Entretien avec Nicolas Bouzou
Nicolas Bouzou nous présente l’ étude macroéconomique réalisée pour le compte de la fédération Natexbio, sur le secteur de la transformation de produits bios.
Natexbio: Pouvez-vous nous présenter votre parcours et vos activités ?
Nicolas Bouzou: J’ai créé la société d’étude et de conseil Asterès il y a quasiment 10 ans. L’équipe est composée de 5 personnes. Nous avons également constitué une filiale nommée Rinzen qui propose des outils de calculs économétriques parmi les plus en pointe dans le monde. Du point de vue intellectuel, nous pensons que le principal défi des organisations que nous conseillons, qu’elles soient publiques ou privées, réside dans la réinvention face au grand cycle d’innovation des « NBPIC » : nanotechnologies, biotechnologies (nous avons développé une expertise particulière dans le domaine de la santé), impression 3D, information et sciences cognitives. Nous sommes en cela en total désaccord avec ceux qui anticipent une ère de longue stagnation.
Natexbio: Quels étaient les objectifs de cette étude demandée par Natexbio ?
Nicolas Bouzou: Les nomenclatures de l’INSEE datent des 30 glorieuses ce qui est normal puisque la plupart des instituts statistiques nationaux ont été créés après-guerre. Simplement, nous avons quitté le cycle des 30 glorieuses et nous entrons progressivement, justement dans celui des NBPIC. Mais les secteurs de l’intelligence artificielle ou du bio ne sont pas couverts. D’où la nécessité de réaliser des enquêtes et des études ad hoc pour quantifier la dynamique de secteurs comme celui du bio, dont on pressent qu’ils sont en forte croissance. Mais on ne peut pas se satisfaire d’un pressentiment, il faut mettre en place des outils de mesure rigoureux. La mutation économique doit entraîner une évolution de la « superstructure » statistique.
Natexbio: Comment avez-vous mené cette étude? Sur quelle(s) base(s) méthodologique(s) ?
Nicolas Bouzou: Nous avons procédé de deux façons. D’abord nous avons analysé les comptes de 1300 entreprises du secteur afin de constituer des données historiques sur le chiffre d’affaires, l’emploi, la rentabilité… Ensuite nous avons réalisé une enquête auprès de 110 transformateurs pour les croiser avec notre analyse des comptes mais aussi pour les compléter avec des données sur les investissements ou les exportations. Nous avons ensuite procédé à l’analyse du secteur selon notre méthodologie habituelle « top down », du macro et micro pour expliquer et étalonner les évolutions observées.
Natexbio: Vous décrivez une filière bio dynamique avec des chiffres impressionnants : une croissance de 14% en 2013, une hausse de la consommation bio de 9%…Une demande supérieure à la capacité de production. Est-ce une singularité dans l’industrie agro-alimentaire et dans le paysage économique français de façon générale ?
Nicolas Bouzou: Dans l’industrie agroalimentaire sans doute. En théorie le secteur des biotechnologies végétales devrait aussi connaître une croissance importante mais pour des raisons réglementaires et politiques son dynamisme a été entravé ces dernières années. Plus généralement, la France connaît une mutation économique « schumpéterienne » : son économie connaît à la fois une vague de destruction d’activité et une vague de créations d’activité. Le bio se trouve dans la seconde catégorie et, à mon avis, est au début de son cycle de vie, surtout si l’on arrive à lever certains freins comme les surfaces cultivables qui ne progressent pas assez vite ou des capacités de transformation encore insuffisantes.
Natexbio: A ce propos, les chiffres que vous présentez sont différents de ceux publiés par l’Agence Bio. Comment expliquez-vous cette différence ?
Nicolas Bouzou: Ce n’est tout simplement pas le même champ. L’Agence bio publie des chiffres sur la demande finale et nous sur la transformation, c’est-à-dire sur l’industrie. Il est intéressant de constater que la consommation bio est supérieure à la production, ce qui signifie bien qu’il existe une marge potentielle de progression pour la transformation.
Natexbio: L’industrie bio est caractérisée par un tissu économique composé essentiellement de TPE et de PME. Quels atouts et quelles faiblesses cela représente-il ?
Nicolas Bouzou: Nous nous dirigeons vers un double mouvement dans le secteur : d’un côté une consolidation car, c’est vrai, les entreprises industrielles françaises de la bio sont plutôt petites et, surtout, leurs marges sont structurellement en recul, ce qui est assez rare pour un secteur jeune. Je pense que c’est lié au poids de la grande distribution qui représente déjà près de la moitié de la consommation bio. Je l’ai dit, le secteur a en outre besoin d’augmenter ses capacités de production pour suivre la demande. Il y aura donc des rapprochements et des mouvements capitalistiques (on le voit déjà). Mais en même temps le marché est dynamique et très rentable sur certains segments. Nous allons donc continuer à voir émerger de nouvelles structures qui, elles, n’ont pas forcément vocation à devenir énormes.
Natexbio: Votre analyse met en lumière un double défi pour ce secteur : continuer à investir en se recapitalisant et en se concentrant, continuer à croître en répondant à la demande locale mais aussi en se développant à l’export. Comment relever ce challenge ?
Nicolas Bouzou: D’après nos chiffres, les transformateurs exportent 7% de leur production. Le déficit commercial de l’industrie agroalimentaire bio se chiffre à 31% de leur chiffre d’affaires, quand l’industrie agroalimentaire classique est en excédent à hauteur de 6%. Hormis pour le segment boissons, la part des exportations est marginale. L’export élargit pourtant considérablement les perspectives de débouchés de la production française. J’ai été frappé de voir à quel point la question des exportations restait tabou dans le secteur du bio. De nombreux dirigeants d’entreprises m’expliquent que le commerce du bio doit rester local. Quelle erreur ! Les qualités biologiques d’un aliment viennent de son mode de production, très peu des exportations. J’ajoute que les porte-containeurs réalisent des gains d’efficience énergétiques spectaculaires et que l’empreinte carbone d’une banane bio est unitairement marginale. Produisez du bio, et faites connaître le bio français dans le monde entier !
Natexbio: Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un chef d’entreprise de transformation bio ?
Nicolas Bouzou: D’exporter justement. C’est le plus grand service que vous puissiez rendre à vous-même mais aussi à votre secteur et à l’économie française.
Natexbio: Vous avez publié récemment un essai intitulé « Pourquoi la lucidité habite à l’étranger » aux éditions JC Lattès dans lequel vous tordez le cou aux pessimistes incurables qui annoncent la fin de la croissance française. Vous évoquez notamment les formidables opportunités économiques que représentent les nanotechnologies, le big data, les imprimantes 3D, les énergies renouvelables, les biotechnologies. Le bio fait-il partie de cette “troisième hyper-révolution“ en marche ?
Nicolas Bouzou: Evidemment. D’ailleurs notre étude montre que 42% des entreprises que nous avons interrogées ont lancé un nouveau produit en 2013. Et comprenons bien que le bio, ce n’est pas un retour à l’ordre naturel des choses. C’est beaucoup de technologie et de valeur ajoutée mais selon des méthodes de production très précises et notamment en délaissant les phytosanitaires du passé. Le bio est à la frontière entre l’alimentation et la santé, un peu comme les compléments alimentaires. C’est donc bien un secteur intégrant les NBPIC qui contribue à la « nouvelle croissance économique ».
Propos recueillis par Natexbio
Télécharger l’étude « La transformation bio face au défi de la croissance » (PDF)
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