La distribution des produits naturels et bio en Espagne

8 décembre 2015

Depuis le début de l’année, Bio Linéaires a proposé un aperçu de la distribution bio en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, au Canada et enfin en Grande-Bretagne. Ce voyage a montré que la situation de cette distribution bio varie beaucoup selon les pays, malgré une proximité géographique parfois directe. Avec l’Espagne, notre présente destination, cela va être une nouvelle fois le cas, la structure de la distribution y étant actuellement en pleine transformation.

Au début furent les herboristeries

Pendant longtemps, les prix plus élevés des produits bio, l’absence de réseaux réellement structurés et surtout la crise économique qui a durement touché l’Espagne à partir de 2008, ont freiné le développement de l’alimentation bio en Espagne. En fait de magasins spécialisés proposant des produits alimentaires « alternatifs », à l’instar de l’Allemagne avec les Reformhouser ou de la Grande-Bretagne avec les health food stores, l’Espagne connaissait, et connaît encore beaucoup, de nombreux magasins indépendants proposant surtout des compléments alimentaires, des produits diététiques et de la cosmétique naturelle. Qualifiés d’herboristerie, en espagnol herboristerfas (ou herbolarios, pour « herboristes »), ils ne proposent que peu, voire pas du tout d’alimentation biologique.

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Herbolario Navarro, la génération actuelle des magasins d’herboristerie (photo Herbolario Navarro)

En 2003, le nombre de ces herboristeries/magasins diététiques était estimé à environ 2 500, contre 1 000 à 1 400 actuellement, la crise étant donc passée par là. A côté sont apparus, petit à petit au tournant des années 2000, des magasins de détail d’alimentation biologiques (tiendas de alimentacién ecológica). En 2003, on en comptait à peine 400 environ, contre 600 à 1 000 aujourd’hui. Si le chiffre est difficile à cerner, c’est que parallèlement certaines her­boristeries se sont mises à l’alimentation bio. L’exemple typique est la chaîne Herbolario Navarro, entreprise familiale basée à Va­lence dont l’offre regroupe ainsi aujourd’hui à la fois les produits traditionnels des herboristeries et de l’alimentation biologique, certains à sa marque propre. L’enseigne dispose de 20 magasins, entre autres sous la marque Terra Verda, dont 9 à Valence, 2 à Madrid, 1 à Alicante, 1 à Palma de Majorque. Herbolaria Navarro, qui possède trois usines fabriquant des aliments bio, diététiques, macrobiotiques ainsi que des cosmétiques bio, a ouvert en no­vembre 2013 son premier supermarché à Madrid, avec une sur­face dépassant 1 000 m2.

À noter qu’une chaîne bien spécifique de magasins n’est pas comptée dans ces herboristeries ou magasins bic). Il s’agit de Naturhouse, mondialement connue (environ 2 000 magasins), à mentionner ici car elle est née en Espagne en 1992. Fabriquant ses propres compléments alimentaires et produits diététiques, l’enseigne a environ 600 points de vente en Espagne, contre près de 1 000 avant la crise.

Le tournant de 2002

C’est en 2002 que le paysage de la distribution a changé, avec l’ouverture à Barcelone du premier supermarché bio espagnol, à l’enseigne Comme-Bio, qui avait déjà deux magasins-restaurants dans la ville, et un autre à Madrid. Proposant 3 400 références sur 400 m°, il était l’initiative d’Alter Vida, une entreprise créée en 1995 et appartenant au grossiste BioCop. L’objectif était alors d’ouvrir 6 magasins pour la fin 2003 et 18 fin 2005. Mais la société fut mise en liquidation en 2005, n’ayant eu au final que 5 magasins.

Le frémissement était alors certain, puisque la chaîne italienne NaturaSi ouvrit en 2002 un magasin pilote de 250 m2 à Madrid, alors que Carrefour Espagne proposait en même temps des références bio dans ses magasins, son offre actuelle étant d’environ 200 références, chiffre certes faible par rapport au circuit spécialisé. C’est aussi en 2002 que s’est créée l’enseigne Veritas (voir plus loin). Alcampo, la filiale espagnole du groupe Auchan, introduisit également des produits bio dans son assortiment. On parlait à l’époque de l’ouverture d’un nouveau supermarché bio par mois sur les 3 ou 4 années à venir, mais la crise fut fatale à cette expansion.

Avec le redémarrage de l’économie, l’intérêt pour la bio s’est confirmé. En 2011, le CA du secteur augmenta de 20 %, de même qu’en 2012. Lidl (535 magasins) introduisit le bio dans son assortiment en 2012. El Corte Inglés, la plus importante chaîne espagnole de grands magasins, qui avait déjà proposé du bio dès 1995, a augmenté en 2014 son offre à 1 600 références. Le discounter Aldi (220 points de vente), a également introduit quelques dizaines de références et la chaîne d’origine basque Eroski (115 hypermarchés et plus de 1.000 supermarchés, entre autres) a fait de même. Du côté du circuit spécialisé s’est ouvert en juin 2013 à Vigo (Ga­lice) le supermarché ABC de Bio, avec 1.500 références sur 170 m2, dont une grande partie d’origine galicienne. En mars 2014 s’est ouvert à Barcelone Obbio Food, magasin au design soigné se présentant comme le plus grand supermarché bio de la ville (8.000 références, 700 m2 dont un restaurant). Un de ses objectifs est d’offrir un choix de produits bien plus large que les concurrents. En avril, c’est Pampelune qui a vu la création de Biecor ecomarket (300 m2, 3 000 références), et en juillet, Dinosol Group, propriétaire de la chaîne Hiperdino aux Canaries, y a ouvert son premier super­marché bio, EcoDino. En juin 2014, E) Huerto de Lucas a inauguré à Madrid un nouveau concept de marché « écogastroculturel «  où, sur 450 m2, on peut soit acheter des produits bio soit manger dans un cadre au design moderne et écologique. Un second magasin de 100 m2 (200 références) a ouvert dans la ville en septembre 2015.

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El Huerto de Lucas, un concept original (photo El Huerto de Lucas)

En mars 2015, la chaîne française Bio C’Bon a ouvert un magasin à Madrid (4.000 références sur 450 m2), avec une grande majorité de produits frais d’origine espagnole pour « miser sur la production de proximité ». L’enseigne a d’ores et déjà annoncé le projet d’ouvrir à court terme d’autres points de vente dans le centre de Madrid, avant de s’attaquer au reste de l’Espagne. En juin, s’est ouvert à Murcie, sur l’initiative d’une famille d’agriculteurs et d’éleveurs, le magasin GranBio Supermecados Ecológicos, avec 250 m2 et 3 000 références privilégiant comme souvent le local.

À Madrid, NaturaSi a aujourd’hui 2 magasins, et en Catalogne, l’enseigne Nana (née en 1995) possède 5 magasins dans la région de Gérone et 2 dans celle de Barcelone. Mentionnons aussi Biona­tura qui possède deux magasins, à Fuengirola (depuis 19 ans) et à Marbella (14 ans) proposant 4 000 références, etc.

Il ne faut pas oublier les innombrables boutiques en ligne comme EnterBio, Fenoll ou Compra Ecolôgic, certaines s’appuyant sur une boutique physique, ou des projets comme Temps de Terra (3 bou­tiques), magasins de proximité (viande, fruits, légumes) initiative d’un groupement d’agriculteurs et de producteurs dans la pro­vince de Tarragone.

Les deux principales chaînes de supermar­chés : Veritas et Supersano

Le leader incontesté de la distribution bio espagnole est aujourd’hui l’enseigne Veritas, de la société Ecoveritas fondée en 2002 à Barcelone. Ses magasins, dont la surface varie de 140 m2 à 650 m2, proposent en moyenne 4.000 références, dont environ 400 en MDD. Une importance toute particulière est donnée à l’information des consommateurs, via une intense communication (revue mensuelle, site internet…) pour les éduquer au bio et les fidéliser. Une des dernières ouvertures, au centre de Barcelone, offre sur 400 m2, en plus de la vente, un espace dédié aux ateliers et aux conférences. Si l’essentiel des magasins fut longtemps concentré en Catalogne, sa région d’origine, Veritas est passé d’une vingtaine d’adresses en 2013 à 35 dans toute l’Espagne fin 2015. Le gros de l’assortiment reste l’alimentation, pour la plus grande part d’origine espagnole, la cosmétique bio ne représentant que 4 % du CA et les compléments alimentaires 1 %. Certains magasins ont également un restaurant, et la boulangerie y joue un rôle essentiel pour attirer le client.

Le challenger est Supersano, enseigne née en 2009 et basée à Ali­cante. Au mois de septembre 2015 puis en novembre, elle a ou­vert 2 nouveaux points de vente à Madrid, s’ajoutant aux 2 qu’elle possédait déjà dans cette ville et aux 6 autres existant à Valence, Alicante, Murcie, Saragosse, Albacete, Elche et Altesse (commu­nauté de Valence), soit maintenant 10 au total, avec une surface allant de 120 à 200 m2 et 3.000 références en moyenne. SuperSano prévoit 4 à 5 ouvertures par an,visant notamment Bilbao, Barce­lone et la Navarre..

Les perspectives

Les grossistes, dont beaucoup ont classiquement des produits à marque propre, jouent aussi un rôle important dans le développe­ment du marché, conseillant les personnes qui veulent ouvrir un magasin et présentant les produits bio lors des différents salons professionnels d’envergure nationale (BioCultura) ou régionale (Bioterra, Ecolamora, Ecoviure). Parmi ces grossistes on peut citer Alieco (à Arganda del Rey), Biocop (Barcelone), Natureco (Moià), Natursoy (CastellterçoI), La Finestra sul Cielo (Montmelô), Solnatu­ral (Vilassar de Mar), etc. Actuellement, certains grossistes de compléments alimentaires et autres produits naturels commencent également à proposer de l’alimentation bio, comme Santiveri (Barcelone) ou Soria Natural (Garray).

Comme on l’aura compris, le marché espagnol de la bio est en pleine expansion et en phase de structuration. Si la dépense annuelle moyenne par habitant est actuellement de 21,50 € seulement (contre 74 € en France) et si le consommateur-type est surtout une femme urbaine de 35 à 55 ans vivant à Madrid, Bar­celone ou au Pays basque, le potentiel de croissance est énorme. Pendant longtemps, le moteur de ce développement fut surtout la Catalogne (capitale Barcelone), mais la demande atteint maintenant les autres régions et certaines estimations parlent d’une croissance de l’ordre de 12 % par an d’ici 2020. Une croissance qui va stimuler à la fois l’industrie de transformation locale (qui ne couvre pas encore tous les besoins) et la multiplication des points de vente d’envergure.

Par Michel Knittel avec l’aimable autorisation de BioLinéaires

Nos remerciements à Monte Escutia (Vida Sana), irene Meinecke (Btirlind Esparia), Sophie Pognon (Ecoveritas) et Enric Urrutia (Bioeco Actual).


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