La e-révolution du commerce alimentaire digital : Licornes — Cuisines fantômes — Dark store — Super app — Curation — Quick commerce — Livraison de repas — Phygital… (1/6)
Tribune libre de veille projective par Sauveur Fernandez, l’Econovateur, accompagnateur marketing innovation — fsauveur@econovateur.com
Premier épisode : cette minisérie exclusive en 6 parties explore les clés projectives d’une e-révolution alimentaire plutôt étonnante. Décisive, elle est jouée à toute vitesse et à ciel ouvert par les Licornes ou en voie de l’être (startups valorisées à plus d’un milliard d’euros). Et, à une moindre échelle, par la grande distribution. Citons : Gopuff, Gorillas, Deliveroo, Uber eats, Hello Fresh, Jow, etc. Après un démarrage plutôt laborieux, la Covid a accéléré leur essor… et leur ambition. Désormais, une cohérence d’ensemble internationale se fait jour avec des règles inédites.
Sur les pas d’Amazon, ces licornes, nées en quelques années, sont en fait de futurs géants internationaux de l’alimentaire et de l’agroalimentaire en ligne qui se bâtissent sous nos yeux. Les licornes sont propulsées par des milliards d’euros d’investissements de capital risque. Elles sont aussi guidées par une vision disruptive de la vente alimentaire qui va marquer ce nouveau siècle, y compris la bio.
Cette tribune libre spéciale « commerce alimentaire digital » permettra à tout décideur de la bio spécialisée d’entamer sa transformation digitale en saisissant les enjeux en cours, ses conséquences, les manières d’y parer et, surtout, de les utiliser pour notre secteur. Ces licornes ont en effet aussi leur part d’ombre et la bio doit proposer d’autres voies alimentaires numériques.
Sur le bon vieux principe de Sun Tzu « Si tu veux combattre tes adversaires, apprends déjà à les connaître mieux que toi-même », prenons, pour commencer, le temps d’introduire le sujet, ses acteurs et les nouvelles e-règles du jeu. Car le domaine est riche et encore peu familier.
PETITE HISTOIRE RAPIDE DU E-COMMERCE ALIMENTAIRE
40 ans de quête
En 1981, Grocery Express est la première épicerie américaine exploitée par téléphone,, suivie (cocorico) par Telemarket en France en 1983, qui utilisait aussi le défunt Minitel. La fin des années 90 marque, avec l’arrivée d’Internet, le premier vrai démarrage de l’épicerie dématérialisée aux États-Unis avec Home Grocer, Webvan et d’autres startups technologiques.
Malgré une croissance initiale impressionnante de Home Grocer jusqu’en 2001, qu’Amazon n’égalera que depuis peu (11 000 articles d’épicerie étaient livrés le jour même à partir d’immenses entrepôts), ces licornes pionnières ont disparu, hormis une poignée. Citons l’américain Peapod (racheté en 2002 par le belgo-néerlandais Ahold Delhaize) ou le Britannique Ocado toujours indépendant et dynamique, les raisons de cet échec sont diverses : commande en ligne peu intuitive, éclatement de la bulle Internet, coût onéreux de la logistique du dernier km (toujours un défi aujourd’hui). Privées de leurs investisseurs financiers devenus frileux, les startups les plus pressées vont délaisser l’épicerie alimentaire en ligne pendant plus d’une décennie.
Les années 2000
Sur les ruines fumantes de ces pionniers, deux nouveaux grands acteurs ensemencent le terrain laissé quasiment libre :
1/ La grande distribution alimentaire :
Celle-ci, qui ne veut pas rester en dehors de la course, et pressent que quelque chose s’est passé, remplace les startups, mais de façon plus prudente et classique. En France, Cora lance Houra dès 1999, toujours en activité, mature et rentable. Promodès-Carrefour suit de près avec Ooshop en 2000 (renommé depuis Carrefour). Auchan Direct annonce Auchan Direct en 2001…
Le premier Drive ouvre ses portes en 2000. Si son succès est connu et son innovation remarquable avec le recul, le drive a eu tendance à freiner vers 2020 les ardeurs de développement de la livraison à domicile rapide et ultra-rapide, car le drive était plus rentable et demandait moins de changement de modèle économique.
2/ Amazon, la licorne devenue multinationale tentaculaire :
Son PDG, Jeff Bezos, alerté, avait pris une participation minoritaire sur Home Grocer et même racheté Webwan. Fort de son succès dans le e-commerce non alimentaire. Amazon vole de ses propres ailes et lance Amazon Fresh en 2007. Plus de 500 000 articles étaient disponibles dans certaines villes américaines pour une livraison le jour même, inclus des produits d’épicerie frais et des plats préparés. Le géant américain va faire évoluer ensuite progressivement une formule alimentaire innovante, mais qui va longtemps tâtonner, et peinera, comme les autres, à se démocratiser, jusqu’à la Covid.
Les années 2010
Les années 2010 marquent un tournant, tant pour Amazon que pour les GMS. Amazon internationalise son épicerie en ligne. Il inaugure en 2016 à Paris et en zone francilienne son service « Prime Now » de livraison alimentaire gratuite à domicile et en une ou deux heures, inclut le frais. Cette place de marché pas comme les autres, ouverte à d’autres marques ou enseignes, se révèle un succès commercial. Whole Foods Market, le plus grand épicier bio de la planète est racheté dans la foulée par Amazon en 2017 (j’avais anticipé dès 2015 l’immersion plus que probable d’Amazon dans le bio).
Ces deux annonces électrisent la GMS qui réalise l’avance considérable prise par le leader américain dans la livraison alimentaire à domicile rapide, sa menace potentielle, et la convainque encore plus de l’importance du marché des produits bio et naturels, y compris son potentiel dans la vente en ligne. Les bouchées doubles sont mises pour, à la fois bâtir un véritable écosystème de vente en ligne (devenu performant en 2021), capable de concurrencer Amazon, tout en s’impliquant durablement dans le marché de la consommation bio. Le tout fait rentrer définitivement la bio dans la cour des grands.
Le drive piéton est, en 2017 l’initiative la plus prometteuse de la GMS. Conçu pour une clientèle de centre-ville accro à la proximité́, leur nombre est passé de 2 en 2017, à une vingtaine en 2018… et plus de 600 en 2020. 40 % des jeunes actifs, adeptes du drive « proxy « nouveau siècle » affirment ne plus fréquenter les hypermarchés… Cette version proxy nouveau siècle du drive va devenir un concurrent sur qui compter pour la bio spécialisée.
Quant à la livraison alimentaire à domicile en une à deux heures, devenue une norme à atteindre, la GMS entame sa diffusion. Boostée par la prolongation de la Covid, elle se propage aujourd’hui dans les villes moyennes, et concerne plutôt les familles avec enfants et les encombrants.
Dans le même temps, du côté des produits bio et responsables, se développe tout un écosystème de startups distributrices pure player de la bio. Celui-ci comprend des généralistes (Greeweez (Carrefour), Mondebio, Seveilia…) et les sites de niche (vegan, locavorisme, zéro déchet, animalerie, etc.). Les startups bio généralistes commencent vers 2016 à proposer des produits alimentaires sec et frais en livraison rapide. Ce terrain est encore laissé libre actuellement par les enseignes bio spécialisées…
Boosté par la Covid et l’évolution des modes de consommations, ce petit marché, dynamique, comprend aussi des startups qui apportent du sang frais avec de nouvelles approches (Kazidomi, la Fourche, Aurore Market). Il passe actuellement en version 2.0 aux États-Unis et en Europe avec une nouvelle e-génération d’épiciers, généralistes, et spécialistes naturels et bio alternatifs encore plus innovants (Zippy Pantri etc.), et que nous détaillerons dans un prochain épisode.
Ce marché de la PGC bio engagée (Produits de Grande Consommation) devenant de plus en plus stratégique, est destiné à muter très rapidement, car il ne va pas tarder à intéresser les licornes « mass market », qui font leur grand come-back. Elles le feront passer à une autre échelle, car les produits bio, cleans, responsables et naturels, en particulier typés « petite marque » ou originaux sont désormais des incontournables de toute vente en ligne pour marquer sa différence.
Le grand retour des licornes
À partir de 2013 émerge aux États-Unis et en Europe une nouvelle génération de startup avides de croissance accélérée. Elles se tournent dans un premier temps vers les restaurants qui ne proposaient pas à leurs clients de livraison avec une solution de livraison clé en main (Blue Apron, Hello Fresh, Deliveroo, Doordash…). L’offre s’est ensuite étendue à l’hôtellerie, l’événementiel, la commande au bureau, la location de cuisines invisibles (Ghost Kitchen), la création de plats et kits repas en propres, etc. (food sevice). ll existe aujourd’hui plus de 150 entreprises de kits de repas aux États-Unis et des centaines d’autres dans le monde, suivies de près par les grands distributeurs américains, soucieux de ne pas se laisser distancer.
Encore embryonnaire en France, la livraison de repas et kits/box repas, est déjà dominée par les startups du type Deliveroo, et à un moindre degré par la GMS. Mais, nous allons le voir, cette nouvelle antenne alimentaire va devenir rapidement incontournable pour tous, y compris la bio.
Entre-temps, l’américain Instacart, fondé en 2012 reprend, 10 ans après, le flambeau de l’épicerie en ligne en s’alliant avec les grands distributeurs, et avec un concept original de personal shopper (livreur géolocalisé dans le voisinage qui fait les courses en magasin à la place du client). L’avantage de cette approche est de ne pas avoir à construire d’entrepôts couteux. Grâce à la pandémie, Instacart est devenu aujourd’hui un géant de la livraison PGC inclus le non alimentaire, Jusqu’à faire partie, avec Walmart et Amazon des leaders américains de l’épicerie en ligne. Sa valorisation est estimée à 32 milliards d’euros. Celle de Carrefour avoisine les 15 milliards d’euros…
Toujours aux États-Unis, Gopuff né en 2013, inaugure l’industrie du dépannage à la demande dans l’alimentaire avec son concept d’épicerie « quick and easy convenient » (produits alimentaires essentiels de dépannage livrés en 30 mn). Pour tenir sa promesse, et ne pas dépendre des distributeurs, Gopuff prend le contre-pied d’Instacart. Il se verticalise en reprenant le modèle de création d’entrepôts des pionniers de la première heure. Gopuff les rend cependant plus agiles sous forme de micro-plateformes logistiques de 100 à 300 mètres carrés, avec un nombre limité de références. Plus connus sous le noms de dark store, leur particularité est d’opèrer sur une zone de chalandise hyper locale (1 à 2 kilomètres en moyenne). Contrairement à Instacart, Gopuff, grâce à ses dark store, peut traiter directement avec les marques PGC, pour bénéficier de meilleures marges. Se développant longtemps prudemment ville par ville, Gopuff, boosté lui aussi par les confinements, est aujourd’hui présent dans près de 500 villes américaines. Ce plus que probable futur géant de la distribution atteint l’Europe et la France. Gopuff égal depuis l’été 2021 quasiment la valorisation de Carrefour…
Entretemps, Le turc Getir (2015), promet sur les mêmes principes une livraison encore plus rapide en 15 mn. Ce pionnier de l’ultra- fast delivery s’est depuis diversifié dans la restauration et le non alimentaire, y compris les préservatifs. La pandémie à, depuis 2020, motivé au moins une dizaine de nouvelles startup ambitieuses, en Europe et aux États-Unis à marcher sur leur pas (Gorillas, Dija (racheté cet été par Gopuff), Flink, etc). À peine nées, elles s’internationalisent dans ces deux zones phares, dopées par un afflux généreux de capitaux.
Années 2020 nouvelle étape décisive
La vente alimentaire e-commerce n’a pas attendue la Covid-19 pour se développer avec, pour ambition, de démocratiser à terme les achats de nourriture en ligne. Les confinements ont cependant accéléré de quelques années une tendance inéluctable. Nouveaux acteurs en lice, les licornes, à la suite d’Amazon, vont faire bien plus que simplement bousculer la grande distribution et le secteur bio. Ces startup ambitieuses utilisent habilement les possibilités offertes par les technologies Internet. Elles instaurent aussi de nouvelles habitudes de consommation et de commercialisation, qui vont « faire » les années 2020 et que nous allons détailler lors du prochain épisode.
Fin du premier épisode — Tribune de veille libre par Sauveur Fernandez, l’Econovateur, accompagnateur marketing innovation — fsauveur@econovateur.com
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