L’innovation bio ne doit-elle surfer que sur les leviers marketing ?

Transition alimentaire…

Du point de vue de « pionnier de la bio », d’« acteur historique », ou de consommateur bio de la catégorie « depuis plus de 20 ans », l’observation du mouvement actuel donne matière à réflexion.

Alimentation durable, consommation locale, alternatives végétales, procédés simples voire traditionnels, respect des producteurs, des animaux, des sols… sont les nouvelles tendances fortes. Nouvelles ? Elles font certes écho « nouvellement » plus largement, mais elles ne sont pas sans rappeler certains « Principes fondamentaux », racines de l’Agriculture Biologique : les principes de santé, d’écologie, d’équité et de précaution.

On observe donc des « pionniers de la bio » qui cherchent comment communiquer ce qu’ils font depuis 40 ans, des acteurs historiques qui veulent aller plus loin, des opérateurs conventionnels -mais néanmoins convaincus- qui s’engagent, et des moins convaincus qui surfent sur la vague…

Aidées par ces tendances et avec force marketing, les innovations de la bio d’hier sont déclinées à tout va (galettes végétales, desserts végétaux, et autre tofu, pâtes aux légumineuses, vente en vrac…) et les solutions de la bio sont adoptées par tous. En formulation, on peut citer l’extrait de romarin qui est devenu antioxydant commun, ou le recul des colorants de synthèse au profit des poudres/jus de légumes et de fruits.

Alors comment innover en bio ?

C’est là une question majeure et pertinente que se pose chaque acteur du secteur. Avec, sous-jacente, la question de « comment garder une longueur d’avance » ? Il ne s’agit pas de freiner l’engouement pour le marché bio, car aux vues de l’urgence écologique chaque parcelle de terre qui se convertit en bio est un pas de gagné pour notre planète. Mais il importe aux acteurs (vraiment) engagés de se différencier et de donner au consom’acteur la possibilité de faire ses choix avec discernement.

Une possibilité est de s’engouffrer dans la jungle du « scoring ». Cette nouvelle tendance prend de l’ampleur… et du pouvoir. A tel point que certains formulateurs mettent le Nutriscore en top 1 de leur priorité. Non pas que ces scores ne soient pas intéressants, mais leur utilisation sans discernement peut mener à certaines aberrations. Quelques exemples ? Une barre à base de dattes et de sésame, riche en énergie, est notée Nutriscore D. Un yaourt aromatisé peut être mieux noté qu’un yaourt à base de fruits…

Lors de mes interventions sur l’innovation bio et les tendances ingrédients, j’aime citer des exemples où les entreprises mettent au cœur de leur stratégie leurs matières premières et/ou leurs partenaires producteurs. Il y a un réel potentiel selon moi à renverser la démarche d’innovation actuelle qui serait de vouloir à tout prix répondre à une tendance ou à un dictat marketing. Au contraire, s’intéresser aux ressources – du voisin agriculteur ou industriel (pour ses co-produits), du réseau d’un fournisseur déjà partenaire, des récoltes liées aux rotations de culture… – et réfléchir à la manière de les valoriser dans un produit qui aura une histoire, me semble beaucoup plus riche de sens. Et le marketing se met alors au service de la ressource et de cette histoire.

On parle souvent d’approche holistique en bio, et en effet, les travaux de recherche actuels visent à analyser toutes les qualités des produits (nutritionnelle, sanitaire, sensorielle, environnementale…) y compris l’impact de la transformation sur ces précieuses ressources. Le déploiement de la RSE dans les entreprises bio va d’ailleurs encore plus loin en y intégrant la qualité « sociale » à tous les étages. Et si le règlement bio est un tuteur nécessaire pour les entreprises bio, il faut selon moi garder en tête que l’innovation bio doit être guidée par cette approche holistique et durable, mais aussi et avant tout par les principes fondamentaux de l’Agriculture Biologique.

Tribune libre de Gaëlle Fremont, fondatrice et dirigeante d’ Ingrebio, le web-magazine des ingrédients bio