Entretien avec Mme Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement et députée européenne
Avocate engagée depuis toujours dans la défense des causes environnementales, Corinne Lepage a été ministre de l’Environnement de 1995 à 1997. Elle a publié une trentaine d’ouvrages et a enseigné notamment à l’IEP de Paris. Présidente de plusieurs associations, elle nous parle aujourd’hui de l’une d’entre elles qui lui tient particulièrement à cœur : Justice Pesticides, une association qui rend justice aux victimes de pesticides du monde entier.
« Je voudrais tout d’abord rendre un hommage particulier à notre premier Délégué Général – Arnaud Apoteker – qui a énormément contribué au développement de l’association, et qui nous aide toujours de manière bénévole.
L’association Justice Pesticides est née dans le sillage du Tribunal Monsanto à La Haye en 2016.
À cette période, nous montions un procès citoyen dont le but était de donner un avis en droit. Nous avons été étonnés de voir à quel point les témoignages de personnes venues de toute la planète, des cinq continents, racontaient la même chose. Nous nous sommes demandé comment toutes ces victimes, partout dans le monde, d’origine et de nature très différentes, allaient-elles pouvoir se défendre face aux conglomérats de l’agrochimie tels que Monsanto, Dupont-de-Nemours (allié à Syngenta) et une entreprise chinoise, Chemchina. Ces trois mastodontes représentant 80 à 90% de l’agrochimie mondiale.
Comment, face à ces trois entités, qui forcément se parlent entre elles, l’immensité des victimes pouvait-elle répondre et s’organiser ?
C’est pour répondre à cette question que je me suis dit qu’il faudrait, a minima, créer une première étape, un outil qui mette à disposition de ces victimes les décisions de justice rendues dans le monde entier.
C’est une démarche assez analogue en définitive à celle menée en matière climatique par le Sabin Center de l’université de Columbia, mais les moyens ne sont pas les mêmes ! Nous sommes donc partis sur cette logique qui consistait à permettre de manière très simple – nous avons conçu un site très facile à consulter – aux juristes, mais aussi au grand public, d’accéder à toutes ces données. Que vous soyez un voisin, une collectivité locale, un professionnel… vous disposez de plusieurs clés d’entrée pour trouver les informations les plus utiles pour vous. À ce jour, nous avons ainsi plus de 500 décisions disponibles à la consultation, toutes faisant l’objet d’un résumé, en français et en anglais, avant d’être publiées, ce qui signifie que nos juristes ont compris, interprété et validé chacune d’entre elles.
Nous proposons sur notre site une organisation scientifique tout à fait sérieuse.
Cette première étape a été réalisée, avec les moyens que toutes les ONG connaissent, c’est à dire très modestes, avec un délégué général et un(e) stagiaire ! Je suis la Présidente, utile pour faire fonctionner l’association, présider le Conseil d’Administration et aller chercher des fonds pour l’alimenter. Mais tout le travail de saisie des décisions reste pris en charge par nos juristes.
La deuxième étape consiste à dire que, maintenant que nous disposons d’une banque de données intéressante, il faut aller plus loin et voir comment, collectivement, nous pourrions faire progresser le droit.
Nous avons constitué un fichier d’avocats qui ont tous œuvré dans les décisions publiées sur le site, et leur avons proposé de participer à un réseau mondial d’avocats défenseurs des victimes de pesticides. Ce réseau existe depuis un an maintenant, et nous allons avoir notre troisième réunion début février, avec une cinquantaine d’avocats participants. J’essaie de faire en sorte que nous n’ayons pas que des avocats français, l’intérêt étant de « recruter » des profils d’avocats sur toute la planète.
Nous réfléchissons sur la stratégie à mener à l’échelle planétaire pour faire progresser le respect du droit des victimes des pesticides.
C’est un projet très ambitieux. Parallèlement, nous tentons de faire la même chose avec un réseau de scientifiques que nous allons fédérer. Les études qui servent de base aux décisions rendues par les juges sont faites par ces mêmes scientifiques, que nous allons répertorier et organiser en réseau.
Les dons, indispensables pour faire progresser nos actions.
En 2023, ce soutien est plus que jamais nécessaire car nous pourrions faire infiniment plus, avec plus de moyens. Par exemple, avoir une version de notre site en Espagnol, afin de le rendre plus accessible au continent Sud-Américain. Actuellement ce site contient 500 décisions de justice, nous en avons au moins autant, voire deux fois plus à intégrer. Nous avons prévu de réaliser toutes ces actions, mais des moyens supplémentaires nous permettront d’y arriver en beaucoup moins de temps !
Pour publier ces décisions et faire les résumés, nous avons besoin de rémunérer nos jeunes juristes ; idem pour notre réseau d’avocats, que nous pourrions réunir plus souvent et rendre plus efficient en publiant des documents. Notre association publie une newsletter par trimestre, nous pourrions en faire une par mois… nous pourrions faire mieux dans l’intérêt général de toutes les victimes des pesticides, afin de les aider à mieux se défendre.
Nous devons donc trouver aujourd’hui de nouveaux donateurs, notamment dans le monde de la Tech, un secteur qui s’intéresse à nos actions, à l’exemple d’Act for Better Planet.
Des partenariats nécessaires avec d’autres associations
Notre Conseil d’Administration est représenté par des membres d’autres associations, comme Générations Futures, Clean Earth, l’IFOAM… et nous établissons aussi des partenariats avec d’autres ONG.
Notre association a une visibilité sur l’année, mais il faut penser à un avenir plus lointain. Quand je vois l’intérêt d’une association comme le Sabin Center sur le plan climatique, je me dis que nous pourrions obtenir la même chose pour les pesticides. Ce serait formidable de pouvoir financer des études de chercheurs pour faire progresser les contentieux en matière de pesticides mais nous n’avons pas encore les moyens de le faire. »
Pour plus d’informations ou pour faire un don : justicepesticides.org
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