La bio et la RSE : même chemin de crête !
J’ai la joie de travailler depuis dix ans dans le paysage fécond de la bio. Les pionniers m’ont parfois raconté comme ils avaient autrefois subi le dédain voir la malveillance : dans les années 70 et 80, la bio est une niche brillante, controversée et incomprise. L’ampleur et la gravité des pollutions sont peu connues, les ressources semblent infinies, les scandales du secteur alimentaire sont encore à venir, les hommes n’ont pas pris à bras le corps la question – fondamentale – de leur santé (survie?) et celle de leurs enfants. Aujourd’hui la bio fleurit, elle s’est enrichie et épanouie, elle a conquis beaucoup de terre, beaucoup de cœurs et autant d’estomacs, elle est loin d’être parfaite et aboutie, mais elle n’a plus rien à prouver. Les pionniers sont fiers, les magasins bio ne désemplissent pas, les études scientifiques qui l’encensent se succèdent, les graines se ressèment, les vieilles variétés rajeunissent, les jeunes pousses de la bio se multiplient, la cuisine se renouvelle, les vignerons s’y mettent, les ministres tentent toujours de la comprendre.
L’agriculture biologique, depuis sa genèse, se situe comme une alternative écologique à l’agriculture chimique et polluante. Le projet de cette dernière est avant tout centré sur la quantité (comment produire le maximum au moindre coût) tandis que l’agriculture biologique s’aligne dès son commencement sur une raison d’être englobante, pionnière et ambitieuse : nourrir l’homme en prenant soin de sa santé ET de celle de la planète. Cette raison d’être initiale n’est pas sans rappeler fortement les trois éthiques de la permaculture, un mouvement écologique né dans les années 70 et qui ne cesse de prendre de l’ampleur : prendre soin de la terre, prendre soin de l’homme et partager équitablement.
En 1972, (année même de la parution du célèbre rapport Meadows qui nous alertait sur les limites de la croissance), quatre principes fondateurs étaient énoncés par IFOAM[1], qui montrait la capacité absolument inédite de la bio à relier les défis contemporains majeurs : santé, équité, écologie, précaution.
- Le principe de santé : soutenir et améliorer la santé des sols, des plantes, des animaux, des hommes et de la planète, comme étant une et indivisible.
- Le principe d’écologie : être basée sur les cycles et les systèmes écologiques vivants, s’accorder avec eux, les imiter et les aider à se maintenir.
- Le principe d’équité : se construire sur des relations qui assurent l’équité par rapport à l’environnement commun et aux opportunités de la vie.
- Le principe de précaution : être conduite de manière prudente et responsable afin de protéger la santé et le bien-être des générations actuelles et futures ainsi que l’environnement.
En 1992, la première réglementation européenne sur l’agriculture biologique a le mérite d’uniformiser les pratiques et de proposer un langage commun. Elle offre à la bio d’être la filière alimentaire la plus contrôlée et la plus digne de confiance. Mais c’est aussi une première forme de simplification et d’appauvrissement qui ouvre inévitablement la voix à une bio à deux vitesses : celle qui se cantonne strictement au respect de la réglementation (et ses innombrables dérogations !) et celle qui continue le chemin, qui doute, qui progresse, qui ose, qui se nourrit des valeurs fondatrices et pour qui le respect de la réglementation n’est qu’une nécessaire formalité ou pour le dire autrement : le premier étage de la fusée.
L’agriculture biologique a ouvert une nouvelle voix. Elle a prouvé qu’elle est une science bien plus respectueuse que l’agriculture conventionnelle dont les ravages à tous les niveaux (santé des sols, des paysages, des agriculteurs, des consommateurs) sont de plus en plus documentés. Elle fait le pari de se tenir au plus près de la nature. Elle est l’une des principales sources d’inspiration pour la transition vers l’agriculture de demain que nous attendons tous : une agriculture solaire, forestière, biomimétique, post-pétrole !
Plusieurs entreprises de la bio, avec lesquelles je travaille, poursuivent ce chemin. Elles savent que transformer et/ou vendre des produits bio est un immense pas en avant pour la santé, la vie du sol et le bien commun. Mais elles savent que ce n’est pas suffisant. Qu’il faut aller plus loin sur le chemin de crête. Elles se remettent en question, avancent pas à pas, tentent de distiller en interne et à leur échelle les valeurs de la bio. Elles travaillent à tous les niveaux : diminution des impacts de la pollution industrielle, bien-être au travail, partage, réduction de la hiérarchie et intelligence collective sensibilisation des consommateurs et des collaborateurs, partenariats avec des ONG pro-actives.
Dans certaines de ces entreprises, la raison d’être n’est pas simplement une déclaration affichée à l’accueil mais une force vitale et créatrice qui irrigue le travail de chacun. Elle s’incarne dans une gouvernance partagée et dans des actions concrètes en faveur de la nature et du bien-être social. Actions conçues en concertation avec l’ensemble des partenaires de l’entreprise, au delà même du cercle, trop restreint, mais déjà riche, des salariés et des clients. J’ai découvert dans certaines entreprises des pratiques que je considérais jusque là comme radicales ou totalement utopiques : augmentation de salaire via une consultation des pairs, fiches de poste vivantes et évolutives, redistribution du pouvoir à tous les niveaux, réunions joyeuses et productives, méditations collectives, etc.
Les plus matures cherchent à diminuer leurs impacts négatifs sur la nature et même à en créer des positifs. Elles plantent des arbres pour compenser leurs émissions de CO2, restaurent les paysages dégradés, elles ne polluent ni l’air ni le cycle de l’eau, enrichissent la biodiversité et réduisent leurs déchets. Elles travaillent sur l’économie de la fonctionnalité (substituer à la vente d’un bien la vente d’un service) et l’économie circulaire (utiliser les déchets des autres comme matière première). Elles jonglent entre le biomimétisme de matière (élaborer et distribuer des produits écologiques, recyclables) et le biomimétisme systémique (copier les grands cycles de la nature, mettre en place une gouvernance partagée horizontale). Un cercle vertueux de liberté, de responsabilité, de confiance et d’initiatives. Elles connaissent la nécessité vitale d’ouvrir leurs frontières. Leurs membranes deviennent alors de véritables surfaces d’échanges comme les cellules vivantes, afin de capter l’énergie et les innovations à la marge. De la même façon que dans un champs, un agriculteur ramène de la bordure, du fossé ou de la haie, une variété qui l’intéresse, singulière, adaptée à son terroir.
Les avantages de ces démarches RSE qui prolongent le projet initial de la bio sont multiples à l’intérieur de l’entreprise (implication, cohésion, performance, maîtrise des risques, joie au travail, etc.), comme à l’extérieur (attentes clients comblées, qualité, notoriété, respect de la nature, sensibilisation, etc.). Ces points forts nourrissent chacun à son échelle et permettent à ces entreprises de proposer le meilleur de la bio dans le plus profond et le plus sincère respect de la nature, de l’homme, du sol et des générations futures. Il ne tient qu’à nous de participer à cette transition et d’inventer collectivement la bio de demain en gagnant en performance, en singularité et en cohérence.
Louise Browaeys est consultante RSE et facilitatrice en intelligence collective.
[1] L’International Federation of Organic Agriculture Movements ou IFOAM, est une association internationale d’agriculture biologique, aussi appelée Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique.
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