à donner à nos lecteurs ?
Le moteur est essentiellement celui d’offrir des produits sains, gouteux, récoltés à maturité, conservés naturellement (sans conservateur, ni gaz…). Tout repose sur la traçabilité des produits que l’on choisit pour son assiette et celle de sa famille, la connaissance des agriculteurs qui les produisent et de leur métier.
Au-delà de la traçabilité, pour ma part, tout vient du plaisir de faire découvrir aux enfants et aux adultes l’origine et l’histoire de leurs aliments, de répondre à leur curiosité. Cet échange est enrichissant et rassurant pour l’avenir. Un dernier conseil, apprendre à prendre du temps pour cuisiner des produits frais et de saison.
Propos recueillis par Natexbio
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