La distribution des produits naturels et bio en Amérique latine
Environ 615 millions de personnes, soit environ 8 % de la population mondiale, une force économique équivalente (1 % du PIB mondial), autour de 20 % de la production bio de la planète… mais à peine 1% de la consommation bio. Un paradoxe qui s’explique assez facilement, mais qui n’empêche pas le développement de très beaux magasins.
Une vingtaine de pays aux profils très variés
Par Amérique latine, nous entendons ici l’espace s’étendant du Mexique à la Terre de Feu, extrémité la plus au sud du continent, partagée entre le Chili et l’Argentine, les Caraïbes et donc les Antilles n’étant pas inclus. On y trouve des pays très peuplés (Brésil, 219 Mio d’habitants ; Mexique, 131 Mio ; Colombie, 50 Mio ; Argentine, 46 Mio… mais aussi d’autres bien plus petits (Costa Rica, 5 Mio ; Panama, 3,9 Mio ; Uruguay, 3,6 Mio ; Guyana, 750 000 ; Bélize, 400 000).
Dans le monde, les pays dans lesquels la consommation bio par habitant est la plus élevée, ainsi que la part du bio dans la consommation alimentaire (Danemark Suisse, Suède, Luxembourg, Autriche, Norvège) font tous partie des nations où le PIB par habitant est le plus haut. Comme il y a aussi des pays au PIB par habitant également élevé mais où la consommation bio est faible, il n’y a pas de relation de cause à effet, mais il semble néanmoins y avoir une corrélation : pour que la consommation bio soit élevée, le pays doit être « riche ». Ce que l’on ne peut pas affirmer pour l’Amérique latine.
Certes ces pays participent globalement au PIB mondial à hauteur de la taille de leur population, mais il faut savoir que 70 % de cette part latino-américaine du PIB mondial est faite par seulement trois pays, Brésil, Mexique et Argentine. Sur la vingtaine de pays qui nous intéresse, 13 affichent un PIB par habitant inférieur à 20 000 $, dont le Mexique et le Brésil. Ramenée aux habitants individuellement, la prospérité latino-américaine est donc relative, le coût plus important des produits bio, mondialement constaté, étant un frein à la consommation locale, la production nationale étant majoritairement destinée à l’export. Conséquence : la consommation bio est surtout le fait de la classe moyenne et même supérieure, d’autant plus que l’inflation est souvent forte. En plus, dans certains pays, même importants, comme le Pérou ou le Chili, le bio est mal connu des consommateurs.
Une consommation très modeste
La FiBL, dans son dernier rapport disponible, celui de 2020, a estimé le marché de détail bio de l’Amérique latine en 2018 à environ 810 Mio €, soit une consommation de 1,5 €/personne (Europe 41 Mrd et 50,5 €/personne) et moins de 1 % du marché mondial. Un chiffre néanmoins basé exclusivement sur les seuls pays pour lesquels des données, parfois très anciennes, sont disponibles : Bélize, Brésil, Chili, Costa Rica, Mexique, Pérou… et même Jamaïque, dans les Caraïbes. Toujours selon la FiBL, le marché bio aurait atteint 778 Mio € au Brésil en 2016 (4 €/personne), 14 Mio € au Mexique en 2013 (0,1 €/personne) ainsi qu’au Pérou en 2010 (0,5 €/personne), 2 Mio € au Chili en 2009 (0,1 €/personne), 1 Mio € au Costa Rica en 2008 (0,3 €/personne) et 100 000 € au Bélize en 2015 (0,2 €/personne).
De son côté, dans son édition 2020 de L’agriculture bio dans le monde, l’Agence Bio indique un marché bio au Brésil en 2019 de 1,018 Mrd € (+15 % vs. 2019), au Mexique en 2017 de 36,6 Mio €, en Argentine en 2017 de 19,2 Mio € (entre 1 et 2 % de la consommation alimentaire), au Chili en 2019 de 13 Mio € et en Colombie en 2015 de 9,4 Mio €.
L’USDA (ministère de l’Agriculture des USA) offre des chiffres plus récents pour 5 des 20 pays latino-américains, mais ne portant que sur les boissons et produits préemballés (voir tableau).
Selon le cabinet South American RTE Food Market, le marché bio devrait croître en Amérique du Sud de 4,55 % (étonnante précision) entre 2020 et 2025.
De beaux exemples de magasins spécialisés
Vu ces tailles de marché, les données manquent cruellement sur les parts détenues par les différents circuits, qui vont – classiquement – de la GMS aux marchés fermiers en circuit court, en passant par les paniers bio, Internet et un réseau de magasins spécialisés qui se met progressivement en place, principalement des petits supermarchés voire des supérettes.
Des chiffres précis ne sont connus que pour quelques pays : au Brésil, 2/3 des ventes bio sont réalisés par la GMS, dont l’enseigne Pão de Açucar (groupe GPA, détenu en partie par Casino), qui est le principal vendeur de produits bio d’Amérique latine, une partie l’étant sous sa marque propre Taeq. Celle-ci est également vendue en Colombie dans les grandes surfaces Éxito, appartenant au groupe colombien du même nom, filiale de GPA. Au Brésil, Carrefour est également un acteur important.
Parmi les enseignes de GMS latino-américaines proposant du bio de façon notable figure Jumbo, une chaîne chilienne de supermarchés également présente en Argentine et en Colombie, qui proposa des références bio dès 1992. En Argentine selon l’USDA, la GMS, leader de la distribution bio, a réalisé 37 % des ventes de produits bio emballés.
Cette situation ne permet pas de dresser ici un état précis de la distribution spécialisée. Tout au plus pouvons-nous mentionner quelques exemples intéressants de magasins bio.
Au Brésil, on peut ainsi citer Malunga, qui possède 5 supermarchés à Brasilia. Au Mexique (où l’origine mexicaine des produits est souvent mise en avant), plus précisément à Mexico, on peut citer The Green Corner, avec 6 supermarchés et 2 restaurants, Verum qui possède 2 magasins avec restaurant (voir photo en titre de cet article), ou encore Origenes Organicos (3 magasins, un 4e ayant fermé récemment). EcoButik n’a qu’un seul magasin à Mexico, mais qui, tout en bois naturel, ne déparerait pas dans un quartier chic parisien. En Argentine, Fresco, à Buenos Aires, ouvert au printemps 2016, s’enorgueillit d’être « le premier supermarché certifié bio d’Amérique latine » (deux adresses à ce jour), Biomarket, ouvert en décembre 2016, également dans la capitale argentine à côté de nombreux autres magasins bio, affirmant cependant de son côté être « le premier supermarché bio de Buenos Aires ».
Les magasins de vrac récents ne manquent pas non plus en Amérique latine, comme, toujours à Buenos Aires, Cero Market, Ecotown ou encore La Quemisterie. Cette dernière entreprise a mis au point d’impressionnantes « stations de recharges », éclairées par LED, pour ses propres produits d’hygiène-beauté et de détergence liquide (qui ne sont cependant que sur « base naturelle »). Pour revenir sur les magasins bio stricto sensu, la place manque pour évoquer d’autres exemples latino-américains. Relevons juste qu’ils sont en général, pour autant qu’on peut les découvrir via Internet, de facture très moderne et attractive, preuve d’un dynamisme de bon aloi, malgré la faiblesse du marché. Néanmoins, la crise sanitaire due au Covid-19 risque d’impacter fortement l’économie déjà fragile de ces pays.
Michel Knittel / Tél. : 09 63 61 11 46
Bio Linéaires n° 95 – mai/juin 2021
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