La distribution des produits naturels et bio en Corée du Sud

16 novembre 2018

La Corée du Sud est un pays très fortement marqué d’une part par son histoire mouvementée à l’époque moderne et d’autre part par ses traditions et sa culture très riches, à l’instar de ses grands voisins que sont la Chine et le Japon. Mais elle n’échappe pas à la tendance mondiale d’un intérêt croissant pour l’alimentation bio, bien que freiné par des prix alimentaires déjà élevés à la base.

Un des quatre « dragons asiatiques »

Avec 51,5 Mio d’habitants, la Corée du Sud (nom officiel « République de Corée ») compte autant d’habitants que la France de 1972 et 10 % de plus, par exemple, que l’Espagne d’aujourd’hui. Mais la France fait 672 000 km2 et l’Espagne 506 000 km’, alors que la Corée du Sud n’a que 100 210 km2 : la densité de population, typique de nombre de pays asiatiques, y est ainsi de 513 hab./km2 soit 5 fois plus qu’en France ou qu’en Espagne.

Son PIB par habitant (environ 29 800 € en 2017) est certes inférieur à ceux de son voisin le Japon ou de la France (tous deux autour de 38500 €) mais sur la base de ce critère c’est le 30e pays le plus riche du monde, avec un taux de chômage (3,7 %) parmi les plus bas des pays industrialisés, étant équivalent à celui de l’Allemagne. Mais ces chiffres témoignent surtout d’un spectaculaire développement économique : longtemps colonisé par le Japon, séparé de sa partie nord suite à la guerre de 1950-1953, gouverné par un régime de dictature de 1961 à 1979, le PIB par habitant du pays fut très longtemps comparable à celui des pays les plus pauvres de l’Afrique et de l’Asie. C’est à partir du retour de la démocratie, dans les années 80, que la croissance exponentielle eut lieu, ce qui a valu au pays le surnom de « dragon asiatique », comme Taïwan, Hong-Kong et Singapour. Ses marques automobiles ou d’électronique/informatique de qualité connaissent notamment un succès mondial, et c’est une des trois nations qui investit le plus en Recherche & Développement au monde, avec Israël et le Japon.

 

 

Magasin Orga Whole Foods moderne et lumineux dans la province de Gyeonggi (photo Orga Whole Foods, DR).

 

Une production bio encore très limitée

Le secteur agroalimentaire coréen est en déficit permanent depuis des années : en 2016, le pays avait exporté pour 8,6 Mrd US de produits végétaux, élevage et pêche, en important dans le même temps 34,5 Mrd US$ (avant tout maïs, viandes de bœuf et de porc, produits manufacturés et blé). Les fruits et légumes y sont particulièrement chers. Plus de 60 % des produits alimentaires sud-coréens sont importés et, pour ce qui concerne le bio, plus de 75 % des ingrédients utilisés pour les produits bio transformés le sont aussi.

Selon le rapport 2018 IFOAM/FiBL, en 2016 seuls 1,2 % de la surface agricole utile était cultivés en bio en Corée du Sud (France 5,5 %, Belgique 6 % et Suisse 13,5 %). Il y avait à cette date 12 896 producteurs et 729 transformateurs bio dans le pays, à comparer aux 32 264 producteurs français et 12 826 transformateurs. La production biologique est réglementée par une loi dont la dernière version date de juin 2013. Mais même s’il existe une reconnaissance d’équivalence avec nombre de certifications étrangères (USA et Union Européenne notamment), les produits agricoles et animaux bio non transformés importés doivent toujours passer par un organisme de certification local agréé par le National Agricultural Product Quality Monagement Service (NAQS) dépendant du ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales (MAFRA).

A l’instar de ce qui existe au Japon (voir Bio Linéaires n°73), la certification ne se limite pas à la qualité biologique mais peut également porter sur d’autres cahiers des charges « approchant », avec l’apposition de logos graphiquement proches, qui ne participent certainement pas à une compréhension claire des bénéfices de l’agriculture biologique.

Il existe différents logos du MAFRA: produits agricoles bio, produits transformés bio (minimum 95 % d’ingrédients bio), produits agricoles sons pesticides, produits issus d’élevage sans antibiotiques, produits respectant le bien-être animal, produits répondant aux bonnes pratiques agricoles, indication géographique protégée (PGI), aliments traditionnels. Il existe aussi des logos équivalents pour les produits issus d’élevage bio, les produits aquatiques bio, etc.

De nombreuses associations de promotion de la bio se plaignent que le gouvernement s’intéresse avant tout à la sécurité alimentaire (c’est-à-dire à l’absence de polluants chimiques) sans comprendre réellement ce qu’est l’agriculture biologique et ses apports globaux en matière de santé, d’environnement, d’économie et d’avantages sociaux.

 

Un marché bio embryonnaire

De façon générale, il existe peu de chiffres précis sur la consommation bio pour la plupart des pays asiatiques. Selon les derniers chiffres IFOAM/FIBI , dans toute l’Asie, le marché aurait atteint 7,3 Mrd € en 2016, mais dont 5,9 Mrd pour la seule Chine (4′ marché mondial). Le pays venant ensuite serait le Japon (autour d’1,1 Mrd €), la Corée du Sud étant justement le 3ème marché, mais avec seulement 281 Mio € (chiffre 2015), bien en-deçà de certaines estimations faites il y a 2 ou 3 ans.

La Corée du Sud étant fortement dépendante des importations les produits bio en sont d’autant plus chers (au minimum 40 à 50 G/O de plus que le conventionnel), une grand partie de ceux-ci provenant des USA et d’Australie. La question du prix est surtout devenue délicate avec le relatif ralentissement économique qu’a connu le pays depuis quelques années. C’est pour cette raison que, de façon générale, les marques distributeurs sont de plus en plus mises en avant, les consommateurs voulant certes des produits de qualité mais à prix toujours plus bas.

En 2015, toujours selon le rapport 2018 IFOAM/FiBL, la consommation moyenne de produits alimentaires bio se serait montée environ à 6 € par personne et par an, à comparer aux 52 € par personne en Belgique, 101 € en France et 274 € en Suisse (chiffres 2016). Selon la plateforme européenne EU Gateway / Business Avenues, 78 % du marché bio seraient dans les mains de la grande distribution conventionnelle (super et hypermarchés, discounters), 16% seraient faits par les magasins spécialisés et les 6% restants par la vente en ligne, les grands magasins (department stores), etc. Contrairement à d’autres pays, les paniers bio ne font pas partie des achats les plus courants, sans doute en raison du nombre limité d’exploitations agricoles bio. Le bio est surtout acheté en grande distribution ainsi que dans les magasins spécialisés ou sur Internet.

La distribution conventionnelle

En Corée du Sud, ce sont surtout des enseignes locales qui occupent le marché de la distribution conventionnelle. Sur le créneau des super et hypermarchés (le premier a ouvert en 1993 dans le pays), le leader est e-mart (Shinsegae Group) créé en 1993, avec environ 165 magasins de tous formats à ce jour. Le deuxième est Homeplus (MBK Partners) avec plus de 140 magasins, suivi de Lotte Mart (Lotte Group) qui en a environ 115. Un certain nombre d’entreprises étrangères sont présentes dans le pays, mais la plupart (Walmart, Carrefour, Tesco…) sous forme de partenariat avec des groupes locaux, beaucoup ayant subi des échecs faute de savoir s’adapter aux habitudes de consommation des Coréens, sans compter les difficultés d’échange avec les collaborateurs locaux parlant souvent mal l’anglais. Costco, spécialiste des clubs-entrepôts, possède néanmoins une quinzaine de magasins en Corée.

Le paysage de la distribution est par ailleurs fortement marqué par les convenience stores, petits magasins de proximité ouverts 24h/24 proposant des produits alimentaires, des boissons, des cigarettes, des produits de première nécessité et certains services (snacking, banque, poste, livraison…). C’est un circuit très important pour l’alimentaire, affichant une croissance à deux chiffres contrairement aux super et hypermarchés. Les leaders en sont les enseignes GS2S (1 1 000 magasins), CU (1 1 000 aussi), 7-eleven (enseigne américaine à capitaux japonais, mais ici filiale de Lotte Group, avec 8 900 magasins), ministop (2 400), Emart 24 (2 100), etc. La Corée du Sud compte également un grand nombre de grands magasins (department stores), vendant initialement beaucoup d’articles de mode, mais qui proposent de plus en plus de produits alimentaires, plutôt haut de gamme. Parmi les enseignes, on trouve Lotte, Hyundai, Shinsegae ou Galleria.

La plupart des grandes enseignes proposent des produits bio (Jans leur assortiment alimentaire : E-mart (marque propre Jayunjuui), Home Plus, Lotte et même Costco.

La distribution spécialisée

Même si la consommation bio est encore faible et qu’elle est semble-t-il surtout dans les mains de la distribution conventionnelle, il existe sans doute au moins 1 000 à 1 500 magasins de produits naturels et biologiques (natural & organic specialty stores) dont l’assortiment n’est cependant pas exclusivement composé d’aliments bio, mais aussi d’aliments sans pesticides (voir plus haut), de cosmétiques naturels (prendre soin de sa beauté est une véritable obsession, autant pour les femmes que pour les hommes), de détergents et d’habillement « naturels », de produits équitables, de produits diététiques et de compléments alimentaires (il ne faut pas oublier, en effet, que malgré ses fortes traditions, le pays a été très marqué par l’influence américaine). L’alimentaire représente néanmoins environ 90 % de l’assortiment.

 

Avec environ 650 points de vente, Choroc Maeul est l’enseigne spécialisée la plus présente.
Film publicitaire de l’enseigne (Youtube).

 

Il existe plusieurs chaînes importantes de magasins spécialisées, la première étant Choroc Maeul, avec environ 650 magasins en 2017 (la plupart en franchise semble-t-il). Le premier magasin a été ouvert dès 1981, mais la société actuelle a été fondée en 1999, le nom de l’enseigne signifiant « village vert ». Un de leur arguments est qu’ils se fournissent directement auprès de fermiers locaux.

Le deuxième acteur est Hansalim, avec environ 220 magasins en 2017. Son nom signifie « sauver toutes les choses vivantes ». L’enseigne, née en 1986, fonctionne sur le mode de la coopérative producteurs-consommateurs, assez répandu dans le pays. Elle s’approvisionne donc également, de facto, directement auprès des fermiers. Elle compte plus de 410 000 membres. Pour autant qu’on puisse en juger d’après les images disponibles notamment sur leur site internet, ces magasins sont assez petits, avec merchandising surprenant pour nous autres Occidentaux, proche du hard-discount par certains aspects.

Autre acteur, iCOOP qui possède également environ 220 magasins à l’enseigne iCOOP Natural Dream. C’est aussi une coopérative agricole avec des consommateurs adhérents, plus de 260 000 à fin 2017. Créée en 1997 sous forme d’association coopérative de consommateurs, elle a été réorganisée en 2000 en intégrant des producteurs. Le premier magasin a été ouvert en janvier 2008 et le 100ème en juin 1011.

Enfin Orga Whole Foods Inc., société fondée en 1997 (issue d’une première boutique ouverte en 1981), est aussi un acteur important, avec environ 125 magasins en 2017. L’entreprise appartient aujourd’hui à Pulmuone, un fabricant d’aliments et de boissons, nutritionnels, diététiques et/ou traditionnels. Si c’est la chaîne la plus petite, ses points de vente sont par contre très modernes et attractifs. Ils sont soit exploités en direct sous l’enseigne Orga Whole Foods (magasins indépendants ou dans des centres commerciaux), soit en franchise (en fait member stores, c’est-à-dire coopérative de détaillants) sous l’enseigne Natural House by Orga, magasins installés entre autres comme « shop in shop » dans des grands magasins (Lotte par exemple). La société a annoncé un ambitieux programme d’ouvertures de magasins sous les deux enseignes.

Vente en ligne et autres canaux

Cela n’étonnera personne de savoir que la vente en ligne est en Corée du Sud une économie extrêmement importante, bien que les premiers acteurs ne soient apparus qu’au début des années 2010 : le pays est un des plus « connectés » au monde, 99,2 % des ménages ayant accès au haut débit. Toutes familles de produits confondus (alimentaire et non alimentaire), l’e-commerce a représenté en 2016 un CA de 55,9 Mrd US$ (dont 26 Mrd via ordinateur et 29,9 Mrd via appareil mobile, c’est-à-dire tablette ou smartphone), soit – depuis 2014 – plus que le CA des super- et hypermarchés (34,5 Mrd US$), que les magasins en ligne remplacent petit à petit pour certains achats, notamment les besoins du quotidien. Un tiers des consommateurs en ligne achète des produits d’épicerie. Les plateformes sont innombrables, mais on peut citer Coupang (le leader, vendeur important de produits bio), 11street, WeMakePrice, Ticketmonster, sans oublier Amazon ou Groupon, ni Lotte Group, qui montre que la frontière est souvent floue entre acteur en ligne et acteur de magasins « en dur ». Comme dit plus haut, toutes les chaînes de magasins spécialisés ont bien sûr leur propre site de vente sur internet. Exemple de l’importance croissante de ce canal : LF, une importante marque de mode coréenne a quitté les department stores pour se focaliser sur la vente en ligne.

Il ne faut pas oublier ici les innombrables chaînes de télé-achat, courantes dans le pays (on retrouve entre autres des enseignes présentes dans d’autre canaux). CJ O Shopping, GS Shop, Hyundai Home Shopping, Lotte Home Shopping, Home and Shopping sont les principaux acteurs. Le marché est quasiment à saturation et là aussi la frontière est parfois floue avec d’autres canaux. Parce que la vente des produits bio est souvent indissociable des produits de santé, il ne faut pas oublier de mentionner ici les nombreux Drugstores et autres Health & Beauty Stores, mais qui en Corée du Sud vendent surtout des cosmétiques et des produits d’hygiène corporelle, et très peu de produits alimentaires, contrairement à ce que l’on voit dans beaucoup d’autres pays. Le groupe coréen CJ possède ainsi plus de 900 magasins à l’enseigne Olive Young, GS a repris les drugstores A.S. Watson et rebaptise ses plus de 130 magasins Lalavla, Lotte Group possède 90 magasins à l’enseigne Lohb’s et Shinsegae a arrêté son enseigne Boons pour s’associer à l’américain Walgreens et ouvrir en 2017 des drugstores siglés Boots (10 points de vente).

Michel Knittel
BioLinéaires n° 80 – Novembre / Décembre 2018


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