La distribution des produits naturels et bio au Japon et en Corée
Direction l’Asie avec le Japon et la Corée du Sud, deux pays à l’économie moderne et parfaitement organisée, mais où le marché bio reste toujours embryonnaire.
Le bio, mal connu au Japon
La distribution bio au Japon a été présentée en détail dans notre n° 73 (sept/oct 2017). Le marché alimentaire bio hors RHF était alors estimé par le MAFF (ministère japonais de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche) à 1,1 Mrd € (d’autres sources donnant des estimations supérieures), soit à peine entre 0,5 et 1% de l’ensemble du marché alimentaire, et très peu de croissance.
Un marché peu dynamique
Même si le Japon est le 2e marché bio asiatique derrière la Chine, la consommation n’y croit que très lentement et on estime qu’il devrait peu se développer dans les prochaines années, mais qu’il représente en contrepartie au final « une vaste opportunité pour l’avenir ».
Entre le peu de clarté du concept de bio et l’absence de collecte de données de vente par le gouvernement, il n’existe cependant aucun chiffre précis du marché japonais. La société Statista, se basant sur différentes sources (dont la FiBL), a publié en janvier 2021 un tableau donnant les chiffres du marché réalisés de 2013 à 2017 et des estimations pour 2018 à 2022. Pour 2018, le CA aurait été de 1,42 Mrd € (dont 70 % de produits transformés et 30 % de produits agricoles non transformés), la progression quasi-linéaire devant mener à 1,53 Mrd € en 2022 (avec la même proportion transformé/non-transformé), soit à peine +7,9 % en 4 ans. Selon la FiBL, en 2019 le bio ne représentait que 1% de la consommation alimentaire totale et une consommation moyenne par habitant de 11 €.
Mais en septembre 2021, une équipe japonaise a présenté à l’Organic World Congres les résultats d’une « estimation du marché japonais des aliments biologiques en 2018 à l’aide des données d’un panel de consommateurs ». Le but de cette étude, n’incluant cependant pas les produits sans code-barres (essentiellement les fruits et légumes) était d’avoir des données fiables sur la taille et l’évolution du marché des produits pouvant être réellement considérés comme bio (vu l’imprécision de cette notion dans le pays), notamment parce que certifiés. Cela a donné 369 Mio € pour 2018, contre 332 Mio € en 2012, soit 11,1 % en 6 ans. À comparer au 1 Mrd € annoncé par Statista pour les produits transformés en 2018 et à leur croissance de + 6,4 % sur la même période 2013-2018.
Réseau spécialisé : le conventionnel s’en mêle
L’enquête MAFF de 2018 a montré que 87,4 % des consommateurs de produits bio les achètent dans les supermarchés, 33,8 % chez d’autres détaillants alimentaires, 33,1 % dans des circuits coopératifs. Moins de 20 % le font dans les grands magasins (department stores), les magasins spécialisés et les boutiques en ligne.
Une autre enquête, réalisée en avril 2021 auprès de 38 importateurs, distributeurs et détaillants de produits bio par l’Office du commerce agricole d’Osaka (ATO), a montré que les magasins spécialisés en produits bio sont leur canal de vente le plus important (34 % des ventes), suivi des grands supermarchés / grands magasins (26 %), des fabricants et transformateurs (13 %), des petits et moyens magasins alimentaires (8 %), des boutiques en ligne (8 %), de la vente à distance (5 %), etc. La pandémie de Covid a eu un impact positif sur 57 % des entreprises interrogées, 19 % connaissant au contraire une baisse de leurs ventes.
La distribution conventionnelle au Japon se partage entre grands supermarchés (le Ieader Aeon, son challenger Ito Yokado, FamilyMart, Life…), des supermarchés et épiceries haut de gamme important des produits « premium » (Kinokuniya, Meidi-ya, Seijo lshii, Dean & Deluca, Queens Isetan, les Américains Costco et Walmart...) et des épiceries de proximité (7 Eleven, Lawson, Ministop, Daily Yamazaki, etc.). Tous les grands supermarchés proposent un choix minimum de produits bio (Aeon a été le premier), mais aussi les épiceries de proximité, avec notamment, en zone rurale, des produits cultivés localement.
Concernant le réseau spécialisé dans les produits bio ou sans pesticides, engrais/ additifs chimiques, etc., il existe de nombreux magasins indépendants, surtout dans les grandes villes, comme le pionnier Crayon House, né en 1976 (2 points de vente, à Tokyo et Osaka). Parmi les quelques chaines organisées, la plus importante était Natural House, créée en 1982. « Était » car de 30 en 2017, le nombre de ses magasins est passé à 13 aujourd’hui. À l’inverse, Shizensyoku F&F, fondée en 1992, est passé de 18 à 29 magasins. Il faut aussi citer Biople, avec 24 petites boutiques dans tout le pays, appartenant à la chaîne de magasins de cosmétique « naturelle » CosmeKitchen. On y trouve surtout de la cosmétique, mais aussi de l’alimentation bio.
Les groupes conventionnels ont aussi investi le bio : Life, qui avait ouvert en 2016 à Osaka son premier « Natural Supermarket » baptisé BIO-RAL, en a aujourd’hui 2 à Osaka et 3 à Tokyo. Ce sont cependant d’assez petites boutiques, dans des galeries marchandes ou des marchés couverts. Mais c’est surtout Bio C’Bon qui se développe, dont le premier magasin avait été ouvert, en 2016 aussi, par Aeron dans le cadre d’une joint venture (co-entreprise) avec l’enseigne française éponyme. Les structures capitalistiques japonaise et française étant différentes, la faillite puis le rachat de l’enseigne bio en France n’a pas affecté Bio C’Bon Japan Co. Ltd, qui vient d’ouvrir son 28e magasin à Tokyo en décembre 2021 (7 magasins ouvert en 2021, leur surface allant de 82 à 262 m2). L’enseigne est principalement présente dans les régions de Tokyo et Yokohama.
Mentionnons aussi le réseau d’environ 1 000 magasins A-Coop, rattachés à JA Group, immense association regroupant près de 700 coopératives, ou encore MOA International, organisation également coopérative possédant 123 boutiques, dont la philosophie mélange le bio, la biodynamie et le local. Autre réseau proposant entre autres des produits bio, les boutiques du type Health Food Store (comme la chaîne Natural Lawson, avec une centaine de magasins), des milliers de drugstores, et surtout un grand nombre de marchés, ainsi que nombre de sites Internet plus ou moins spécialisés en bio et naturel et les systèmes d’abonnement auprès de coopératives de producteurs qui attirent aussi les consommateurs.
En Corée, une confiance réduite qui devrait s’améliorer
La distribution bio en Corée a été présentée en détail dans notre n°80 (nov/déc 2017). Comme chez son voisin japonais, l’agriculture bio y est peu développée (1,5 % seulement de la SAU y étant consacrés, d’où une forte dépendance aux produits importés, comme au Japon aussi) et les produits bio sont chers, ce qui en freine la diffusion. La demande est assez faible, sauf pour quelques catégories, comme le lait, le riz et les aliments pour bébés. Une des raisons est également que la confiance dans les labels bio y est encore limitée, les consommateurs préférant se tourner vers les produits « sans » comme au Japon, ou affichés comme « écologiques » (pratiques durables respectant l’environnement) ou encore « sans antibiotiques ».
Selon une enquête, en 2018, 58,4% des foyers coréens étaient acheteurs de produits bio, seuls 12,4% le faisant chaque semaine. Pour les aliments bio emballés, l’association américaine Global Organic Trade s’inquiète même de « perspectives préoccupantes », la catégorie devant enregistrer un taux de croissance annuel moyen négatif de 1% pour la période 2019-2024, à l’exception des produits destinés aux enfants qui enregistrent des ventes positives.
Le gouvernement coréen a cependant introduit récemment des règles de certification plus strictes, rendant un peu plus difficile pour les entreprises ne proposant pas de produits entièrement bio d’obtenir la certification. Les aliments non certifiés ne peuvent plus utiliser dorénavant des expressions comme « écologique » ou « sans pesticides », sous peine de sanctions importantes. La confusion qui existait entre le bio et le « sans pesticides » devrait donc s’estomper. De plus, la pandémie de Covid a accru l’intérêt des Coréens pour le bio, qui a connu une (petite) croissance inhabituelle depuis début 2020.
Un marché encore embryonnaire
Selon les derniers chiffres de la FiBL, le marché bio coréen aurait atteint 356 Mio € en 2019 (+7,8 % vs. 2018 et +61,8 % depuis 2014). La consommation moyenne annuelle par habitant serait passée de… 4 € en 2014 à 6 € en 2019. De son côté, Statista a estimé le marché 2013 à seulement 134 Mio €, avec un CA de 211 Mio € en 2018 (FiBL 330 Mio) et une prévision de 250 Mio € en 2022 !
Il n’existe en effet pas de chiffres officiels. Il faut donc prendre avec prudence la répartition des parts de marché, pour 2019, de 61,8 % du marché bio pour la GMS, 16,6 % pour la vente en ligne (les Coréens, hyper-connectés, sont de grands acheteurs sur Internet, le marché de l’alimentation en ligne ayant augmenté de 51,5% en 2020 en raison de la pandémie) et 14,4 % pour les marchés et magasins spécialisés bio.
Pour la distribution conventionnelle, les leaders en nombre de super- et hypermarchés sont Hanaro Mart, Lotte, GS, Home Plus, Emart/No Brand et Costco. Il faut aussi noter l’importance énorme, en Corée, jouée par les épiceries de proximité dont les champions sont CU (15 000 magasins), GS25 (idem) ou 7 Eleven (10 500). On y ajoutera les department stores, dont Lotte est le leader (51 magasins), suivi de NewCore (31), Hyundai (16), Shinsegae (12) (chiffres 2020). Les innombrables marchés traditionnels proposent aussi quelques produits bio.
Une seule vraie chaîne leader
La distribution spécialisée s’est structurée depuis plusieurs années, mais à l’instar du Japon, vu l’ambiguïté de la notion même de bio, les produits certifiés ne constituent pas, de loin, le cœur de leur assortiment. II y aurait dans le pays entre 1 000 et 1 500 « natural & organic specialty stores », sans oublier d’innombrables boutiques en ligne.
Le pionnier et leader de ce réseau spécialisé organisé est Choroc Maeul (« Village Vert », né en 1999), avec actuellement 470 magasins à travers tout le pays. Sa boutique en ligne offre plus de 1 500 produits alimentaires (mais sa part de marché sur l’e-commerce bio est relativement faible) et l’enseigne dispose même de son propre système de certification pour les produits bio, mis en place pour offrir une garantie supplémentaire aux clients. En 2015, son chiffre d’affaires avait été d’environ 156 Mio €.
En nombre de points de vente, le second acteur est Hansalim, né en 1986, qui comptait environ 220 magasins en 2017. Leur nombre semble cependant être tombé à moins de 200. L’enseigne, dont le nom signifie « préserver tous les êtres vivants », fonctionne sur le mode de la coopérative producteurs-consommateurs (plus de 600 000 foyers adhérents), assez répandu dans le pays, la vente en magasins stricto sensu n’étant donc pas systématique. Ses points de vente sont de petites boutiques « à l’ancienne », à la présentation très frugale. Mais là aussi, les produits ne sont pas tous certifiés bio c’est uniquement du local et surtout des produits « respectueux de l’environnement » car « sans pesticides, engrais chimiques ni hormones de croissance ».
Autre acteur fonctionnant sur le mode associatif (regroupement d’une centaine de coopératives de consommateurs, associés à des producteurs), icoop possède plus 200 magasins à l’enseigne Natural Dream, certains intégrant même des centres de soin. Le premier a été ouvert en 2008. Environ 300 000 foyers sont membres d’icoop.
Vraie structure commerciale, Orga Whole Foods est l’autre acteur majeur de la distribution spécialisée coréenne. La société, fondée en 1997 à partir d’une première boutique ouverte en 1981, comptait 79 magasins en 2020, contre environ 125 en 2017 néanmoins. Ces magasins sont exploités sous différentes formes : filiales, franchises (au sein d’une coopérative de détaillants) sous l’enseigne Natural House by Orga, « shop in shop » dans des grands magasins (Lotte par exemple), et bien entendu une boutique en ligne. En mai 2020, Orga a ouvert le premier « supermarché zéro déchet » du pays (avec en fait surtout des emballages recyclés/recyclables, minimisant les déchets plastiques), dans le cadre d’un partenariat pilote avec le gouvernement.
Par Michel Knittel avec l’aimable autorisation de BioLinéaires
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