La distribution spécialisée en Allemagne grosse crise ou petit rhume ?
Les magasins bio en Allemagne ont enregistré plusieurs trimestres de stagnation et de régression depuis la mi-2016, nous en avions parlé dans les éditions précédentes. Une étude de marché approfondie, financée par Natexbio 1, a permis d’analyser les raisons de cette baisse de performance et d’entrevoir les perspectives du secteur.
Tout allait bien dans le marché bio en Allemagne jusqu’en 2016 : ce marché de longue tradition, mature, et où les produits bio étaient présents dans tous les canaux de distribution, continuait à afficher une belle croissance entre 5 et 10 % par an. Tous les acteurs profitaient de cette évolution positive, la vente directe, la distribution spécialisée bio et la grande distribution.
C’est à la mi-2016 que les choses changent : la croissance en magasin bio se tasse, pendant que la distribution conventionnelle porte l’essentiel de la dynamique du marché. Deux puis trois semestres de chiffres d’affaires décevants pour la distribution spécialisée font naître le doute suivant :
1-Est-ce que le futur du marché bio se passera en grande distribution ?
2-Les magasins bio sont-ils voués à disparaître ?
Quelques observateurs prédisent déjà la fin de la distribution spécialisée en bio, un format inventé il y a 100 ans, tout au début de l’histoire du bio et dont la raison d’être s’efface au moment où le bio sort définitivement de la niche. Observé de façon la plus drastique en Allemagne, le phénomène de la baisse de performance des magasins bio se manifeste aussi dans d’autres pays et l’inquiétude gagne les acteurs de la distribution spécialisée bio en Europe, transformateurs et commerçants.
Le contexte européen et allemand
Notons toutefois que les signaux sont toujours au vert pour le bio en général. Les chiffres sur le marché bio en Europe le montrent, une croissance stable et forte, à un rythme étonnamment constant, qui n’a même pas ralenti pendant la crise financière qui a ébranlé si fortement nos économies. Le bio, en 2008 et 2009, n’a même pas toussé, reflétant ainsi une tendance stable de consommation vers le développement durable, qui se manifeste dans les comportements d’achat de plus en plus d’européens.
Autres observations : les marchés européens où la distribution spécialisée est fortement présente se développent de façon continue, pendant que les marchés dominés par la grande distribution sont, eux, plus volatiles. Avant de comparer la situation en Allemagne avec d’autres pays, rappelons les particularités de ce pays.
La distribution alimentaire en Allemagne a été, depuis les années 1950, marquée par une vraie idéologie du prix bas. La vente à perte n’y a jamais été interdite et la grande distribution s’est livrée à une bataille de prix pendant des décennies, instaurant les marges écrasées mais aussi des problèmes de qualité dans l’ensemble des filières.
Crédit photo: Wikimedia Commons Alnatura Muesli Kundin
Ce n’est qu’au cours des années 2000 que la distribution conventionnelle a réussi un virement vers la qualité, politique nouvelle où les produits bio tiennent une place centrale. Autre fait important : il y a globalement trop de points de vente pour les produits alimentaires en Allemagne. Le nombre de points de vente en dessous de 400 m2 est en forte régression.
Les magasins bio à contre-courant ?
Les nombreuses ouvertures de magasins bio en Allemagne ces dernières années (notamment sous le format de superette bio, 120 points de vente créés en 2 ans) sont donc à contre-courant de la tendance générale de fermer des points de vente. D’autres éléments soulignent que les magasins bio ne sont pas en phase avec le développement général du marché alimentaire pendant que la grande distribution opère le tournant vers la qualité, la distribution spécialisée axe sa communication sur les produits bio pas chers ! Le paradigme du prix bas est ainsi arrivé, en décalage, dans le monde du bio.
Les raisons structurelles et conjoncturelles du recul
Si la croissance des magasins bio en Allemagne a été plus faible, c’est donc en grande partie pour des raisons structurelles. Notamment les supermarchés bio filialisés en Allemagne (une vingtaine de grandes et petites chaînes totalisant 700 points de vente) ont calqué trop d’éléments de leur positionnement sur la grande distribution prix bas en première ligne de la communication, formats et apparence des magasins aseptisés et standardisés, marques de distributeurs pâles et finalement du personnel de vente peu présent, mal formé (et parfois payé en dessous des minima sociaux, comme plusieurs scandales l’ont relevé ces derniers temps).
Avec une offre de produits bio de plus en plus belle en grande distribution c’est donc peu étonnant si une partie des consommateurs boudent les magasins spécialisés. Se rajoutent des effets conjoncturels, notamment des grandes campagnes de communication des deux leaders de la grande distribution, les groupes EDEKA et REWE, sur le développement durable et aussi la migration de plusieurs grandes marques, historiquement présents en magasin bio, mais depuis peu disponibles aussi en supermarché conventionnel.
Qui s’en sort ? Aujourd’hui, et demain ?
Les chiffres le montrent nettement : ce sont les magasins bio de moyenne taille, individuels et gérés professionnellement qui s’en sortent le mieux en situation de crise. Leurs atouts sont à déployer dans l’ensemble de la branche, pour redynamiser durablement la distribution bio. Etre d’abord bon commerçant, puis gestionnaire professionnel, afficher sa présence en magasin sont les premières bases du succès.
Illustrer son unicité par un assortiment original et par un personnel compétent et motivé, voici quelques axes d’optimisation que les magasins bio en Allemagne individuellement et collectivement par leurs syndicats et groupements. Une campagne d’information collective est d’ailleurs lancée pour mettre les valeurs que porte la distribution spécialisée de nouveau sur la place publique. Les acteurs de la distribution bio renouent aussi avec l’amont agricole, liens historiques certes, mais trop délaissés ces dernières années.
Le magasin bio est mort, vive le magasin bio
Ces efforts de repositionnement de la distribution spécialisée en Allemagne profitent depuis peu d’un contexte encourageant : les derniers chiffres montrent des croissances très rassurantes de l’ordre de 10 %. Il est néanmoins trop tôt pour parler de fin de crise, dont certaines causes, nous l’avons vu, sont profondes. C’est le magasin bio dans son positionnement historique qui est remis en question par l’évolution du marché : demain, il ne suffira plus d’être simplement un point de vente 100 % bio. Le magasin bio de demain sera donc premièrement un magasin de proximité : adapté aux spécificités de son quartier et de son environnement commercial, il sera le point de cristallisation des filières qui l’alimentent, et dont il fera le lien vivant avec les consommateurs.
Les mesures que prennent les acteurs pour se préparer au marché bio de demain, en Allemagne, mais aussi dans d’autres pays européens, seront présentées sur le salon Natexpo à Lyon, les 23 et 24 septembre 2018. LYON 2018
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ECOZEPT
Biolinéaires N° 79 – Septembre Octobre 2018 87
-I) Etude de marché réalisé par Ecozept à la demande de Natexbio entre mars et juin 2018.
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