La distribution des produits naturels et bio au Brésil
Article Bio Linéaires n°101 mai/juin 2022
Septième pays le plus peuplé du monde (215 Mio d’habitants), le Brésil fait partie de ceux où le marché de détail bio n’est important qu’en valeur absolue, uniquement grâce à cette importance de sa population. La consommation individuelle y est en effet des plus modestes, croissant néanmoins fortement depuis des années.
Un marché qui a plus que triplé en 7 ans
Nous avons précédemment présenté la distribution bio au Brésil dans notre n°67 (Septembre/ Octobre 2016). À cette époque, les derniers chiffres dont nous disposions étaient ceux de l’année 2015 un marché estimé par Euromonitor à 688 Mio € (au cours du réal brésilien de l’époque), avec une dépense annuelle moyenne par habitant de 1,35 €, soit alors 50 fois moins qu’en France.
Dans son rapport 2022 récemment publié (The World of Organic Agriculture), le FiBL écrit comme il le fait chaque année que « le Brésil a le plus grand marché pour les produits bio d’Amérique latine ». Dans l’édition 2021, on a pu de surcroît lire : « Le Brésil est un pays avec un secteur bio dynamique qui est très différent du reste des pays [d’Amérique latine], caractérisé par un marché bio domestique robuste, des chaînes de valeur bio très développées et des clients conscients et solidaires ».
Des affirmations qu’il faut cependant tempérer. Certes concernant la surface cultivée en bio, les 1,3 Mio d’hectares (chiffres 2020) mettent le pays en 3e position du continent (derrière l’Argentine et l’Uruguay) et en 12e position mondiale (France 5e avec 2,5 Mio ha), un chiffre impressionnant. Mais le Brésil est un pays énorme (13 fois la France, deux fois l’Union européenne), et les terres en bio ne représentaient en 2020 que 0,6 % de la SAU, un chiffre dérisoire par rapport aux chiffres européens. Quant au montant du marché de détail, le FiBL manque visiblement de données : dans ses rapports pour les années 2014, 2015 et 2016, il reste à chaque fois sur une valeur de 700 Mio € pour 2013, ne donnant un nouveau chiffre qu’à partir du rapport 2018 (rien en 2017), à savoir 778 Mio € réalisés en 2016, qu’il garde encore dans l’actuel rapport 2022.
Certes, cela place le Brésil, toujours selon le FiBL, à la 16e place mondiale, derrière la Belgique (892 Mio € en 2020). Mais celle-ci compte 11,5 Mio d’habitants soit 18 fois moins que le Brésil ! Et concernant la consommation annuelle moyenne par habitant, le FiBL donne maintenant à peine à 3,7 € par personne au Brésil, « à des années-lumière» des consommations 2020 pour les champions mondiaux que sont la Suisse (418 €), le Danemark (384 €) et l’Autriche (254 €), et même le Luxembourg (171 €), la France (188 €), l’Allemagne (180 €) voire la Belgique (77 €).
De son côté, l’Agence Bio annonce dans son « Carnet Monde 2020 » – le dernier qui a été publié, début 2021 – un marché de « 1,018 Mrd € en 2019 (+15 % par rapport à 2018) ».
Nous concernant, nous avons recherché et compilé les chiffres a priori les plus fiables, à savoir ceux publiés au fil des années par Organis / Organic Brasil, l’association brésilienne pour la promotion de la Bio, en appréciant l’évolution (voir graphique) dans la monnaie locale, le réal, pour éviter les variations dues au change en euro. Cela donne en dernier 859 Mio € en 2019, 1,108 Mrd € en 2020 et 1,203 Mrd € en 2021. Le marché a donc augmenté de 29 % en 2020 (+ 50 % durant le 1er semestre), et encore de 8,6 % en 2021. En sept ans, il a plus que triplé.
Évolution des ventes de détail de l’alimentation Bio au Brésil, en milliards de réals brésiliens (en bleu) et en milliers d’euros (en noir), sur la base du cours du réal en mars 2022 (source Organis / Organic Brasil)
Un attrait pour le bio nettement dopé par la pandémie
En 2019, l’APAS (association des supermarchés de São Paulo) a fait réaliser une enquête sur la consommation bio dans le pays, en comparant avec des résultats obtenus deux ans auparavant. Ainsi, en 2017, 15 % des personnes interrogées avaient consommé des produits bio dans les 30 jours précédant l’enquête, chiffre passé à 19 % en 2019. Le chiffre variait beaucoup selon les régions, allant de 14 % dans les États du nord-ouest à 23 % dans les trois du sud-est (Paraná, Santa Catarina et Rio Grande do Sul). Les États où se trouvent Rio de Janeiro, São Paulo ou la capitale Brasilia n’abritent donc pas les consommateurs les plus assidus.
Parmi les acheteurs de bio, 19 % en consommaient une fois par semaine, 228 % jusqu’à trois fois par semaine, 24 % jusqu’à cinq fois par semaine, 7 % quasi-quotidiennement. 2 % ne savaient pas. Mais même une bonne fréquence d’achat ne veut pas dire une grosse consommation, au vu de la dépense annuelle moyenne évoquée plus haut. 76 % consomment bio d’abord pour leur santé, 19 % pour l’environnement, 14 % pour les produits eux-mêmes et 4 % parce que cela correspond à leur style de vie. Pour ceux qui n’en consomment pas, la raison est d’abord le prix (43 %), suivi du fait que les produits sont plus difficiles à trouver que le conventionnel (21 %) et 7 % par manque d’habitude.
47 % des répondants ont d’ailleurs dit qu’il était difficile voire très difficile de trouver du bio près de chez eux, seuls 27 % ayant dit que c’était facile ou très facile. 26 % ont répondu que ce n’était ni l’un ni l’autre. 46 % des consommateurs souhaiteraient trouver davantage de produits « biologiques, naturels et sains » dans les rayons des supermarchés.
Paramètre intéressant, 87 % des acheteurs bio s’approvisionnent principalement sur les marchés, 65 % en supermarché, 6 % seulement dans les magasins de produits naturels, 1% en ligne et 7 % via d’autres canaux. Plusieurs réponses étaient possibles.
Un autre sondage, fait en 2021 par Organis, a montré que la proportion de Brésiliens ayant consommé du bio dans les 30 jours précédant l’enquête est passée à 31 %, les produits les plus consommés étant les fruits et légumes, comme déjà dans l’enquête de 2019. Les enjeux de la crise sanitaire de 2020-2021 ont en effet placé les préoccupations sanitaires au centre de l’attention des consommateurs, notamment pour ce qui concerne l’alimentation. La majorité des répondants (73 %) a ainsi déclaré avoir augmenté sa consommation de produits bio pour améliorer sa santé. Cette enquête a aussi montré que, pour 67 % des Brésiliens, l’alimentation bio est chère voire très chère, même s’ils reconnaissent que les prix pratiqués sont justifiés, en raison du coût de production plus élevé. Les consommateurs bio sont néanmoins fidèles, comme le montre le fait que seuls 11 % d’entre eux ont déclaré avoir réduit la consommation de produits bio, même avec la crise financière qui a accompagné la pandémie de Covid-19, pandémie qui a très durement frappé le pays comme on le sait.
La grande distribution toujours leader
Les confinements et le travail à domicile imposés par la pandémie ont notamment renforcé l’intérêt pour le bio, car le fait d’être chez soi a apporté un autre rythme, avec plus de conscience alimentaire et de souci de la qualité de l’alimentation. Cela a aussi dopé les ventes en ligne et celles des livraisons de paniers bio. Les jeunes générations étant plus « connectées », cela a également provoqué un rajeunissement des consommateurs, ce qui stimule le marché, alors qu’auparavant ils étaient plutôt d’âge moyen. Selon Organis, la proportion des achats faits en ligne est passée de 1 % environ en 2019 à 20 % durant l’année 2021. En parallèle, les ventes de la grande distribution ont fortement chuté pendant la pandémie, « à des niveaux jamais vus depuis plus d’une décennie », le digital venant donc les compenser.
Néanmoins, la grande distribution alimentaire resterait le principal circuit pour les ventes bio. Selon le classement 2021 de l’Ibevar (Institut brésilien des cadres du commerce de détail et de la consommation), le leader de cette GMS (classement selon les chiffres d’affaires) est aujourd’hui le Groupe Carrefour Brésil, présent depuis 1987, qui possède au total 721 points de vente de différents formats. En juin 2021, il a annoncé lancer sa propre marque bio, forte d’une centaine de références, vendues jusqu’à 30 % moins chères par rapport à d’autres marques bio. Ce faisant, la part de produits en MDD dans l’assortiment bio est passée de 4 % des ventes bio de la chaîne à 20 %.
Le deuxième plus gros acteur alimentaire conventionnel est la Companhia Brasileira de Distribuição, plus connue sous le nom GPA (Grupo Pão de Açúcar), avec 873 magasins. La société est une filiale du groupe français Casino. Parmi ses nombreuses enseignes aux magasins de différents formats, de la supérette à l’hypermarché en passant par le Cash & Carry (Extra, Extra Hiper, Mercado Extra, Compre Bem, Assaí…), il faut surtout citer la chaîne Pão de Açúcar), « pionnière de la consommation responsable au Brésil ». Ce sont des supermarchés urbains haut de gamme (182 points de vente), auxquels il faut ajouter 236 magasins de proximité siglés Minuto Pão de Açúcar. Taeq est la marque propre de « produits sains » du groupe, avec entre autres du bio.
Vient ensuite le groupe Big (387 magasins) qui avait repris, dans un passé récent, tous les magasins de Walmart Brésil. Selon les États et les formats, les magasins sont à l’enseigne Big, Bompreço, Nacional, Maxxi Atacado… avec même des clubs-entrepôts (Sam’s Club). Au printemps 2021, un accord a été conclu avec les actionnaires propriétaires pour sa cession à Carrefour Brésil, qui va ainsi renforcer sa position de leader de la GMS.
Le quatrième acteur est Mateus Supermercados (159 magasins), qui est la plus grande chaîne de distribution du nord/nord-est. Le suivant est Cencosud Brasil (200 magasins), antenne locale d’un consortium commercial multinational chilien qui opère dans plusieurs pays d’Amérique du Sud. Il dispose, en fonction des régions, des réseaux GBarbosa, Perini, Bretas, Prezunic et Mercantil Rodrigues. Viennent ensuite Irmãos Muffato & Cia (67 magasins), Supermercados BH (226), Grupo Pereira (72), Companhia Zaffari (36), etc. Vu la taille du pays et sa structure fédérale, certaines sociétés sont souvent actives dans des régions plus que dans d’autres, ou sont même purement régionales.
Un réseau spécialisé aux visages variés
Du côté des magasins spécialisés, nous écrivions en 2016 que « la seule chaîne organisée d’importance est la franchise Mundo Verde, créée en 1987 », qui avait alors 371 magasins. Elle existe toujours, la presse évoquant en général en 2021 « 400 magasins », dont 120 dans l’État de São Paulo. Dans la pratique, son site Internet n’en liste cependant actuellement que 250 environ, alors que les objectifs annoncés l’an passé étaient d’atteindre 500 points de vente. Comme ses concurrents, Mundo Verde ne propose pas que du bio au sens strict, mais aussi des aliments diététiques et pour sportifs, des compléments alimentaires, etc.
Une autre enseigne spécialisée est née en 2015 : Bio Mundo. C’est également une franchise, qui s’affiche comme « la boutique de produits naturels la plus complète du Brésil ». Elle comptait une trentaine de points de vente en 2018, chiffre passé aujourd’hui à plus de 120, souvent de très belles boutiques, dans des galeries commerciales ou indépendantes, avec en général un assortiment vrac important.
Bien plus petite, on peut aussi citer la chaîne Mercado Malunga, émanation d’une ferme de production biologique créée il y a 30 ans, qui a quatre magasins dans la capitale Brasilia (4e ville du pays).
Il n’existe toujours pas de chiffre précis sur le nombre de magasins bio, mas on peut néanmoins l’estimer à plusieurs centaines dans le pays, chaque grande ville en ayant plus ou moins beaucoup, souvent modernes et très attrayants. Impossible bien sûr de les passer tous en revue. Pour ne parler que de São Paulo, nous citerons par exemple Casa Orgânica, considéré comme ayant été le premier « supermarché 100 % bio » du Brésil, ouvert en 2016 dans un quartier branché. Il y a aussi l’Instituto Feira Livre et son confrère l’Instituto Chão qui affichent sur les produits les prix que recevra le producteur, le client payant en sus à la caisse une participation volontaire (le montant est suggéré, de l’ordre de 35 %) pour les frais de fonctionnement du magasin. Toujours à São Paulo, il y a aussi Super Saudavel, qui vend, parmi son très large assortiment, de la laitue cultivée sur place au magasin, en utilisant un procédé à mi-chemin entre hydroponie et culture en pleine terre.
Signalons qu’avec une culture du corps très développée au Brésil, les magasins et chaînes de compléments alimentaires et de préparations pour sportifs ne manquent pas. Dr Shape se présente comme « le plus grand réseau d’Amérique latine », avec 70 magasins dans 18 États brésiliens. L’enseigne a annoncé en février 2022 qu’elle proposerait à ses franchisés de devenir des filiales, en leur promettant une plus grande rentabilité.
Les marchés, des incontournables pour les consommateurs
Comme dit plus haut, même s’ils ne sont pas les leaders en termes de CA, les marchés sont le lieu d’achat préféré des consommateurs bio brésiliens. Les prix des produits frais bio y sont généralement inférieurs à ceux pratiqués en GMS.
Selon l’Idec (Institut brésilien pour la protection des consommateurs), il existait au Brésil, en 2019, 841 marchés où sont vendus des produits bio. En 2015, une autre enquête réalisée par l’ancien ministère du Développement social et de la Lutte contre la faim (MDS) avait dénombré 900 municipalités brésiliennes où il existait un ou plusieurs marchés extérieurs vendant des produits bio ou « agroécologiques ». Au total, 1615 marchés commercialisaient en partie de tels produits, 814 leur étant spécifiquement dédiés.
Comme dit plus haut également, les consommateurs ont bien sûr aussi accès, comme dans la plupart des pays, à des offres de paniers bio via différents canaux, numériques notamment, et peuvent également faire leurs achats dans des structures du type AMAP.
Par Michel Knittel avec l’aimable autorisation de BioLinéaires
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