La distribution des produits naturels et bio en Irlande

14 novembre 2020

Pays insulaire, la République d’Irlande (du Sud…) est fortement imprégnée de culture anglo-saxonne et influencée par son voisin immédiat, le Royaume-Uni. Mais son histoire et sa culture particulières font que la vie quotidienne et donc les habitudes de consommation ne sont pas vraiment les mêmes entre Irlandais et Britanniques, d’où un paysage de la distribution bio pas totalement identique entre les deux pays.

Quay co-op à Cork, un superbe concept (photo page Facebook Quay co-op).

Pays peu peuplé mais économie riche

Avec 4,9 millions d’habitants, l’Irlande est un « petit pays » (à peine la moitié de la population de la Belgique, avec une superficie néanmoins plus de deux fois plus grande, équivalente à celle de la région Auvergne-Rhône-Alpes ou de la région Occitanie). Près de 2/3 des habitants vivent en zone urbaine, la capitale Dublin réunissant à elle seule 1,2 Mio de personnes dans son agglomération.

C’est un des pays les plus riches de l’Union européenne, à l’instar de beaucoup d’autres « petits pays » en nombre d’habitants (Luxembourg, Danemark… sans oublier la Suisse). En effet, exprimé en SPA (standard de pouvoir d’achat, c’est-à-dire dans une monnaie virtuelle éliminant, pour des comparaisons significatives, les différences de niveaux de prix entre les pays, l’indice de base étant de 100 pour l’ensemble de l’Union), son PIB par habitant est de 189, le deuxième derrière le Luxembourg (France 105, Belgique 117 et Allemagne 120). Ce sont les services qui sont les plus gros contributeurs du PIB National (60,2 % en 2017), suivis de l’industrie (38,6 %), l’agriculture n’apportant que 1,2 %.

Avec 72 000 ha, les surfaces cultivées en bio ne représentent environ que 1,5 % de la surface agricole utile, bien loin des valeurs actuelles pour la France (8,5 %), la Belgique (7 %) et surtout la Suisse (16 %). Selon les derniers chiffres 2019 du ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Marine, il y a aujourd’hui un peu plus de 2 100 opérateurs bio dans le pays, dont 1 700 agriculteurs (principalement des éleveurs), le reste étant représenté par les transformateurs, les détaillants, distributeurs et importateurs.

Un marché bio multiplié par plus de 8 en 20 ans

Il n’existe à ce jour aucune donnée précise sur la valeur du marché de détail bio irlandais depuis 2017/2018. Board Bia (l’agence officielle irlandaise de promotion de l’industrie agro-alimentaire) l’estime à « plus de 200 Mio € » pour l’année 2018. En 2017, ce chiffre était évalué à 162 Mio €, plus 44 Mio € pour les ventes directes (marchés fermiers et achats directs à la ferme), soit au total 206 Mio €. La croissance 2018/2017 a été de +10 %, reflétant la tendance des autres pays européens. Le même taux de croissance avait été constaté pour 2017/2016 valant à l’Irlande d’être présente dans le « top 10» des pays avec la plus forte augmentation dans le dernier rapport annuel de la FiBL (mais avec les chiffres 2017), à la 8′ place entre l’Autriche (+12 %) et la Suède (+9 %). La France était numéro 1 avec +18 % et la Suisse 10e avec +8 %. Cela correspondait à une part de marché de la Bio de 0,7 % (France 4,4 %, Belgique 2,5 % et Suisse 9 %) et à une dépense de 43 € par habitant, contre 118 € pour la France (Belgique 56 € et Suisse 288 €).

En 2001, le marché de détail irlandais ne se montait qu’a 25 Mio €: il a ainsi été multiplié par 8,5 en 17-18 ans, venant cependant de loin et restant encore faible, comparativement à de nombreux autres pays.

Les trois catégories de produits les plus performantes sont les légumes (22 % des achats bio), les yaourts (17 %) et les fruits (12 %). Une étude consommateurs réalisée en 2017 par Board Bia a montré que la qualité supérieure (pour 38 % des personnes) des produits bio est le principal ressort d’achat, le fait que le produit soit labellisé (34 %) étant également une raison importante pour acheter. Les bienfaits pour la santé (29 %), le meilleur goût (26 %) et l’origine irlandaise (25 %) ont également obtenu de bons résultats dans cette étude.

Si près de 94 % des ménages irlandais achètent des produits bio, en moyenne une fois toutes les deux semaines, cette étude a également révélé que le plus gros frein à l’achat est le prix, pour 48 % des consommateurs. Le manque de promotion des ventes (21 %) et les gammes limitées de produits (19 %) étaient également cités comme obstacles majeurs à l’achat. Car mis à part les produits carnés (bovins et ovins), la production bio locale n’est pas suffisamment développée, avec une absence notable de gros producteurs de fruits et légumes, les marchés fermiers très répandus absorbant l’essentiel des produits, venant principalement de petites exploitations. D’où une forte dépendance aux importations pour répondre à la croissance, dont le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation souhaite s’affranchir avec un programme de développement du secteur bio pour la période 2019-2025.

La GMS, leader comme souvent

Selon une autre étude, réalisée par Kantar World Panel, c’est la GMS et les discounters qui sont les leaders de la distribution, avec 70 % des achats en 2017. Le reste se partage entre vente directe (marchés et achats à la ferme 11 %), épiceries indépendantes (8 %), pharmacies et health stores (magasins de produits naturels et de santé : 6 %) et convenience stores (magasins de proximité). Il n’y a pas de données pour les « magasins spécialisés bio », catégorie difficile à cerner, comme nous le verrons plus loin.

La distribution conventionnelle irlandaise est partagée entre quelques enseignes, qui possèdent des hyper et supermarchés ainsi que des «minimarkets» : Tesco Ireland, Dunnes Stores, Marks and Spencer, EuroSpar, SuperValu’… sans oublier les discounters Aldi et Lidl.

Selon les données récoltées par Kantar sur 12 semaines à l’automne 2019, le numéro 1 de la GMS conventionnelle était alors Dunnes (22,2 % de part de marché, avec plus de 120 magasins), suivi de SuperValu (21,4 %, plus de 220 magasins, son propriétaire Musgrave Group possédant également plus de 600 supérettes et convenience stores à l’enseigne Centra et Daybreak), Tesco (21,41%, 150 magasins), Aldi (12,5 %, 130 magasins) et Lidl (11,9 %, 200 magasins), les autres enseignes se partageant les 10,6 % restants (Eurospar / Spar, Marks & Spencer, Iceland, Joyce’s…).

La plupart de ces enseignes ont leur marque propre bio (Dunnes Stores Organic, SuperValu Organic, Kiddies Organic chez SuperValu également, Tesco Organic, Organic Fresh pour les fruits et légumes Aldi ou encore Simply Nature également chez Aldi, toute la gamme n’étant cependant pas bio mais souvent simplement des produits sans… », etc.). Au total SuperValu offre par exemple plus de 500 références alimentaires bio (marque propre incluse), Lidl de son côté 220 références, incluant le non-alimentaire, avec également des produits à marque propre.

Les données les plus récentes sur les parts de marché détenues par ces enseignes remontent à l’étude de Kantar World Panel (faite sur 12 mois à fin novembre 2017). SuperValu détenait alors 26 % du marché bio en GMS, Tesco 20,2 %, Dunnes 16,4 W, Lidl 13,9 % et Aldi 9,8 %. Soit 86,3 % pour ces cinq enseignes. Une hiérarchie inchangée en comparaison de 2015, SuperValu et Tesco ayant cependant perdu quelques points au profit de Lidl, Aldi et des enseignes diverses (stable chez Dunnes).

Leader de la distribution bio en GMS, la chaîne SuperValu (photo wikipedia)

Les catégories les plus vendues en bio sont le lait et les yaourt chez Tesco, les pâtes chez SuperValu, les biscuits chez Dunnes Stores, les céréales pour petit déjeuner chez Aldi et le lait chez Lidl. Fort de son leadership, SuperValu a lancé en août 2019 une gamme de 19 fruits et légumes avec des emballages compostables, le but étant d’avoir 100 % d’emballages recyclables, réutilisables ou compostables pour les produits frais à l’horizon 2025, participant à l’objectif de l’entreprise de « verdir son image », en réduisant son empreinte carbone de 70 % à cette date.

Le réseau spécialisé

Concernant le réseau spécialisé bio, il n’existe aucun chiffre. Un fait cependant il n’existe aucune chaîne de supermarchés strictement bio en Irlande. Le point essentiel est qu’il semble difficile de trouver des magasins bio « à la française », vendant majoritairement des produits alimentaires bio, dont beaucoup de frais. Certes, on trouvera sans problème dans toutes les villes nombre de boutiques indépendantes baptisées « magasins bio » (organic shop, organic store…) ou « supermarchés bio » (organic supermarket), ces derniers tendant en général bien plus vers la supérette que vers le supermarché. Il est superflu de les citer ici, ce type de magasins se comptant par dizaines dans le pays, avec bien sûr d’autres noms d’enseigne significatifs, comme « The Good Food Shop » ou «Feel Fine Food».

Le paysage irlandais de la distribution de produits naturels et bio est surtout fortement marqué par la présence historique – et typiquement anglo-saxonne – de très nombreux health stores, dont le cœur de métier est depuis des années la vente de compléments alimentaires, de produits diététiques, de cosmétiques (plus ou moins) naturels, etc. Des magasins dont la frontière avec la pharmacie est parfois ténue, car ils peuvent également vendre des médicaments. On trouvera ainsi les très britanniques chaînes de magasins Boots (90 en Irlande) et Holland & Barren (50 boutiques). Des «quasi pharmacies» chez qui on commence à trouver quelques références de produits bio.

À Newcastle West (comté de Limerick), un des quatorze magasins spécialisés Homs Healthstore (photo site Facebook).

À côté de ces grandes chaînes, l’association Health Stores Ireland (IASH), née en 1986, regroupe plus de 200 magasins indépendants. On peut la comparer à la Neuform allemande, qui regroupe les Reformhäuser, car pour en faire partie, une formation professionnelle des gérants et du personnel est obligatoire. En fait partie par exemple l’enseigne The Health Store, créée en 1982, qui possède 11 magasins dont 8 à Dublin, dont l’assortiment est celui d’un health store classique, avec très peu d’alimentaire.

Mais que penser des enseignes, également membres de l’IASH, comme Nature’s Gold (1977, un des plus anciens magasins d’Irlande, aujourd’hui 3 points de vente), Horans Healthstore (1988, 14 magasins), Evergreen Healthfoods (1992, 7 magasins) ou encore Health Matters (1998, 4 magasins), qui proposent un assortiment alimentaire bio de dizaines voire de centaines de références (sans produits frais cependant) ? L’ambigüité est même totale avec le nom des magasins Milltown Organics (Milltown) ou Organico (Bantry), eux aussi membres de l’IASH, alors que leur assortiment est principalement alimentaire, Organico ayant même sa propre boulangerie… Difficile donc de cerner les « vrais » magasins bio irlandais, même si on trouve d’autres magasins de produits naturels et bio qui ne sont pas membre de l’IASH.

Qu’ils soient très orientés alimentaire ou non, il faut noter l’existence de nombreux magasins ou même marchés organisés sous forme de coopératives, comme The Urban Co-op à Limerick, ou encore à Dublin The Dublin Food Co-op et Co-op Organic Food Market. Parmi les plus remarquables figure Quay co-op, né en 1982, avec trois magasins à Cork, dont le premier est installé dans un ancien entrepôt au bord de la Lee River une véritable pépite qui associe la vente de produits bio et naturels à un restaurant végétarien, un salon de thé et même une galerie d’art et une librairie vendant du neuf et de l’occasion.

Parmi les originalités, on peut aussi citer All Ireland Foods, dans le comté de Wexford, qui comme son nom l’indique ne vend que des produits 100 % irlandais, locaux et en grande partie bio. Des achats locaux et bio qui peuvent se faire non seulement sur les marchés fermiers ou directement dans les très nombreuses fermes (11 % du marché), mais aussi via des paniers bio, que certaines fermes livrent dans tout le pays.

Bien sûr, le vegan prend également de plus en plus d’importance, avec notamment Veganic, le premier « supermarché » (plutôt une supérette) 100 % bio et végan d’Irlande, qui a ouvert en septembre 2019 à Dublin.

De même le vrac et autre « zéro déchet » commence à faire aussi son apparition, avec comme exemples la Minimal Waste Grocery, présente le samedi sur le Red Stables Market de Dublin et The Source Bulk foods, émanation d’une entreprise australienne (plus de 50 magasins en Australie et 5 en Nouvelle-Zélande), qui a ouvert à Dublin un superbe et très moderne point de vente (plus 3 en Grande-Bretagne). Le marché irlandais est encore limité, mais il montre de très belles initiatives.

Merci à Natasha O’Hagan, responsable marketing au Bord Bia.

Michel Knittel, Bio Linéaires n°92 – Novembre / Décembre 2020

1) SuperValu, entreprise irlandaise qui possède des magasins en République d’Irlande, Irlande du Nord ainsi qu’en Espagne, ne doit pas être confondue avec la société du même nom aux USA ni avec celle du Canada, ni avec SuperValue en Nouvelle-Zélande


Articles récents dans la même catégorie

+

Inscrivez vous à notre newsletter

Vous acceptez de recevoir nos derniers articles par email
Vous affirmez avoir pris connaissance de notre Politique de confidentialité.