La distribution des produits naturels et bio au Danemark
Être un petit pays prospère favorise-t-il la consommation de produits bio ? Tout porte à le croire puisque dans le classement des pays avec la plus forte consommation bio par habitant on trouve d’abord la Suisse (8,5 Mio d’habitants), le Danemark (5,8 Mio), la Suède (10,3 Mio), le Luxembourg (614 000), l’Autriche (8,8 Mio) et le Liechtenstein (38 000). Ce n’est qu’après que l’on trouve les deux pays les plus peuplés de l’Union européenne, à savoir l’Allemagne (83 Mio) puis la France (68 Mio). Et le Danemark s’offre même le luxe d’être le champion du monde de la part du bio dans la consommation alimentaire !
La plus grande proportion de terres agricoles du monde
Avec un PIB nominal par habitant de 51 000 € en 2018 (Suisse 74 000 € et France 38 000 €) et un taux de chômage de 4,6 % (France 8,5 %), pour ne prendre que deux critères, le Danemark fait effectivement partie des pays prospères.
Son économie est l’une des plus tertiarisées du monde (80 % des salariés travaillent dans le secteur des services), l’agriculture – autrefois la principale occupation du pays – n’employant plus aujourd’hui qu’un peu plus de 2 % des travailleurs et ne comptant que 1 % du PIB en 2018 (France 1,6 %, Suisse 0,7 %, Belgique 0,5 %). Pays relativement plat, surtout composé de côtes sablonneuses et de terres agricoles, 63 % de sa superficie totale sont cultivés, pourcentage le plus élevé du monde.
Selon le dernier rapport du FiBL (l’Institut de recherche de l’agriculture biologique), 226 307 ha étaient cultivés en bio en 2017 (+56 % en 10 ans), représentant 8,6 % de la surface agricole utile (France a tette date 6,3 %, Belgique 6,4 % et Suisse 14,4 %). Et toujours selon ce même rapport, le Danemark comptait à cette date 3 637 producteurs, 1 018 transformateurs, 78 importateurs et 80 exportateurs.
Une réglementation nationale dès 1987
Si la France fut sans doute le premier pays à mettre en place une certification d’état officielle – à savoir le label AB, propriété du ministère de l’Agriculture, né en 1985 dans la foulée du décret du 10 mars 1981 comme on le sait – le Danemark fait également partie des pays pionniers ayant mis en place un cadre législatif avant le Règlement européen n°2092/91 de juin 1991 (le logo bio allemand officiel en forme d’hexagone n’a par exemple été introduit qu’en 2001).
La loi n°363 « sur la production agricole biologique » (Lov om økologisk jordbrugsproduktion) a en effet été adoptée par le Parlement le 14 mai 1987 et signée par la reine Margrethe II le 10 juin 1987. Comme le souligne Organic Denmark, l’association danoise de promotion de la Bio, le Danemark a « défini des règles encore plus strictes que celles de l’UE. Par exemple, la législation danoise interdit l’utilisation du cuivre dans la production de fruits bio ainsi que l’utilisation de nitrites dans la transformation des produits bio, et la législation danoise exige beaucoup plus de couvert végétal dans les exploitations avicoles bio que ne le prévoient les règles de l’UE ».
« Au moins une fois par an, les exploitations agricoles bio, les fournisseurs de la filière bio et les entreprises de l’agroalimentaire bio sont tous inspectés par les contrôleurs de l’Etat. (…) Outre ces visites annuelles, un certain nombre d’exploitations et d’entreprises sont sélectionnés en vue de contrôles supplémentaires inopinés ». Le produits bio vendus au Danemark portent souvent à la fois le logo « feuille verte » de l’UE et logo national danois (Ø–mærket pour « marque bio »), créé en 1989, que connaissent 98 % des consommateurs, bien plus que le logo européen. Ce haut niveau de reconnaissance – associé à une grande confiance (les Danois étant en outre plus enclins à choisir des produits locaux) – joue un grand rôle dans le succès de la Bio dans le pays.
Près de 14 % de part de marché pour le bio
Aujourd’hui, ce sont ainsi près de 14 % des produits alimentaires qui sont achetés en qualité bio au Danemark, faisant de lui le pays dans lequel la part de marché des produits bio est la plus forte au monde. Il a d’ailleurs été le premier à franchir la barre des 10 %. Selon le dernier rapport du FiBL, qui compare les chiffres 2017, le Danemark était en effet alors en tête avec 13,3 %, suivi de la Suède (9,1 %), de la Suisse (9 %), de l’Autriche (8,6 %), du Luxembourg (7,3%), de l’Allemagne (5,1 %), des Pays-Bas (4,5 %) et de la France (4,4 %). Dans l’Hexagone, selon l’Agence Bio, le chiffre approchait les 5 % en 2018.
Pour les principales catégories de produits, cette part de marché est la suivante : 33 % pour les fruits et légumes, 21 % pour les produits laitiers, 10% pour le pain, le riz et les autres céréales, 9 % pour la viande, la charcuterie et le poisson, ainsi que pour les boissons, etc. Pour certaines catégories de produits, la part de bio atteint des records : 47,6 % pour les carottes ; 42,6 % pour les flocons d’avoine ; 40,2 % pour les yaourts nature ; 34 % pour les huiles pour cuisson et salade ; 32,5 % pour le lait ; 31,1 % pour les œufs ; etc.
80 % des Danois achètent des aliments bio et plus de la moitié d’entre eux (51,4 %) le font chaque semaine. Un succès principalement dû à la distribution conventionnelle qui « s’appuie sur une Coopération unique en son genre entre les enseignes danoises de la grande distribution et Organic Denmark, la fédération de la filière biologique.
Organic Denmark travaille étroitement avec toutes les enseignes de la grande distribution au Danemark au niveau stratégique et les soutient dans leur extension des rayons de produits bio. De ce fait, les produits bio ont gagné en visibilité dans les magasins et la communication vers les consommateurs quant aux avantages du bio a été renforcée. Cette collaboration étroite constitue un élément moteur essentiel du développement des ventes de produits bio au Danemark » (Organic Denmark).
En 2018, le marché bio a représenté 12,9 Mrd DKK’ (1,73 Mrd €) dans la distribution alimentaire (voir détail ci-dessous) soit une croissance de 14 % par rapport à 2017. Une croissance à deux chiffres pour la 4ème année consécutive : +15 % par exemple entre 2016 et 2017, 4ème plus forte croissance derrière la France (+18 %), l’Espagne (+16 %), à égalité avec le Liechtenstein et devant le Luxembourg (+14 %), selon le FiBL.
Toujours selon le FiBL, la dépense annuelle par personne en 2017 était de 278 € par an, meilleure valeur mondiale derrière la Suisse (288 €) et devant la Suède (237 €) et le Luxembourg (203 €), les Français ayant dépensé cette année-là en moyenne chacun 118 € et les Belges 56 €. En 2018, le marché total des produits bio a atteint 16 Mrd DKK (2,14 Mrd €), tous circuits confondus, restauration hors foyer incluse, représentant une dépense annuelle de 2 759 DKK par personne, soit 369 € au cours actuel.
Une domination hégémonique de la GMS
Si dans de nombreux pays, comme la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie ou encore la Belgique, les circuits de distribution sont relativement diversifiés, cela n’est pas le cas du Danemark, où la grande distribution domine de façon écrasante, illustrée par les 32 % des ventes faits en 2017 par des produits sous marque distributeur. Sur les 16 Mrd DKK du marché 2018, la répartition se fait de la façon suivante : 12,9 Mrd DKK (1,73 Mrd €) dans le circuit de la distribution conventionnelle et en vente en ligne ; 2,5 Mrd DKK (330 Mio €) en RHF ; 0,6 Mrd DKK (80 Mio €) dans les » mini-marchés » et autres circuits. Par « mini-marchés », Organic Denmark comprend entre autres les – « dépanneurs » – comme disent nos cousins québécois ou suisses – c’est-à-dire les petits magasins de proximité qui vendent, sur une plage horaire très large, des produits de première nécessité, entre autres alimentaires. En l’occurrence est surtout visée ici la chaîne 7-eleven, qui possède près de 200 points de vente dans le pays, la plupart intégrés à des stations-service. Sont également compris dans cette catégories divers petits magasins, les ventes sur marchés ou à la ferme, ainsi que les magasins spécialisés.
En fait, il n’existe quasiment pas de magasins bio au Danemark, au sens où nous l’entendons entre autres en France, tant la distribution conventionnelle a su capter le marché, la moindre grande surface offrant un assortiment bio très complet. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : non compté la RHF, la grande distribution et les boutiques en ligne captent 95,5 % des ventes.
Certes, il existe une catégorie de magasins appelés helsekostbutikker (équivalent mot-à-mot des health food stores anglo-saxons), mais à l’instar des autres magasins de ce type dans d’autres pays, ils vendent surtout des médicaments en vente libre, des produits diététiques et pour sportifs, des vitamines, des cosmétiques naturels et plus ou moins bio, etc. Leur offre alimentaire bio reste limitée. Appartenant à cette catégorie, on peut citer les chaînes Ren Kost, Helsam ou encore Helsemin. Au total, il y a quelques centaines de helsekostbutikker.
Netto, le leader du circuit conventionnel
Avec 17,2 % de part de marché de la distribution bio en 2018, le leader est la chaîne discount Netto (plus de 500 magasins), qui appartient à Salling Group (appelé Dansk Supermarked jusqu’en juin 2018). Celui-ci possède également les enseignes Føtex (une centaine de supermarchés) et Bilka (18 hypermarchés), ce qui lui donne une part de marché globale de 29 %. Acteur dynamique du marché bio, pratiquant une politique visant à rendre le bio accessible à tous, avec notamment sa MDD ØG0 (environ 200 références), Netto affiche partout – bannières, sacs et véhicules — son slogan qui signifie en danois « Tout le monde doit avoir les moyens d’acheter bio ». Du côté de Føtex, l’objectif est d’élargir encore plus son offre bio, pour arriver à 2 000 références en cette année 2020 (sa MDD Levevis compte environ 1 300 produits).
Vient ensuite l’enseigne Rema 1000 (groupe Reitan Distribution), également positionnée sur le discount (326 points de vente), pour une part de marché de 13,2 %. Pour asseoir sa présence, Rema 1000 a pris une participation chez Gram Slot (« le château de Gram »), un vrai château avec une exploitation agricole depuis le 17e siècle, aujourd’hui bio, qui lui fournit des produits laitiers, des flocons d’avoine, des pommes de terre, des oignons, de la farine, etc.
Le 3e acteur est l’enseigne SuperBrugsen (234 supermarchés pour 12,6 % de PDM), qui appartient à Coop Danmark. Coop Danmark possède également le discounter Fakta (357 magasins, 9,7 % de PDM), les 70 supermarchés Kvickly (PDM 7,4 %), les 70 supermarchés premium Irma (PDM 4,1 %) et les magasins de proximité DagliBrugsen et LokalBrugsen (environ 320 magasins et une PDM de 2 %). Au total, Coop Danmark détient donc une PDM de 35,7%. En 1981, ce fut la première enseigne à proposer du bio dans ses rayons. Dans ses supermarchés haut de gamme Irma, le bio représente 28 % des ventes, la chaîne ayant même ouvert un magasin exclusivement dédié au bio à Copenhague. Änglamark, la MDD bio de Coop Danmark, offrait en 2018 1 200 références (800 en 2010) des plus variées : fruits, légumes, viande, produits laitiers, boissons, céréales, produits de panification, alimentation bébé, pâtes et condiments. Mentionnons aussi le groupe Dagrofa, qui possède une PDM de moins de 10 %, avec ses 116 supermarchés premium Meny et ses épiceries de proximité Spar (132 magasins) et Min Købmand (161 magasins).
Parmi les acteurs mineurs figurent les discounters Aldi (183 magasins, PDM 3 %), Lidl (117 magasins, PDM 2,7 %), Løvbjerg (15 supermarchés) et ABC Lavpris (14 magasins), ces derniers ayant chacun moins de 1 % de PDM.
Enfin, du côté de la vente en ligne, si les enseignes de GMS ont en général leur propre webshop (comme Coop Danmark avec Coop Mad), il faut mentionner deux pure players qui réalisent un CA important. Le premier est Aarstiderne.com (4,9 % de PDM en 2018), entreprise créée en 1999 livrant des colis bio à 50 000 foyers danois et 10 000 en Suède, faisant également de la vente en gros aux grandes cuisines, cantines, institutions et restaurants. Aarstiderne possède de plus une boutique à la ferme à 20 minutes de la capi-tale Copenhague. Le second, Nemlig.com, qui représentait 3 % du marché bio danois en 2018, a été fondé en 2010 et livre aussi bien des produits bio que des boîtes repas, dans un délai garanti d’une heure dans sa zone d’activité.
Merci à Louise Kaad-Hansen et Vivienne Kallmeyer, respectivement International Marketing Coordinator et Press Officer de l’association Organic Denmark.
Michel Knittel – Biolinéaires n°88 – Mars/Avril 2020
1) Couronnes danoises : bien que membre de l’UE depuis 1973, le Danemark a gardé sa monnaie. Cours au 20 janvier 2020 : 1 DKK = 0,1338 €.
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