La distribution des produits naturels et bio en République tchèque et Slovaquie
Pour tous ceux qui sont âgés de plus de 45 ans, il ne fut question, question, pendant longtemps, que de la Tchécoslovaquie, un pays grand comme quatre fois la Belgique. Mais depuis 1993, deux pays bien différents l’ont remplacé, dont l’histoire commune récente fait que la Bio y a démarré plus tard que dans la majorité du reste de l’Europe.
Un des magasins de la chaîne tchèque Country Life à Ostrava, capitale de la région de Moravie-Silésie (photo Country Life, DR).
Deux pays jeunes, membres de l’Union européenne
La Tchécoslovaquie, née en 1918 du démembrement de l’empire austro-hongrois, fut occupée par les Allemands pendant la Seconde guerre mondiale, puis passa dans la zone d’influence soviétique de 1945 à 1989 jusqu’à la « chute du Mur ». Après une courte période de vie commune, les deux principales régions composant le pays se séparèrent, pour former d’une part la République tchèque (ou Tchéquie, Cesko) et d’autre part la Slovaquie (Slovensko). Elles sont membres de l’UE depuis 2004, mais seule la Slovaquie a adopté l’Euro (depuis 2009), la Tchéquie ayant gardé sa monnaie nationale, la couronne tchèque (CZK) avec 1€= 25 CZK (mai 2018).
La Tchéquie est quasiment deux fois plus grande que la Slovaquie (79 000 km2 et 10,6 Mio d’habitants dont 73 % urbaine pour la Première et 49 000 km2 et 5,5 Mio d’habitants dont 53% urbaine aussi pour la seconde). La ruralité plus grande de la Slovaquie se mesure aussi au fait que l’agriculture représente 3,7% de son PIB (contre 2,5 en Tchéquie), une valeur proche de celle de la Grèce (France 1,6 %, Belgique 0,7 % et Allemagne 0,6 %).
Leurs économies sont principalement tournées vers leur voisins directs : plus de 30 % des produits importés en Tchéquie viennent d’Allemagne (environ 10 % de Pologne), l’Allemagne étant également le fournisseur n°1 de la Slovaquie (20 % des importations), suivie de la Tchéquie (17 %) et de l’Autriche (10%). La France n’est que le 8e fournisseur des deux pays.
De tous les anciens pays ex-communistes, c’est la République tchèque, considérée comme un pays stable, prospère et sûr, qui plus industrialisée et la plus développée. La Slovaquie présente une économie plus nuancée, avec une forte
inégalité entre la région occidentale autour de la capitale Bratislava, une des plus développées de l’Union européenne, et les régions défavorisées du centre et de l’est du pays.
Contrairement à bien d’autres pays, où la Bio a émergé à partir des années 1980 voire dès les années 1970, il a fallu attendre la disparition du bloc soviétique pour que cela soit le cas dans l’ex-Tchécoslovaquie : le premier cahier des charges pour l’agriculture biologique a été introduit en Tchéquie en 1993 et en 1998 en Slovaquie.
La République tchèque et le bio
Avec 11,5 % de sa surface agricole utile (SAU) cultivée en bio en 2016, selon les derniers chiffres disponibles (FiBL/IFOAM 2018), la Tchéquie fait partie des 15 pays au monde dont le chiffre dépasse les 10 %. Vu la taille du pays, cela ne fait cependant que 489 000 ha, avec 4 271 producteurs agricoles (à comparer au 1,5 Mio ha en France hors DOM/TOM, soit alors 5,5 % de la SAU, pour 32 300 exploitations). On y dénombrait 616 transformateurs (12 826 en France) et 190 importateurs (France 223).
Le chiffre le plus récent du CA bio de détail en Tchéquie date de 2015 : 79 Mio € (0,8 96 seulement de la consommation alimentaire totale, contre 3,5 % en France et 3,2 96 en Belgique). La dépense moyenne par personne est faible, de l’ordre de 7 à 8 € selon le taux de change (France 101 € et Belgique 52 €). Si en 2014 le CA de détail était de 74 Mio €, il était par contre monté à 77 Mio € en 2013, contre 66 Mio en 2011 (0,65 % de la consommation alimentaire). Après une augmentation significative dans les années 2005-2008, le marché a plutôt stagné ces dernières années. Malgré ce chiffre modeste, la Tchéquie est un des pays de l’ex-bloc soviétique où le marché bio se porte le mieux, avec la Pologne et la Hongrie.
La part des produits importés transformés est de l’ordre de 50%, les principaux pays d’origine étant l’Allemagne et l’Autriche. Les produits bio sont un luxe, pouvant être 30 à 80% plus chers que leurs équivalents conventionnels, voire 100%. Le consommateur tchèque connaît peu les produits bio et sa confiance est limitée, suite à quelques scandales ces dernières années. Un consommateur qui est plutôt féminin, âgé de 20 à 59 ans, vivant dans les grandes villes.
En 2015, la majeure partie (46%) de l’alimentation bio a été achetée par les Tchèques dans le réseau alimentaire conventionnel et 15% dans les drogueries (dont la chaîne allemande dm: voir plus loin), qui proposent également ce type de produits. 14% ont été vendus dans les magasins spécialisés. A l’inverse de ces derniers, la part, de la vente directe (dans laquelle la vente en ligne est incluse, beaucoup de producteurs vendant par ce biais) est en croissance constante, avec des dizaines de sites. Si les marchés fermiers se développent (notamment dans les grandes villes mais aussi en zone rurale), il faut cependant noter que les produits bio et non bio sont souvent mélangés.
Championne de la distribution bio bien qu’en baisse, la GMS connaît globalement le succès, car les Tchèques privilégient les hypermarchés et grands supermarchés pour leurs courses de week-end, les petits magasins étant visités pour les achats quotidiens. Les leaders de la GMS sont toutes des enseignes étrangères: Albert Heijn/Ahold et Kaufland avec chacun près de 15% de PDM en 2015, Lidl (9,1%), Penny Markt (8,6%), Tesco (8,5%), mais aussi Billa, Globus et les locaux Coop et Hruska. Au total près de 2000 super et hypermarchés. Concernant les drogueries, on trouve les enseignes allemandes dm (224 magasins) et Rossmann (131), ainsi que la chaîne tchèque Teta Droguerie (près de 800). A noter que, comme en Allemagne entre autres, dm distribue les produits bio allemands Alnatura. Tesco, Billa ou Globus proposent leurs marques bio propres. E, 2015, le CA bio de Globus s’est monté à 5,5 Mio € (pour 500 références).
Un magasin Sklizeno à Prague en Tchéquie.
Concernant les magasins spécialisés, la plus grande partie associe produits naturels, bio, fermiers voire épicerie fine. Pro-Bio l’association tchèque des agriculteurs biologiques, qui compte actuellement 615 agriculteurs biologiques et 68 magasins, promet à sa clientèle un assortiment minimum de 30 % de produits bio et au minimum 150 références. Le nombre total de magasins de produits bio et naturels est d’environ 600 aujourd’hui, contre 409 en 2015, chiffre qui etait alors 5 fois plus grand que celui de 2007. C’est ce chiffre encore assez modeste de points de vente vraiment bio qui freine aussi le développement du marché.
Vu le caractère embryonnaire de celui-ci, rares sont encore les très grandes chaînes de magasins spécialisés, même si l’on relève de belles initiatives, avec des magasins souvent très séduisants. Parmi les acteurs intéressants figure ainsi Country Life, né en 1991 (le premier a introduire les produits bio sur le marché tchécoslovaque, surtout des produits français a l’époque), qui possède 8 magasins à Prague, plus une boutique de cosmétique naturelle et bio, ainsi que 3 restaurants végétariens et 2 mini-boutiques à Rudna et Nenacovice, et un autre magasin dans l’est du pays, à Ostrava. Ils ont leur marque propre et un magazine distribué à 60 000 exemplaires dans les magasins de « nutrition saine » de tout le pays. Velkoobchod Country Life, leur division de vente en gros, offre plus de 2 500 produits, dont 1500 en qualité bio. Ils sont les importateurs d’un grand nombre de marques connues chez nous. Parmi ses clients importants figurent Globus, Tesco, Ahold, Kaufland et Compass Group.
Bioobchod est une autre enseigne, qui avait plusieurs magasins à Prague (dont un magasin de cosmétique naturelle) et dans l’est du pays, mais la chaîne est actuellement en déclin, ayant fermé plusieurs points de vente. Ils sont également grossistes (200 magasins clients en Tchéquie et Slovaquie) – avec nombre de marques également bien connues chez nous – et exploitent un hôtel végétalien.
Sklizeno, née en 2011 à Brno, est également une chaîne de magasins « mixtes » bio et non-bio, en croissance avec 28 magasins (dont deux en préparation à Bratislava), certains avec un restaurant ou un snack. Dans leur philosophie figure le partenariat avec des petits producteurs. Parmi les dizaines de magasins indépendants, nombreux sont ceux qui sont les partenaires de fermes bio, comme Farmaletna à Prague, assurant la distribution de leurs produits en ville, au sein de leur assortiment également mixte bio/non-bio.
À noter enfin la chaîne Vitaland créée en 1998 (22 magasins), spécialisée dans les compléments alimentaires et la diététique sportive, mais qui vend également quelques rares produits bio. Une grosse part de l’assortiment est en marque propre.
La Slovaquie et le bio
Selon les dernières données FiBL/IFOAM 2018, la part de la SAU cultivée en bio en Slovaquie n’est pas négligeable non plus (9,9 % en 2016). Mais le pays étant petit, cela ne fait que 18 100 ha et 431 exploitations agricoles. On y dénombrait alors seulement 36 transformateurs et 13 importateurs.
La valeur totale du marché de détail est des plus anecdotiques, sachant que les derniers chiffres disponibles datent de 2010 : 4 Mio €, Cela fait une dépense annuelle par habitant d’environ 0,70 € et une part de la Bio dans la consommation annuelle de seulement 0,2 % (84 € par personne en France, 46 € en Belgique et 262 € en Suisse à l’époque). La Slovaquie est dans la queue du peloton de la consommation nation avec la Bulgarie (0,9 € par personne en 2010), le (0,20 € 2010), la Bosnie-Herzégovine (0,10 € 2013) et la Turquie (0,10 € 2009). Par contre le marché des, produits de santé » serait assez important, mobilisant plus les consommateurs slovaques.
Le magasin Biopark du Avion Shopping Center de Bratislava en Slovaquie (Photo Biopark, DR).
Nous n’avons pas trouvé de données récentes pour les parts de marché par circuit en Slovaquie. Selon l’Agence Bio cependant (« La bio dans l’Union européenne », Edition 2017), la GMS ferait 40 % des ventes, à égalité avec les magasins spécialisés, le reste étant réalisé via les autres canaux. Le marché ne s’est développé (si on peut dire) qu’à partir de 2002 environ, principalement dans les magasins de produits naturels (magasins diététiques), dont l’assortiment est loin d’être principalement bio comme en Tchéquie. Assez rapidement, la GMS s’y est néanmoins intéressée, entre autres via les enseignes étrangères présentes dans le pays (Carrefour dès 2003 ou Tesco à partir de 2007) ou des chaînes locales (Coop Jednota depuis 2004). Des magasins spécialisés se sont créés depuis par dizaines, principalement dans la capitale Bratislava ou dans la partie occidentale du pays plus riche, avec donc toujours un assortiment mixte bio/non- bio : en 2010, il y en avait une centaine. La plupart des chaînes de GMS vendent un petit assortiment des produits bio les plus courants, souvent à leur marque propre : Billa, Coop Jednota, Tesco. Près de 70 % du CA de la Bio étaient faits en 2010 dans la région de Bratislava.
Un des acteurs majeurs est Biopark, qui possède 6 très beaux magasins à Bratislava, Kosice et Zilina, sans oublier, comme souvent, une boutique en ligne. Bioland possède 3 magasins à Bratislava et Pezinok, ainsi qu’un restaurant. On pourrait aussi citer (tous ont aussi leur boutique en ligne) Planeta Natur, Bioraj, Ayurveda Bratislava (spécialisé dans l’ayurvédique comme son nom l’indique), Celia (produits exclusivement sans gluten) ou encore Moje Bio, installé dans la galerie marchande ultra-moderne du Tesco de Bratislava-Petrzalka. Sans oublier les 139 filiales de la chaîne allemande de drogueries dm.
Pour terminer, symbolique de cette association systématique en Tchéquie et Slovaquie de produits bio, naturels et/ou issus de la ferme, citons l’immense centre commercial Freshmarket installé dans la banlieue de Bratislava, à Nové Mesto. Son bâtiment au design industriel soigné, rénové en février 2016, accueille une cinquantaine de boutiques, dont beaucoup offrent des produits bio et naturels : magasins de produits naturels, épiceries fines, produits orientaux, pâtisseries, cavistes, bars, cafés, restaurants, etc.
Merci à Otakar Jiranek (Country Life).
Michel Knittel Bio Linéaires n° 78 – Juillet / Août 2018
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